jeudi 7 mai 2020

Ubu Freluquet et son Duché ...

Imprévoyance criminelle





Pauvre Duché.


Il était une fois un petit Duché gouverné d’une main de fer par Freluquet, un jeune Prince n’ayant pas de descendance. Ceci n’avait pas inquiété ses loyaux sujets lors de son couronnement fastueux, ceux-là ne pouvant se douter qu’ainsi, l’homme insulterait l’avenir sans le moindre remords. Il avait hérité du sceptre d’un certain Flambi, monarque incapable et falot qui avait été contraint d’abdiquer.


La vie dans le Duché n’était pas désagréable, chacun vacant à ses activités à la condition qu’elles ne fissent aucun bruit ni aucune nuisance. C’est ainsi que de gouverneur en gouverneur, toutes les coopérations industrieuses avaient été priées d’aller voir ailleurs si la main d’œuvre était plus corvéable. Une volonté des puissants d’éradiquer toutes ces fortes têtes, se montant le bourrichon les uns les autres dans la promiscuité de leurs ateliers.


Le Duché se voulait être un territoire en dentelles pour recevoir dignement les visiteurs du monde entier, un bel écrin dans lequel valets et serviteurs se mettaient entièrement au service de ceux qui apportaient des richesses. Dans cette belle logique, c’est une armée d’opérette qui fut mise en place pour agrémenter les manifestations de jolis défilés.

Il n’y avait pas plus beaux soldats que ceux de ce Duché. Un vrai bonheur pour les yeux. Grand chapeau empanaché, délicate veste aux dorures étincelantes, petite tunique seyante, pantalon rouge vif et escarpins à boucles dorées. Une canne à pommeau constituait le seul équipement défensif. Naturellement, chaque bataillon disposait d’un orchestre militaire, placé toujours en tête de cortège.


C’est alors qu’un conflit se déclara dans une Europe qui se croyait désormais à l’abri de toute velléité de la part de ses voisins. Les frontières de ce Duché qui n’étaient plus gardées depuis fort longtemps, furent comme le veut la tradition militaire de ce territoire, percée comme dans du beurre. Une fois encore, des hordes ennemies envahissaient les campagnes de l’Est.

Freluquet envoya la troupe s’opposer à la progression du mal. Ce fut une hécatombe en Alsace tout comme en Lorraine. Les pauvres soldats, avec leur tenue d’apparat ne pouvait entraver la progression d’un ennemi muni de frondes avec lesquelles ils arrosaient les malheureux de cailloux. Il fallait agir au plus vite.

Freluquet, incapable de comprendre ce qui arrivait, mit en place un comité d’experts. Après de nombreuses controverses au sein de ces doctes personnes, un consensus s’établit pour équiper nos soldats de casques en fer. Seule la chargée de mission à la propagande émit des réserves, elle ne savait pas comment porter un casque et ne se voyait pas l’expliquer à nos guerriers.

La décision prise, il se trouva dans l’assemblée quelqu’un pour faire remarquer que le Duché avait expulsé tous ses forgerons, maréchaux et autres artisans du fer. Il fallait se fournir à l’étranger, effectuer des commandes à n’importe quel prix. Malheureusement, les principaux fournisseurs avaient monté leurs ateliers dans les Comtés ennemis.

Que faire ? Freluquet et sa chargée de propagande affirmèrent que nos soldats avaient la tête dure tandis que le magnifique plumeau qu’ils portaient à leur chapeau était de nature à éviter les pierres. Personne ne prit au sérieux cette affirmation. Les troupes exposées à l’ennemi sans la moindre protection se battirent avec un courage remarquable.

Dans le camp adverse, constatant l’impréparation des troupes du Duché, le commandement suprême décida de frapper plus fort encore. Les soldats furent munis d’arbalètes qui firent des coupes claires dans les rangs d’en face. Les premiers casques, venaient juste d’arriver, équipant les gradés et quelques seigneurs de l’arrière, il fallait au plus vite trouver une nouvelle parade.

Les blessures n’étaient plus portées à la tête mais au buste. Que faire ? La charmante chargée de propagande suggéra de tourner le dos à l’ennemi afin de protéger les parties vitales. La suggestion d’une sottise rare fut néanmoins prise en compte par le commandement suprême. Il fut décrété d’adopter une stratégie de contournement de l’ennemi en lui opposant une fin de non recevoir.

D’habitude dans ce Duché, quand un problème survenait, les responsables avaient pris l’habitude de fermer les yeux ou de prétendre l’ennemi bloqué à la frontière. Cette fois, ils ne reculaient pas devant leurs obligations, préférant confier cette démarche à ceux qu’ils envoyaient au feu. Pour encourager les troupes, ils eurent cependant une initiative louable, chaque jour à midi, les cloches du pays sonnaient à toute volée pour remercier les bouches à canon de leur sacrifice.

L’ennemi faisait désormais une percée spectaculaire dans le Duché tandis qu’on ne comptait que les gradés dans le décompte macabre des victimes. Il fallait désormais convenir que l’invasion des territoires centraux était inévitable. La Capitale était même en première ligne. Freluquet, fort de l’avis d’un nouveau comité Théodule, imposa à tous ses sujets de s’enfermer à double tour portes et volets clos, dans leurs demeures pour une durée indéterminée. Ainsi, personne ne verrait que le Duché était entièrement occupé.

On applaudit en haut lieu à cette idée de génie tandis que quelqu’un dut se charger d’essayer de la faire comprendre à l’attachée à la propagande. Le concept lui semblait quelque peu hermétique. Les troupes néanmoins devaient continuer de mener une guérilla intérieure, désormais sans le moindre équipement. Ce fut une véritable boucherie.

Freluquet, en bon Prince, maintenait le lien avec ses sujets par l’intermédiaire de pigeons voyageurs qu’il envoyait dans chaque demeure afin de rassurer les cloîtrés tout en leur donnant de bonnes nouvelles sur ce qui se passait à l’extérieur. On ne sait si les habitants donnaient foi à ces messages, ils appréciaient seulement l’arrivée du pigeon qui achevait sa mission dans une cocotte.

Le temps parut long pour les emmurés vivants. Ils se passa un curieux phénomène, malgré les bruits terrifiants qu’ils pouvaient entendre à l’extérieur, ils se mirent à croire ce Prince, s’y attacher comme à une bouée de secours. C’était leur unique espoir. Ils se mirent à l’aduler, à voir en lui le sauveur d’un territoire mis en pièces par un ennemi sanguinaire. Il faut bien s’accrocher à une illusion quand tout es perdu ou presque. L’histoire est riche de pareilles réactions jusqu’au jour enfin où ils ouvrirent les yeux.


Ce qui se passa alors demeure encore assez mystérieux. Les soldats cessèrent d’écouter leurs chefs, se constituèrent en bataillons autonomes qui usèrent de stratégies refusées en haut lieu. Abandonnant la bataille frontale, ils pensèrent couper les réseaux de l’adversaire, menant des actions préventives plus efficaces que ces charges désespérées qui avaient fait tant de dégâts.

Des éclaireurs repérèrent les chemins empruntés par les troupes de secours. Ils coupèrent leurs voies de communication. Les historiens appelèrent cette nouvelle façon de mener la guerre : le dépistage. Ce fut un vrai succès. La population de son côté, décidant enfin de prendre les choses en main, se fabriqua avec les moyens du bord des casques pour repousser les soldats ennemis coupés de leur base. Le succès fut total.

La victoire changea de camp. Ce fut une formidable action conjointe des soldats et du peuple qui permit de repousser hors des frontières du Duché le terrible envahisseur. Les cloches célébrèrent cette fois à pleine volée la victoire, moment choisi par Freluquet et son inénarrable chargée de propagande pour s’approprier le succès de la bataille.

Beaucoup cessèrent de croire en ce triste pouvoir. Le temps des illusions était passé. Le pays était en triste état et chacun savait qu’une fois encore c'étaient les gueux et les manants qui allaient payer les pots cassés. Pourtant un vent de fronde souffla alors si fort, qu’on fit revenir dans le territoire tous ces petits artisans qui en avaient été chassés. Il fut décrété de ne plus s’occuper du Prince et de ses courtisans, de revendre la vaisselle de la première dame pour payer la dette. Le Duché devenant une petite République autonome ne comptant que sur elle-même pour se nourrir et s’équiper.
Imaginairement vôtre.

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