mercredi 2 août 2017

Le bateau lavoir.


Sans tambour ni trempette



Il était une fois, en un temps pas si lointain, une rude tâche qui incombait exclusivement à la femme. C'était bien avant l'invention qui révolutionna la vie domestique et fit entrer le monde dans l'ère du modernisme. Le tambour ne résonnait pas encore dans tous nos foyers et les dames devaient aller faire trempette là où l'eau courait …

Elles étaient les lavandières, le mot est joli pour une tache rude et ingrate. Le dos plié, les mains dans l'eau, l'effort intense et le risque bien grand. Car, voyez-vous, une femme en cette posture, la croupe déployée au regard du passant ne peut hélas que provoquer la concupiscence d'hommes toujours en mal de délicatesse.

Sur les bords de notre Loire, il y avait, comme partout dans le pays, des lieux aménagés pour que viennent s'y retrouver les lessiveuses. L'union fait la force et elles espéraient ainsi se retrouver à l'abri des gestes déplacés. Ceci aurait pu être le cas, si sur le fleuve ne circulaient alors des braillards et des mauvais garçons toujours prompts à soulever un jupon d'autant plus facilement que celui-ci était en si friponne posture.

Nos lascars avaient bien sur leur chemin quelques lanternes rouges pour assouvir leur gourmandise. Nous savons ce qu'il en était des venelles à quatre-sous et autres rues borgnes de nos villes. Cependant ils avaient plus souvent la bourse à écus vide quand celles de leurs caprices étaient prêtes à rompre. Les débordements ne manquaient hélas pas dans de telles conditions !

Bien vite les maris du pays trouvèrent parade à la chose qu'ils ne goûtaient que très modérément. S'ils aimaient à se rincer l'œil sur la croupe de la voisine, ils ne supportaient pas que d'autres poussent le caprice plus avant en y jetant leur dévolu et bien autre chose. Ils construisirent des lavoirs clos et couverts, pour isoler leurs dames de ces vilains mariniers.

Tant qu'elles avaient les mains dans l'eau, nos belles lavandières étaient désormais tranquilles mais le labeur fini, il fallait bien étendre le linge. C'est là qu'elles trouvaient encore des pinces qui préféraient leurs parties charnues au linge qu'il fallait accrocher sur le fil. Les bras en l'air, le drap à la main, la pauvre ménagère était bien vulnérable à cette attaque aussi sournoise que déplacée.


C'en était trop pour tous ceux de ce pays qui avaient dignité et moralité. Il faut souvent soigner le mal d'où il vient et un bienfaiteur de l'humanité laborieuse et blanchisseuse eut l'idée de prendre les mariniers frivoles et grivois à leur propre piège. Il construisit un bateau pour que les dames soient enfin à l'abri de ces navigateurs sans scrupule.

Le premier bateau lavoir vit ainsi le jour sur un port de notre Loire. Au premier niveau, les dames pouvaient tout à loisir laver le linge dans l'eau puisque le pont avait des orifices destinés à cet usage tout en étant totalement hors de portée des œillades déplacées. Au second étage, un espace couvert et largement aéré permettait un séchage rapide du linge sans qu'on n'attente une nouvelle fois à leur honneur. Une passerelle permettait l'accès à ce lieu désormais imprenable car il était facile d'en interdire l'accès.

Voilà un nouvel et déplorable aspect de notre marine de Loire. Les historiens n'ont pas souhaité dévoiler les dessous de la création de nos bateaux lavoirs. Maintenant que vous en avez découvert les secrets, vous ne regarderez plus cet édifice du même œil.

Si par hasard, vous passez à Orléans, vous comprendrez mieux quelles sont les étranges intentions de ces quelques mariniers d'aujourd'hui qui ne viennent sur le bateau-lavoir de notre quai qu'en enjambant le bastingage. Munissez-vous alors, comme les dames d'antan, d'un battoir pour leur faire l'accueil qu'ils méritent.

C'est ainsi qu'il faut laver le linge sale, sans tambour ni trempette !

Mèredenisement vôtre.

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