Quel pastis à La Possonnière !
Il
était une fois en bord de Loire un coin ordinaire comme tous les
autres endroits de notre belle rivière. Les plus vieux surtout
aimaient à y aller à la pêche. Nombreux étaient ceux qui
disposaient d’une petite barque pour profiter pleinement des
plaisirs liés à leur loisir préféré. Nous sommes en Anjou, le
pays du bon vivre et de la douceur du temps qui passe.
Cette
année-là, curieusement, les amateurs de la pêche à l’anguille
restaient étonnement sur leur faim. Là où les prises étaient
nombreuses les années précédentes, la pêche cette année ne
donnait absolument rien. Que se passait-il donc ? Les amateurs de
matelotes et de fricassées en étaient pour leurs frais. Il fallait
se résoudre à rentrer bredouille sous le regard moqueur de ceux qui
avaient connu la même mésaventure.
Curieusement
cependant, ce sont des garnements, habituellement se contentant de
taquiner le goujon et de patauger dans les flots qui faisaient les
plus belles prises. Plus surprenant encore, ils avaient trouvé un
coin où jusque-là, jamais personne n’avait rien pris. Bien vite
la nouvelle fit le tour des berges. Les anguilles avaient adopté un
changement de comportement qui intriguait les véritables
spécialistes.
Parmi
ceux-ci, André était un expert tant en matière halieutique qu’au
niveau de la gastronomie. Il s’invita un jour dans la famille de
l’un des chenapans afin de goûter son plat préféré. À sa
grande surprise il trouva un goût anisé à la bête succulente que
la gamin avait pêché au nez et à la barbe des experts. Notre ami
se perdait en conjectures. Voilà bien étrange parfum que celui-là !
André
n’était pas homme à demeurer sans comprendre. Il réfléchit :
ses pêches infructueuses lui en laissait le temps. En bon Angevin,
il ne reculait jamais à baiser une fillette selon l’expression
locale. Lors de ses dernières expéditions dans les tavernes de la
région il avait constaté que le dénommé Moïse, grand pilier de
tavernes, avait disparu depuis près de six mois.
De
fil à pêche en émerillon, il se souvint que notre lascar abusait
plus que de raison du pastis, délaissant le bon cabernet. N’y
aurait-il pas là une relation de cause à effet de nature à lever
le voile ? Voilà une hypothèse qui tenait la route bien mieux que
Moïse quand il rentrait chez lui.
André
avait découvert le pot aux roses. Le pauvre Moïse, plus imbibé que
jamais, avait dû tomber en chemin alors qu’il tanguait le long du
chemin de halage. C’est en passant en bordure de ce petit bras de
Loire où jusqu’alors personne n’allait pêcher qu’il fit son
dernier plongeon. André, cependant garda pour lui le fruit de ses
réflexions. Conserver ce secret était plus important encore que la
mémoire d’un camarade en bord de Loire, tant que le coin
permettait pêche miraculeuse.
Il
imita les gamins, tendit lui aussi ses lignes de fond là où
reposait le pauvre Moïse. Si les anguilles se plaisaient à se
nourrir de ses restes, il n’y avait qu’à leur laisser terminer
la tâche. Une pêche miraculeuse et parfumée ne se refuse pas. Ce
fut ainsi jusqu’à la fin de la saison. D’autres anciens firent
comme André sans piper mot.
Ce
n’est qu’au moment de l’étiage, que nos lascars firent les
étonnés et les choqués quand ils découvrirent un squelette
proprement nettoyé. Le pauvre macchabée fut identifié par les
autorités grâce à sa gourmette. André et ses compère firent des
gorges chaudes quand la maréchaussée découvrit dans la musette du
défunt, une bouteille de pastis
Personne
dans ce charmant village ne fut choqué de ce long silence. La pêche
à l’anguille est chose trop sérieuse pour l’interrompre. Le
défunt n’était guère pressé de trouver sépulture chrétienne,
Moïse était un mécréant notoire qui n’avait jamais aimé le
vin. Tous ses amis qui avaient pêché au-dessus de sa tombe
provisoire l’honorèrent comme il se doit le jour de ses obsèques.
Après
une courte cérémonie, vite expédiée pour la première fois dans
l’histoire de ce village, le vin d’honneur fut remplacé par un
pastis festif en dégustant de l’anguille fumée. Seules les dames
des ligues de vertu rirent jaune de cette farce. Ainsi va la vie et
la mort en bord de Loire. Ce sont les impératifs de la rivière qui
commandent aux humains et c’est très bien ainsi.
Pastichement vôtre.
Encore merci Bernard !
RépondreSupprimerP'titMamass
Pascal
SupprimerMerci à toi surtout