Sans
tambour ni trempette
Il
était une fois, en un temps pas si lointain, une rude tâche qui
incombait exclusivement à la femme. C'était bien avant l'invention
qui révolutionna la vie domestique et fit entrer le monde dans l'ère
du modernisme. Le tambour ne résonnait pas encore dans tous nos
foyers et les dames devaient aller faire trempette là où l'eau
courait …
Elles
étaient les lavandières, le mot est joli pour une tache rude et
ingrate. Le dos plié, les mains dans l'eau, l'effort intense et le
risque bien grand. Car, voyez-vous, une femme en cette posture, la
croupe déployée au regard du passant ne peut hélas que provoquer
la concupiscence d'hommes toujours en mal de délicatesse.
Sur
les bords de notre Loire, il y avait, comme partout dans le pays, des
lieux aménagés pour que viennent s'y retrouver les lessiveuses.
L'union fait la force et elles espéraient ainsi se retrouver à
l'abri des gestes déplacés. Ceci aurait pu être le cas, si sur le
fleuve ne circulaient alors des braillards et des mauvais garçons
toujours prompts à soulever un jupon d'autant plus facilement que
celui-ci était en si friponne posture.
Nos
lascars avaient bien sur leur chemin quelques lanternes rouges pour
assouvir leur gourmandise. Nous savons ce qu'il en était des
venelles à quatre-sous et autres rues borgnes de nos villes.
Cependant ils avaient plus souvent la bourse à écus vide quand
celles de leurs caprices étaient prêtes à rompre. Les débordements
ne manquaient hélas pas dans de telles conditions !
Bien
vite les maris du pays trouvèrent parade à la chose qu'ils ne
goûtaient que très modérément. S'ils aimaient à se rincer l'œil
sur la croupe de la voisine, ils ne supportaient pas que d'autres
poussent le caprice plus avant en y jetant leur dévolu et bien autre
chose. Ils construisirent des lavoirs clos et couverts, pour isoler
leurs dames de ces vilains mariniers.
Tant
qu'elles avaient les mains dans l'eau, nos belles lavandières
étaient désormais tranquilles mais le labeur fini, il fallait bien
étendre le linge. C'est là qu'elles trouvaient encore des pinces
qui préféraient leurs parties charnues au linge qu'il fallait
accrocher sur le fil. Les bras en l'air, le drap à la main, la
pauvre ménagère était bien vulnérable à cette attaque aussi
sournoise que déplacée.
C'en
était trop pour tous ceux de ce pays qui avaient dignité et
moralité. Il faut souvent soigner le mal d'où il vient et un
bienfaiteur de l'humanité laborieuse et blanchisseuse eut l'idée de
prendre les mariniers frivoles et grivois à leur propre piège. Il
construisit un bateau pour que les dames soient enfin à l'abri de
ces navigateurs sans scrupule.
Le
premier bateau lavoir vit ainsi le jour sur un port de notre Loire.
Au premier niveau, les dames pouvaient tout à loisir laver le linge
dans l'eau puisque le pont avait des orifices destinés à cet usage
tout en étant totalement hors de portée des œillades déplacées.
Au second étage, un espace couvert et largement aéré permettait un
séchage rapide du linge sans qu'on n'attente une nouvelle fois à
leur honneur. Une passerelle permettait l'accès à ce lieu désormais
imprenable car il était facile d'en interdire l'accès.
Voilà
un nouvel et déplorable aspect de notre marine de Loire. Les
historiens n'ont pas souhaité dévoiler les dessous de la création
de nos bateaux lavoirs. Maintenant que vous en avez découvert les
secrets, vous ne regarderez plus cet édifice du même œil.
Si
par hasard, vous passez à Orléans, vous comprendrez mieux quelles
sont les étranges intentions de ces quelques mariniers d'aujourd'hui
qui ne viennent sur le bateau-lavoir de notre quai qu'en enjambant le
bastingage. Munissez-vous alors, comme les dames d'antan, d'un
battoir pour leur faire l'accueil qu'ils méritent.
C'est
ainsi qu'il faut laver le linge sale, sans tambour ni trempette !
Mèredenisement
vôtre.
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