mercredi 27 mai 2020

Aux trois chambellans d'Orléans

Marie



La vie réserve souvent des surprises, c’est une loterie pour laquelle la grande histoire apporte parfois son grain de sel. Remontons le cours du temps et de la Loire ...

Il s’appelait Félix, un solide gaillard, marinier de son état et marié à la Marie , jeune et belle cantinière du cabaret Au Chambellan Prétentieux. Une drôlesse qui n’avait pas la langue dans sa poche quand un pochetron aventurait ses pognes de manière trop hardies sur ses délicieux reliefs. C’est d’ailleurs ainsi que la joue de Félix rencontra la main de la jouvencelle avant que de la lui demander plus cérémonieusement.



Ils partagèrent leurs existences durant trois années, années dans lesquelles les longues courses du marinier en faisaient un compagnon rare et peu encombrant. Marie savait à quoi s’en tenir et à franchement parler, ne détestait pas ce sentiment de liberté dont seules les épouses de marins ou de cheminots savent profiter.

Pourtant c’est un énorme grain qui vint interrompre cette vie insouciante qui ne laissait guère de place à l’envie de progéniture. Le Roi de France avait besoin de marins, la conscription maritime se saisit de Félix pour l’envoyer sur un navire de guerre, combattre les anglais sur les côtes américaines. Félix participa à la fameuse bataille de la baie de Chesapeake. Un triomphe pour la flotte royale, le début d’une longue traversée du désert pour le pauvre garçon, envoyé par dessus bord par le souffle d’un boulet qui fracassa le crâne de compagnons moins veinards. Félix fut considéré comme mort, des témoins déclarant plus tard avoir vu son cadavre dans les flots.


La nouvelle parvint au cabaret du Chambellan Prétentieux. Marie porta le deuil un temps qu’elle jugea suffisant tandis que sa nouvelle liberté avait attisé d’autres convoitises. Elle avait remarqué que tant qu’elle était femme disponible, les regards concupiscents et les mains trop lestes ne cessaient d’entraver son service. Au temps de son mariage, elle était davantage respectée.

Marie s’empressa de convoler avec un autre marin, conservant ainsi les avantages sans s’encombrer par trop des obligations liées à la fonction matrimoniale. Son nouvel époux, le Gaston, n’était du reste pas aussi porté sur la chose que le précédent. Marie n’avait jamais eu à se féliciter des assauts de ses deux époux. Le bonheur de partager ce plaisir lui demeurait inconnu. Ces deux mariniers s’avérant fort mauvais manœuvrier à terre.


Marie avait fait son deuil des plaisirs de la chair. Un événement vint chambouler cette désespérante résignation. Un jour, entra dans le Cabaret un individu dont la silhouette lui disait vaguement quelque chose. L’homme, efflanqué, le visage marqué de balafres, les joues creusés par la souffrance, portait en lui une forme de dignité.

Le silence se fit dans la cabaret. Le nouvel entrant attirait les regards et la curiosité. Ses yeux brillaient d’une intensité fiévreuse. L’homme scruta intensément Marie , s’avança lentement vers elle. L’inconnu s’exclama : « Marie , quel bonheur de te retrouver après tant d’années ! » Félix était revenu de l’enfer totalement transformé. Il n’était plus que l’ombre du celui partit servir le roi.


Marie prit Félix par la main et le conduisit dans l’arrière cuisine du Cabaret. Les deux anciens époux, disparurent durant une heure environ sans que quiconque, chose inhabituelle dans cet établissement aux nombreux va et vient, ne quitte la salle. La curiosité sans doute, l’envie de comprendre et de colporter l’incroyable nouvelle aussi.

Quand ils revinrent, Marie avait les joues roses, le chignon défait, son tablier à la main tandis que le gars Félix avait retrouvé meilleure mine. Il prit la parole « Je devine que vous m’avez reconnu. On m’a donné pour mort, je ne valais guère mieux. J’ai été repêché par les anglais, enfermé sur l’un de leurs rares navires qui échappa au naufrage. J’ai passé six mois sur ce rafiot qui jouait à cache cache avec la flotte de François Joseph Paul de Grasse, le vainqueur de l’amiral Thomas Graves.


Avec quelques collègues, nous allions payer l'humiliation subie par les britanniques. Nous ignorions alors que le prix à payer serait aussi terrifiant. Beaucoup n’en revinrent pas tandis que j’aurai préféré mourir que de vivre cet enfer. J’ai passé sept années de souffrance sur les pontons de Plymouth. J’ai tenu poussé par la volonté farouche de revoir ma Marie. Ce fut ma seule raison de vivre, cet espoir absurde de croire qu’elle m’attendrait. J’ignorais alors qu’on me déclarerait mort et perdu à jamais dans le fond de l’Océan. Un jour, je fus libéré au terme d’un échange de prisonniers dont j’ignorais tout. Me voilà revenu ! »

Jamais de mémoire de mariniers on l’avait tant entendu parler. Mais quel serait le choix de Marie ? Manifestement dans l’arrière cuisine, il s’était passé quelque chose. Marie qui jusque là n’avait jamais trouvé son content dans cette relation intime qui enflamme tant les esprits avait succombé pour la première fois à ce plaisir secret. L’incarcération avaient transformé son premier mari. 
 

Marie se trouvait face à un nouveau dilemme. Elle était remariée, cette union qui primait sur la précédente qui était devenue caduque. Que faire ? Qui choisir ?

Sur la rivière, la nouvelle alla bon train. Gaston eut les oreilles qui sifflèrent avant que d’apprendre par la bouche d’un collègue la raison de toutes ces grimaces à son approche. Quand son bateau arriva dans le port d’Orléans. s’en retourna bien vite dans son foyer. L’idée de devoir partager son épouse avec son premier mari lui vint tout naturellement. Gaston n’était pas homme à placer son honneur dans une jalousie de mauvais aloi. Il vivait lui aussi la vie de patachon des mariniers en goguette, il ne se sentait pas d’exiger de Marie ce qu’il n’était pas en mesure de s’appliquer à lui-même.

 

Si la rencontre du trio éveilla la curiosité des habitués des potins, ceux-là en furent pour leurs frais. Les hommes se tapèrent dans la main. Félix se fit embaucher par le marchand qui employait Gaston. L’un couvrait le commerce d’Orléans à Nantes tandis que l’autre allait de Roanne à Orléans. Gage à eux de ne jamais être sur place quand l’autre était en escale.

Marie avait désormais deux époux. Félix avait éveillé en elle le désir d’amour. Elle se fit un devoir d’initier Gaston à l’art complexe de l’honorer dignement. Marie ayant pris goût à ce merveilleux plaisir innocent, se consolait de l’absence de ces deux voyageurs avec le cabaretier en personne. C’est ainsi que le cabaret changea de nom avec une pointe d’ironie. Aux Trois Chambellans, les clients prirent l’habitude de leur verre à la santé des amoureux en criant « Et Merde pour le roi d'Angleterre, qui nous a déclaré la guerre ! » 
 

Si le cabaret fut oublié la « Rue des Trois Maris » perpétua le souvenir de cette belle histoire.

Pour découvrir Ambroise Louis De Garneray qui a passé 8  ans sur les pontons de Plymouth

=> https://www.chasse-maree.com/les-trois-vies-de-louis-garneray/
 

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