mercredi 16 août 2017

Les belles louves.



Le musicien de Cinq-Mars-la-Pile


À Cinq-Mars une tour antique domine la Loire, immense phallus de brique, érigé fièrement au-dessus de la rivière. Elle est là depuis des temps immémoriaux et son état de conservation tient lieu du miracle. La belle construction se dresse à plus de trente mètres de hauteur. Elle eut l’honneur d’être citée par Rabelais, homme de goût, prompt à raconter des histoires. Je ne sais si celle que je vais vous narrer vient de lui. Qu’importe, il suffit de vous laisser porter par le récit !

Il était une fois, au pied de la belle tour, un chemin qui conduisait vers un carrefour qu’on n’avait pas pris la peine de nommer. On s’interrogeait sur l’origine de ce nom étrange, d’autant que bien des phénomènes mystérieux étaient associés à l’endroit. On le disait hanté par des esprits malins, des elfes et des lutins. Personne ne s’y aventurait la nuit. Les gens d’alors étaient superstitieux.
C’est pourtant à la nuit tombante qu’un musicien, un ménestrel qui allait de château en château, n’étant pas homme à reculer devant les histoires de bonnes femmes et les manifestations douteuses de la crédulité des hommes, emprunta ce chemin pour se rendre à Langeais, en dépit des mises en garde multiples qu’il avait reçues des gens du pays.

L’homme allait, son psaltérion en bandoulière. Il marchait d’un bon pas, chantonnait, tout occupé qu’il était à la création d’une chanson de geste qu’il allait proposer au seigneur de Langeais. Il avait l’esprit rêveur, il était question dans son récit de quatre belles demoiselles, vêtues de blanc et aux mœurs aussi légères que leur tenue. Il faut reconnaître que notre homme avait sans doute quelques démangeaisons intimes : sa vie amoureuse n’étant pas des plus florissantes.

Il allait conclure mentalement avec l’une des donzelles quand il arriva au carrefour sans nom. Le ménestrel chantonnait à haute voix, lui qui pensait être seul, son récit prenait forme et il s’accordait le beau rôle avec jubilation et envie. Quand soudain, il tressaillit : une belle, telle que la décrivait sa chanson, apparut devant lui.

Elle était plus belle encore qu’il n’avait pu l’imaginer. Elle laissait transparaître un sein merveilleux qui s’offrait à son admiration, sa chevelure flottait au vent. Sa blancheur contrastait avec la nuit qui s’installait progressivement sur la vallée. Notre musicien resta bouche bée. Jamais il n’avait vu apparition plus splendide.

Il n’était pas au bout de ses surprises car trois autres beautés surgirent de nulle part ; plus attirantes les unes que les autres. Après des semaines d'abstinence, notre pauvre musicien en perdait la raison. Il ne savait plus où poser son regard concupiscent. L’une avait des fesses à vous damner, l’autre des proportions qui en faisaient une statue antique, la troisième un sourire à vous faire fondre et les seins de la première avaient d'emblée subjugué le ménestrel.

Ses yeux sortaient de leurs orbites, ses cheveux se dressaient sur son crâne, il se sentait pris de frissons et de bouffées de chaleur dans le même temps. Il se comportait de bien étrange manière, il bavait, écumait, avait la langue pendante et n’aurait rien eu à envier au loup de Tex Avery s’il avait eu le bonheur de le connaître. Je tairai, par décence, les modifications morphologiques qui accompagnaient ces manifestations plus visibles, quoiqu’à bien le regarder, les quatre nymphettes n’eussent aucun doute quant à l’effet qu’elles produisaient sur le bonhomme.

Il y avait diablerie dans ces apparitions en dépit du regard angélique des donzelles. Le ménestrel allait défaillir quand la plus jeune prit la parole d’une voix à vous damner. « Beau musicien, fais-nous danser toute la nuit. De ton instrument, enchante nos âmes, réjouis nos cœurs et, au petit matin, tu auras la plus belle récompense que tu puisses rêver ! »

Le Ménestrel ne se fit pas prier. Il avait une petite idée et une grande envie de la récompense suggérée. Il joua de son psaltérion-une cithare qui avait un cœur percé en son centre- avec une inspiration sublime. Les belles faisaient rondes et ballets autour de lui, lui susurraient des mots tendres, lui octroyaient œillades et baisers envoyés à la volée.

Plus elles aguichaient le musicien, plus sa mélodie se faisait gracieuse et plus le pauvre homme bouillait d’impatience et de désir. Les belles se faisaient lascives. Elles laissaient de plus en plus entrevoir des peaux diaphanes et des merveilles de courbes et de rondeurs. Jamais on n’entendit plus belle musique sur les bords de Loire, jamais on ne vit danses plus torrides.

Puis le jour se leva, la récompense du Ménestrel était proche. Son cœur battait la chamade, il avait les doigts tout usés d’avoir ainsi joué une nuit entière sans interruption. Il venait de vivre la plus belle de ses nuits, il pensait toucher le Graal et jouir sans retenue des belles danseuses quand soudain, à l’instant même où l’astre solaire faisait son apparition sur la Loire, les danseuses se métamorphosèrent en louves. Elles filèrent bien vite et pénétrèrent dans une grotte creusée dans le tuffeau.

Le pauvre ménestrel ne put supporter ce mauvais coup du sort. Il avait tant espéré, que la rouerie des diablesses le mit au désespoir. Il détacha une à une les cordes de sa cithare, les noua entre elles et choisit un chêne vénérable. Il se pendit dans l’instant, sans signe de croix ni la moindre prière pour sauver son âme. Les soubresauts de la mort furent accompagnés d’une éjaculation somptueuse et magistrale.

Dans l’instant même où la semence du défunt toucha le sol, un bouquet de mandragores sortit de terre et le pauvre garçon se transforma en loup. Ainsi l’endroit fut-il nommé : « le Carrefour du Loup pendu ». On attribue bien des vertus magiques à la mandragore et on laissa la dépouille du loup pourrir sur son arbre.

Depuis, il se murmura longtemps dans la région qu’il y avait, chaque nuit, grand sabbat dans la grotte à flanc de vallée. Quatre louves et un vieux mâle faisaient sarabande amoureuse au son mystérieux d’un instrument à cordes, venu d’on ne sait où. Ainsi se répandent les légendes qui aiment à voyager au fil du courant …

Mélodieusement leur.


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