Marie
La
vie réserve souvent des surprises, c’est une loterie pour laquelle
la grande histoire apporte parfois son grain de sel. Remontons le
cours du temps et de la Loire ...
Il
s’appelait Félix, un solide gaillard, marinier de son état et
marié à la Marie , jeune et belle cantinière du cabaret Au
Chambellan Prétentieux. Une drôlesse qui n’avait pas la langue
dans sa poche quand un pochetron aventurait ses pognes de manière
trop hardies sur ses délicieux reliefs. C’est d’ailleurs ainsi
que la joue de Félix rencontra la main de la jouvencelle avant que
de la lui demander plus cérémonieusement.
Ils
partagèrent leurs existences durant trois années, années dans
lesquelles les longues courses du marinier en faisaient un compagnon
rare et peu encombrant. Marie savait à quoi s’en tenir et à
franchement parler, ne détestait pas ce sentiment de liberté dont
seules les épouses de marins ou de cheminots savent profiter.
Pourtant
c’est un énorme grain qui vint interrompre cette vie insouciante
qui ne laissait guère de place à l’envie de progéniture. Le Roi
de France avait besoin de marins, la conscription maritime se saisit
de Félix pour l’envoyer sur un navire de guerre, combattre les
anglais sur les côtes américaines. Félix participa à la fameuse
bataille de la baie de Chesapeake. Un triomphe
pour la flotte royale, le début d’une longue traversée du désert
pour le pauvre garçon, envoyé par dessus bord par le souffle d’un
boulet qui fracassa le crâne de compagnons moins veinards. Félix
fut considéré comme mort, des témoins déclarant plus tard avoir
vu son cadavre dans les flots.
La
nouvelle parvint au cabaret du Chambellan Prétentieux. Marie porta
le deuil un temps qu’elle jugea suffisant tandis que sa nouvelle
liberté avait attisé d’autres convoitises. Elle avait remarqué
que tant qu’elle était femme disponible, les regards concupiscents
et les mains trop lestes ne cessaient d’entraver son service. Au
temps de son mariage, elle était davantage respectée.
Marie
s’empressa de convoler avec un autre marin, conservant ainsi les
avantages sans s’encombrer par trop des obligations liées à la
fonction matrimoniale. Son nouvel époux, le Gaston, n’était du
reste pas aussi porté sur la chose que le précédent. Marie n’avait
jamais eu à se féliciter des assauts de ses deux époux. Le bonheur
de partager ce plaisir lui demeurait inconnu. Ces deux mariniers
s’avérant fort mauvais manœuvrier à terre.
Marie
avait fait son deuil des plaisirs de la chair. Un événement vint
chambouler cette désespérante résignation. Un jour, entra dans le
Cabaret un individu dont la silhouette lui disait vaguement quelque
chose. L’homme, efflanqué, le visage marqué de balafres, les
joues creusés par la souffrance, portait en lui une forme de
dignité.
Le
silence se fit dans la cabaret. Le nouvel entrant attirait les
regards et la curiosité. Ses yeux brillaient d’une intensité
fiévreuse. L’homme scruta intensément Marie , s’avança
lentement vers elle. L’inconnu s’exclama : « Marie , quel
bonheur de te retrouver après tant d’années ! » Félix
était revenu de l’enfer totalement transformé. Il n’était plus
que l’ombre du celui partit servir le roi.
Marie
prit Félix par la main et le conduisit dans l’arrière cuisine du
Cabaret. Les deux anciens époux, disparurent durant une heure
environ sans que quiconque, chose inhabituelle dans cet établissement
aux nombreux va et vient, ne quitte la salle. La curiosité sans
doute, l’envie de comprendre et de colporter l’incroyable
nouvelle aussi.
Quand
ils revinrent, Marie avait les joues roses, le chignon défait, son
tablier à la main tandis que le gars Félix avait retrouvé
meilleure mine. Il prit la parole « Je devine que vous m’avez
reconnu. On m’a donné pour mort, je ne valais guère mieux. J’ai
été repêché par les anglais, enfermé sur l’un de leurs rares
navires qui échappa au naufrage. J’ai passé six mois sur ce
rafiot qui jouait à cache cache avec la flotte de François Joseph
Paul de Grasse, le vainqueur de l’amiral Thomas Graves.
Avec
quelques collègues, nous allions payer l'humiliation subie par les
britanniques. Nous ignorions alors que le prix à payer serait aussi
terrifiant. Beaucoup n’en revinrent pas tandis que j’aurai
préféré mourir que de vivre cet enfer. J’ai passé sept années
de souffrance sur les pontons de Plymouth. J’ai tenu poussé par la
volonté farouche de revoir ma Marie. Ce fut ma seule raison de
vivre, cet espoir absurde de croire qu’elle m’attendrait.
J’ignorais alors qu’on me déclarerait mort et perdu à jamais
dans le fond de l’Océan. Un jour, je fus libéré au terme d’un
échange de prisonniers dont j’ignorais tout. Me voilà revenu ! »
Jamais
de mémoire de mariniers on l’avait tant entendu parler. Mais quel
serait le choix de Marie ? Manifestement dans l’arrière cuisine,
il s’était passé quelque chose. Marie qui jusque là n’avait
jamais trouvé son content dans cette relation intime qui enflamme
tant les esprits avait succombé pour la première fois à ce plaisir
secret. L’incarcération avaient transformé son premier mari.
Marie
se trouvait face à un nouveau dilemme. Elle était remariée, cette
union qui primait sur la précédente qui était devenue caduque. Que
faire ? Qui choisir ?
Sur
la rivière, la nouvelle alla bon train. Gaston eut les oreilles qui
sifflèrent avant que d’apprendre par la bouche d’un collègue la
raison de toutes ces grimaces à son approche. Quand son bateau
arriva dans le port d’Orléans. s’en retourna bien vite dans son
foyer. L’idée de devoir partager son épouse avec son premier mari
lui vint tout naturellement. Gaston
n’était pas homme à placer son honneur dans une jalousie de
mauvais aloi. Il vivait lui aussi la vie de patachon des mariniers en
goguette, il ne se sentait pas d’exiger de Marie ce qu’il n’était
pas en mesure de s’appliquer à lui-même.
Si
la rencontre du trio éveilla la curiosité des habitués des potins,
ceux-là en furent pour leurs frais. Les hommes se tapèrent dans la
main. Félix se fit embaucher par le marchand qui employait Gaston.
L’un couvrait le commerce d’Orléans à Nantes tandis que
l’autre allait de Roanne à Orléans. Gage à eux de ne jamais être
sur place quand l’autre était en escale.
Marie
avait désormais deux époux. Félix avait éveillé en elle le
désir d’amour. Elle se fit un devoir d’initier Gaston à l’art
complexe de l’honorer dignement. Marie ayant pris goût à ce
merveilleux plaisir innocent, se consolait de l’absence de ces deux
voyageurs avec le cabaretier en personne. C’est ainsi que le
cabaret changea de nom avec une pointe d’ironie. Aux Trois
Chambellans, les clients prirent l’habitude de leur verre à la
santé des amoureux en criant « Et Merde pour le roi
d'Angleterre, qui nous a déclaré la guerre ! »
Si
le cabaret fut oublié la « Rue des Trois Maris »
perpétua le souvenir de cette belle histoire.
Pour découvrir Ambroise Louis De Garneray qui a passé 8 ans sur les pontons de Plymouth
=> https://www.chasse-maree.com/les-trois-vies-de-louis-garneray/
=> https://www.chasse-maree.com/les-trois-vies-de-louis-garneray/
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