« Lug,
viens à son secours ! »
Par
Toutatis, voilà bien ce qui devait lui arriver à force de réveiller
les vieilles légendes celtes, les mages et les fées Carabosse. Il
se pensait pourtant à l’abri du désastre : lui, qui avait
la tête dans les nuages, il regardait tout ça avec distance et un
petit sourire en coin. Il feignait de ne pas croire aux vieux dieux
de notre Panthéon ligérien quand soudain Taranis fit tomber la
foudre sur son crâne tourmenté …
C’est
dans un bruit de tonnerre qu’il se réveilla en sursaut. C’en
était fini de ses songes : les douces illusions finissent par
se briser au contact du réel. La vie est ainsi faite qu’elle
impose toujours des désillusions et des trahisons, des coups tordus
et des reniements. Au chant du coq, l’affaire était réglée :
il était déchu, tombé de son clocher d’en France pour trois écus
et quelques seaux de ce son dont on nourrit les ânes.
Si
un magnifique arc-en-ciel barrait alors le paysage au dessus de la
Loire, c’était pour mieux faire flèche de tous bois. Il était
pris pour cible, percé au cœur d’une étrange langueur. Il
n’était plus rien qui puisse sauver le barde, ligoté et
bâillonné ; il se retrouvait, une nouvelle fois, sur la
branche d’un chêne, dernier gland de la récolte. Sa prose ne
plaisait plus à qui l’avait jadis chantée.
Comment
se relever dans pareilles circonstances ? Le ciel en tombant eut la
délicate attention de lui accorder un rayon de Lune. C’est ainsi
qu’il se libéra de ses entraves, qu’il découvrit enfin que rien
ne valait la liberté et l’indépendance. À vouloir emprunter
d’autres pas, à croire qu’il n’était pas assez grand pour
côtoyer les étoiles, il avait obscurci son ciel et réduit son
horizon. Les pieds nus ne suffisent pas quand ils se contentent de
suivre les pas d’un autre.
Un
ciel qui tombe si bas repousse au loin les nuages noirs et menaçants.
Le voici sur un territoire neuf, un espace à réinventer. C’était
ce qu’il fallait pour retrouver des ailes ; ses semelles
s’étaient usées à trop traîner les pieds. Désormais, il avait
le terrain dégagé et l’envie de brûler les étapes. La prudence
cependant s’imposait à ce « raconteux » de fredaines :
le risque était grand pour lui de devenir étoile filante, de
celles qui se brûlent les ailes à la première occasion.
Le
ciel mis à bas, il n’avait plus qu’à se bâtir un nouveau
monde, un décor de légende et de mystère. Le temps était venu de
déchanter pour ne plus se consacrer qu’aux histoires à dormir
debout. L’absence de ciel dans la nue étant propice, il faut bien
le reconnaître, à cet étrange dessein. Faire rêver les gens en
plein jour, loin des projecteurs factices d’une scène où l’on
ne fait que brûler les planches à son propre ego .
C’est
dans le petit cercle des veillées d’autrefois que le conteur
trouvera sa place. Le ciel lui en est témoin : il avait eu la
folie des grandeurs, il poursuivait une inaccessible étoile. Se
retrouver le nez dans le gazon était ce qu’il y avait de plus
salutaire. Loin des grèves et rivages, le diseux de sornettes dut se
réfugier dans la grande forêt des Carnutes. Même si un vénérable
druide à la serpe d’or lui coupa l’herbe sous le pied, il reste
encore des pissenlits avant que de les déguster par la racine. Il
avait encore le temps ; lui qui aime tant à les savourer avec des
œufs mollets, voilà qui lui faisait une belle jambe !
Merlin
lui vint en aide. Un petit souffle de vent se fit brise légère.
Elle repoussa tout ce fatras qui encombrait sa tête. Il redevenait
homme nouveau, libéré de ses fardeaux. Une nouvelle existence se
présentait à lui. Comme les chats noirs, il avait encore une
dernière vie dans sa manche. Il pouvait enfourcher son balai pour
voler vers cet ailleurs qui était souvent bien meilleur.
Tout
cela n’est pas sorcier. Nul philtre ni potion. Ce que je viens de
vous narrer n’est pas le fruit de son imagination ; notre
homme n’a pas respiré les vapeurs du gui que l’on brûle. Le
ciel lui est effectivement tombé sur la tête ; la preuve en est
cette bosse qu’il arbore fièrement sur le crâne : un
véritable œuf de poule aux œufs d’or qu’il s’est empressé
de cacher dans sa bourriche à malice.
Il
jouit de toute sa déraison ; il n’a plus de conte à rendre à
personne. Il est désormais le seul maître à son bord. Compte tenu
de son détestable caractère, c’est ce qui devait lui arriver de
plus profitable. Il reprendra la route, débarrassé de ses doutes.
C’est au pays des contes qu’il va poser ses valises, là où les
rêveurs construisent des châteaux de Cocagne.
Célestement
sien.
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