Une
Faribole bien de chez nous !
Il
était une fois, en une époque très lointaine, une rivière qui
comme beaucoup de ses congénères, avait la fâcheuse habitude
d'entraver le passage des gens. L'Échandon, puisque tel est son nom,
se traversait à gué quand elle était de bonne composition. Mais il
lui prenait parfois l'envie de se faire grosse et infranchissable.
Le
seigneur des lieux, le brave Vicomte de Montchenain, voulait laisser
trace en son domaine et faire belle et bonne action pour tous les
pèlerins de Compostelle qui avaient choisi une ancienne voie romaine
: la via Turenonsis, pour passer sur ses terres. Nous sommes en
pleine guerre de Cent Ans, le désordre est tel, dans cette belle
région de Touraine, que les hommes ont bien autre chose à penser
que de construire un pont de pierre.
Sur
la Loire, en cette époque lointaine et bien troublée, des villes
avaient confié au Malin la construction de leur pont. Notre Comte ne
désirait pas abandonner une âme, fut-elle celle d'un chat, pour
obtenir satisfaction. Voilà un notable qui avait un peu de
conscience, la chose est fort rare et mérite d'être soulignée.
Il
avait aussi étrange prémonition. Son pont allait entrer dans
l'histoire, il avait eu des voix qui lui demandaient de mettre sur
cette rivière grand pont de pierre pour laisser passer, le moment
venu, une demoiselle s'en allant en guerre pour chasser l'Anglois du
pays. Voilà qui lui causait grands tourments et belle contrariété.
Comment allait-il satisfaire ses acouphènes ?
L'homme
avait beau être bon chrétien, il avait encore un petit fond de
paganisme en lui. Il n'hésitait jamais à consulter une birette ou
bien un sorcier pour éclaircir ses idées et prendre la décision
qui convient pour la bonne marche de son domaine. Il consulta une
vieille folle qui avait la réputation de barrer les brûles, de
rebouter les membres et de dire la bonne fortune. Elle pouvait tout
aussi bien jeter un vilain sort mais nous ne lui en tiendrons pas
rigueur !
Notre
birette lui demanda, chose étrange, de s'agenouiller un soir de
pleine lune devant le chêne foudroyé au bord de la rivière. Il lui
faudrait, lui dit-elle, faire offrande de crapauds et de tendres
caresses pour les belles dames blanches qui sortiraient de là. Le
Comte ne voyait pas d'un mauvais œil ce petit plaisir nocturne. Il
n'aurait qu'à s'en confesser un peu plus tard !
Le
soir propice, il quitta nuitamment sa châtelaine qui dormait
profondément. L'histoire prétend que la dame ronflait tout autant
qu'elle avait mauvais caractère et que notre homme n'avait pas
besoin de faire un pont pour chatouiller les fées, la nuit, dans les
clairières, mais vous savez tout autant que moi que les gens sont
médisants !
Tout
se passa comme la vieille folle lui avait dit. À sa prière, trois
belles dames sortirent de l'arbre. Le Comte n'était pas homme à
reculer devant l'épreuve, il honora comme il se doit les dames pour
qu'ensuite, elles lui bâtissent ce pont au milieu de la rivière.
Les fées, apparemment satisfaites des services du gaillard, firent
grand et beau pont de pierre par-dessus l'Échandon. Il avait trois
arches, chaque fée voulant ainsi honorer la courtoisie du seigneur.
Émerveillé
par le travail de ces dames blanches, le Comte voulut les remercier à
sa manière. C'est alors, que soudain surgit sa femme. La Châtelaine
avait eu vent de quelque chose et se mit dans une colère
épouvantable quand elle surprit son mari dans les bras de ces dames.
Elle hurla et menaça, voulut lever la main sur les bonnes fées qui
disparurent bien vite dans la blessure du chêne. On ne les revit
jamais plus !
La
scène qu'elle fit alors au brave homme fut sans doute terrible. Il
allait passer de vie à trépas quand soudain, du fond de la rivière
grand et bruyant tumulte se fit entendre. On ne dérange pas les fées
quand elles sont en plein travail et encore plus quand elles
perçoivent la juste récompense de leurs efforts. Un mauvais génie
sortit des flots et d'un grand coup d'épaule souleva l'arche
centrale du pont !
Depuis,
ce pont a conservé ce dos d'âne qui rappelle cette histoire et la
réputation du maître de ces lieux. L'histoire aurait pu en rester
là mais notre Comte n'avait pas pour autant abandonné ses vilaines
manières. Quand quelques années, plus tard, en 1429, une petite
bergère passa par-là, allant quérir en l'église Sainte-Catherine
de Fierbois, une épée pour accomplir son œuvre divine, elle trouva
sur sa route ce gentil luron qui lui fit subir bien des tourments
avec un étrange braquemart..
Mais
de cela, nous n'en avons jamais eu aucune preuve. Il est des
réputations comme pour les fables : on ne prête qu'aux riches ! Si
les fées assistèrent à ce qu'on a toujours voulu nous taire, elles
n'en diront jamais rien. Elles avaient gardé un souvenir ému des
talents du Comte de Montchenain ! Ce fut également le cas pour notre
petite Jehanne, c'est du moins ce qu'on prétend entre Esvres et
Saint-Branchs ...
Féériquement leur
Féériquement
sien.
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