dimanche 17 mai 2020

La pêche aux anguilles

 Quel pastis à La Possonnière !
Il était une fois en bord de Loire un coin ordinaire comme tous les autres endroits de notre belle rivière. Les plus vieux surtout aimaient à y aller à la pêche. Nombreux étaient ceux qui disposaient d’une petite barque pour profiter pleinement des plaisirs liés à leur loisir préféré. Nous sommes en Anjou, le pays du bon vivre et de la douceur du temps qui passe.





Cette année-là, curieusement, les amateurs de la pêche à l’anguille restaient étonnement sur leur faim. Là où les prises étaient nombreuses les années précédentes, la pêche cette année ne donnait absolument rien. Que se passait-il donc ? Les amateurs de matelotes et de fricassées en étaient pour leurs frais. Il fallait se résoudre à rentrer bredouille sous le regard moqueur de ceux qui avaient connu la même mésaventure.

Curieusement cependant, ce sont des garnements, habituellement se contentant de taquiner le goujon et de patauger dans les flots qui faisaient les plus belles prises. Plus surprenant encore, ils avaient trouvé un coin où jusque-là, jamais personne n’avait rien pris. Bien vite la nouvelle fit le tour des berges. Les anguilles avaient adopté un changement de comportement qui intriguait les véritables spécialistes.



Parmi ceux-ci, André était un expert tant en matière halieutique qu’au niveau de la gastronomie. Il s’invita un jour dans la famille de l’un des chenapans afin de goûter son plat préféré. À sa grande surprise il trouva un goût anisé à la bête succulente que la gamin avait pêché au nez et à la barbe des experts. Notre ami se perdait en conjectures. Voilà bien étrange parfum que celui-là !

André n’était pas homme à demeurer sans comprendre. Il réfléchit : ses pêches infructueuses lui en laissait le temps. En bon Angevin, il ne reculait jamais à baiser une fillette selon l’expression locale. Lors de ses dernières expéditions dans les tavernes de la région il avait constaté que le dénommé Moïse, grand pilier de tavernes, avait disparu depuis près de six mois.






De fil à pêche en émerillon, il se souvint que notre lascar abusait plus que de raison du pastis, délaissant le bon cabernet. N’y aurait-il pas là une relation de cause à effet de nature à lever le voile ? Voilà une hypothèse qui tenait la route bien mieux que Moïse quand il rentrait chez lui.

André avait découvert le pot aux roses. Le pauvre Moïse, plus imbibé que jamais, avait dû tomber en chemin alors qu’il tanguait le long du chemin de halage. C’est en passant en bordure de ce petit bras de Loire où jusqu’alors personne n’allait pêcher qu’il fit son dernier plongeon. André, cependant garda pour lui le fruit de ses réflexions. Conserver ce secret était plus important encore que la mémoire d’un camarade en bord de Loire, tant que le coin permettait pêche miraculeuse.


Il imita les gamins, tendit lui aussi ses lignes de fond là où reposait le pauvre Moïse. Si les anguilles se plaisaient à se nourrir de ses restes, il n’y avait qu’à leur laisser terminer la tâche. Une pêche miraculeuse et parfumée ne se refuse pas. Ce fut ainsi jusqu’à la fin de la saison. D’autres anciens firent comme André sans piper mot.

Ce n’est qu’au moment de l’étiage, que nos lascars firent les étonnés et les choqués quand ils découvrirent un squelette proprement nettoyé. Le pauvre macchabée fut identifié par les autorités grâce à sa gourmette. André et ses compère firent des gorges chaudes quand la maréchaussée découvrit dans la musette du défunt, une bouteille de pastis






Personne dans ce charmant village ne fut choqué de ce long silence. La pêche à l’anguille est chose trop sérieuse pour l’interrompre. Le défunt n’était guère pressé de trouver sépulture chrétienne, Moïse était un mécréant notoire qui n’avait jamais aimé le vin. Tous ses amis qui avaient pêché au-dessus de sa tombe provisoire l’honorèrent comme il se doit le jour de ses obsèques.

Après une courte cérémonie, vite expédiée pour la première fois dans l’histoire de ce village, le vin d’honneur fut remplacé par un pastis festif en dégustant de l’anguille fumée. Seules les dames des ligues de vertu rirent jaune de cette farce. Ainsi va la vie et la mort en bord de Loire. Ce sont les impératifs de la rivière qui commandent aux humains et c’est très bien ainsi.



Pastichement vôtre.
Photographies de Pascal Masson des Chandoux





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