Une
légende contreversée
Il était une
fois un gentil moine de l'ordre des Récollets. C'était un brave
franciscain habillé de gris. Simple et bonhomme, il aimait à
jardiner pour ses frères et sortait peu du couvent. Il faut dire que
le pauvre père Fouessard était porteur de malformations
congénitales qui en faisait la risée des enfants et des gens
malintentionnés. Pourtant, il n'y avait pas plus paisible et brave
que ce bonhomme-là !
La vie est
souvent injuste pour qui est affublé d'un bec-de-lièvre et d'une
tache lie-de-vin sur le visage. Le bon père Fouessard portait sa
croix, acceptant les insultes et les lazzis comme une épreuve
envoyée par le Très Haut. Afin de ne pas en rajouter, il ne sortait
qu'à la nuit tombante, pour de longues promenades en bord de cette
Loire qu'il chérissait tant. Sur les rives désertes, à l'écart,
il évitait ainsi les humains si malveillants .
Le père
Fouessard respectait la règle des Récollets. Il portait une longue
barbe et son capuchon sur la tête . Ces détails accentuaient
la peur qu'il pouvait inspirer mais il n'en avait cure ; c'était
un homme doux et généreux, toujours disposé à rendre service à
qui sollicitait son aide. Comme Saint François, le fondateur de son
ordre, c'est avec les animaux que s'exprimait le mieux sa bonté
d'âme.
On ne sait
pourquoi, les bêtes, d'instinct, apportent aux âmes en peine ce
réconfort que ne peuvent comprendre les humains, affligés d'yeux
bien incapables de voir au fond des cœurs. Notre gentil moine tenait
conversation avec toutes les créatures du Bon Dieu sur les rives de
notre rivière. Il parlait aux oiseaux et aux mammifères, caressait
les poissons qui, à son approche, surgissaient à la surface . Il
préférait de loin cette immense et sage confrérie à celle plus
impitoyable des méchants animaux debout sur leurs deux pattes !
Etait-ce sa
malformation qui lui permettait ainsi de se sentir si proche de nos
frères les animaux ? Etait-ce sa bonté intérieure ? Nul ne le
sait et bien rares étaient ceux qui se souciaient de comprendre cet
homme. Les moines, c'est à dire ses frères, regardaient d'un
mauvais œil ses escapades nocturnes. Le père abbé jugeait qu'il y
avait diablerie dans de telles pratiques qui lui revenaient parfois
aux oreilles. Même chez les hommes de Dieu, celui qui vit à
l'envers des autres est montré du doigt.
Imaginez donc
ce qui se murmurait à Marcigny et dans la région. Quelques témoins
oculaires rapportèrent que le père Fouessard tenait conversation
avec les animaux. Bien vite une inquiétante rumeur circula et
s'enfla : un sorcier au hideux visage, aux cheveux hirsutes, à
la barbe gigantesque, avait pris possession du corps d'un moine des
Récollets.
Les gens se
signaient désormais en le voyant au loin. Les enfants tremblaient
d'effroi rien qu'à l'évocation de son nom. Il représentait la plus
redoutable menace; les parents promettaient d'aller quérir le père
Fouessard quand un garnement refusait de se montrer obéissant. Sa
réputation ne cessa ainsi de s'amplifier de la pire des manières.
Sa vie devenait insupportable y compris au sein du couvent.
Au mois de
décembre lors de la saint Nicolas, fête célébrée à Marcigny
comme dans toutes les villes du bord de Loire où le patron des
mariniers était l'objet d'une pieuse dévotion , la foule des
grands jours se pressait à la procession. Les mariniers, comme il
se doit, allaient en tête devant les représentants du clergé et
de la noblesse. Seul, le père Fouessard fut prié de ne pas
participer à la fête.
Ce
bannissement tombait bien et notre bon moine en profita pour
s'isoler, comme à l'accoutumée, en bord de rivière et retrouver,
loin des malveillants, ces êtres naïfs qui voyaient en lui le
meilleur des hommes . Que se passa-t-il alors ? Le bon père
Fouessard , entouré de ses amis se tenait dans une clairière .
Le sol était boueux : en décembre, il ne peut en être
autrement, et notre moine allait nu-pieds. C'est alors qu'il glissa
sans pouvoir se retenir et sombra bien vite dans des eaux
tumultueuses et hostiles.
C'est ainsi
que quelques jours plus tard, on découvrit son corps, encore plus
laid que de son vivant car gonflé et déformé. Il tenait,
fermement agrippée dans une main, dans un réflexe de survie sans
doute, une poignée de baguettes souples de noisetiers qu'il avait
arrachée à la rive dans sa chute. Sa disparition avait jeté
l'effroi ; les plus folles rumeurs avaient circulé. Bien rares
étaient ceux qui croyaient à l'accident. Le sorcier avait rejoint
Lucifer, son maître, dans un geste de défi aux lois de Dieu !
Les baguettes
qu'il tenait dans sa main furent à l'origine d'une fable que chacun
se plut à diffuser tant le bonhomme était repoussant et méchant à
leurs yeux. Elles se firent martinet pour punir les enfants et le
père Fouessard devint rapidement le père Fouettard pour ne pas
laisser reposer son âme. Il servit à menacer les enfants, effrayer
les esprits simples. La légende l'associa bien vite au bon Saint
Nicolas puisqu'il était mort au lieu de célébrer le bienheureux.
On ne prête
qu'aux riches dit-on. Celui-ci était pourtant bien pauvre et on lui
prêta tant et si bien les plus noirs desseins que bientôt, dans
tous les pays, et même dans les lointaines contrées de l'Est, se
répandit la légende du père Fouettard . Rien n'est pire dans ce
monde que de ne pas être comme les autres. Le bon père Fouessard ,
mort de cette terrible loi , avait hérité, ce qui est pire que
tout, d'une éternité de douleur et de haine.
Seuls les
animaux, depuis cette date funeste entre toutes, se retrouvent en
bord de Loire la nuit de la Saint Nicolas ; formant un cercle
immense, ils honorent le plus fidèle serviteur de Saint François
d'Assise. Jamais le petit peuple des bêtes ne manque ce rendez-vous
et, transmis de génération en génération, se déroule ce rituel
magnifique. Il faut avoir les yeux de la simplicité pour voir ce
qui échappe aux méchants comme pour croire à l'histoire que je
viens de vous confier.
Animalement
leur.
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