vendredi 18 août 2017

L'épervière de mon île.



Les sept marches de pierre …



Il y a bien longtemps de cela, dans la région du bec l'Allier, vivait sur une île, alors totalement inaccessible, un jeune homme que le caprice de l'existence et une destinée étrange avait laissé là, seul au milieu de nulle part. Fort heureusement pour lui, sa prison était assez grande pour receler de quoi pourvoir à sa survie, d'autant qu'il était devenu expert dans l'art de trouver dans la rivière de quoi compléter le quotidien.

Bien plus tard, quand son histoire commença à être connue, il hérita du prénom de Robinson. Les naufragés ne peuvent échapper à ce patronyme, les hommes manquent souvent d'imagination. Le garçon avait sans doute passé quelques années sans jamais trouver l'occasion de s'enfuir de ce piège auquel d'autres, pour de mystérieuses raisons, l'avaient condamné. Il était parfaitement impossible en cet endroit de regagner une rive. Le courant y était fort, l'eau profonde et Robinson ne savait pas nager.

Quand notre garçon atteignit l'âge de compter fleurette, il se morfondait sans trop savoir pourquoi sur son petit bout de terre au milieu de l'eau. Il ignorait tout de l'existence de la femme ce qui n'empêchait nullement que ses nuits étaient agitées de rêves aux pulsions énigmatiques. Il lui fallait fuir au plus vite, courir le monde à la quête de ce qu'il ne connaissait pas mais dont il pressentait l'existence au plus profond de son être.

Robinson (appelons-le ainsi par facilité ou mimétisme) décida qu'il mettrait toute son énergie au franchissement de ce bras d'eau qui le séparait de l'autre monde. Il y avait un goulet plus étroit qui selon lui, pouvait se traverser en effectuant sept appuis sur des pierres aux sommets plats pourvu qu'elles soient assez épaisses.

Il partit à la recherche de ces gros rochers qui lui serviraient de planche de salut. Il en trouva six, conformes à ses désirs. Les mener jusqu'à la rive, les pousser dans l'eau pour les aligner parfaitement et les maintenir en bonne position ne fut pas une mince affaire. Robinson pour isolé qu'il était , n'était pourtant pas dépourvu d'intuition. À l'image d'Archimède, dont il ne pouvait avoir connu la science, il utilisa des bras de leviers et des points d'appuis pour réussir ce prodige.

Hélas, il lui manquait une septième pierre. Il eut beau faire le tour de son domaine, fouiller dans tous les recoins, pas d'autres rochers de calcaire à se mettre sous la dent. Il avait fait tout cela pour rien, c'était vraiment trop injuste. Il en était là de ses ruminations, le cœur encore plus mal qu'avant sa vaste entreprise quand une nuit de pleine lune, un rayon plus brillant que tous les autres, sembla pointer un endroit précis sur le sable.

Celui qui vit en symbiose avec la nature accorde plus que tout autre une grande importance aux signes ou aux présages. Robinson avait cette sagesse de croire et vit dans ce rayon étincelant, le signe d'un espoir fou. Il creusa comme le fou qu'il n'allait pas tarder à devenir, il y mit l'énergie de son désespoir. Bientôt, ses ongles ripèrent sur une surface dure, le septième rocher était à portée de main. Son énergie décupla, il fit tant et si bien qu'au petit matin, la pierre était entièrement libérée de sa gaine de sable, posée au fond d'un immense trou.

La fatigue, la nuit passée à creuser à la seule force de ses doigts l'avaient mis dans un état d'épuisement absolu. Dans un dernier sursaut de réflexion, avant de sombrer dans un lourd sommeil, il se rendit compte que jamais, jamais au grand jamais, il ne parviendrait à sortir ce monstre de pierre du trou dans lequel il l'avait découvert. Il s'endormit en pleurant toutes les larmes de son corps …

Combien de temps il pleura ainsi, nul ne le saura jamais. Il se peut que des jours et des nuits se succédèrent au rythme lancinant de son sanglot inextinguible. Il coula tant de larmes de ce corps sans espoir qu'à son réveil, une trouée s'était creusée qui rejoignait la rivière. La pierre avait roulé, elle était là au bord de la Loire, prête à trouver sa place au bout de cette chaussée de géant.

Son réveil fut plein d'enthousiasme. Il se pensait au bout de ses peines. Il se voyait déjà courant la campagne à la recherche de ce mystère qui mettait son sang en ébullition. Il lui fallait faire vite, il voulait s'enfuir de là. Bien vite, sa fougue retomba. Malgré toutes les stratégies qu'il avait élaborées pour survivre depuis si longtemps, aucune ne lui permettait de porter ce rocher au delà des six autres affleurements qu'il avait installés.


Cette fois, plus de larmes mais un abattement terrible. L'envie d'en finir lui avait traversé l'esprit. Il ne voulait plus rester en cet endroit qu'il maudissait désormais. Quand on est ainsi dans l'impasse, que le précipice est tout proche mais qu'on a le cœur pur et l'esprit naïf, on se met parfois dans les conditions idéales pour que s'accomplisse un miracle.



Les forces mystérieuses viennent toujours au secours du conteur placé devant un défi insurmontable. Au pied du rocher, préservée par miracle de l'écrasement du colosse de pierre, une petite fleur jaune attira son attention. Que se passa-t-il dans son esprit bouleversé ? Nul ne le saura jamais. Il coupa délicatement la petite fleur et l'embrassa, dernier geste sans doute avant d'accomplir l'irréparable.

Comme chacun sait mais feint de ne pas le croire, il y a toujours une bonne fée dissimulée quelque part dans des endroits et en des apparences insoupçonnables. La facilité de l'auteur les place souvent en de bien vilaines postures : crapauds ou bien vipères, monstres ou vieilles sorcières, dragons ou oiseaux de malheur. Qu'elle soit ici sous les traits d'une petite fleur va encore accentuer les doutes des incrédules ! Qu'importe puisque c'est la seule vérité qui soit, Robinson embrassa la fleur et une jeune fille blonde et gracile surgit de ce baiser.

Elle ne prit pas la peine de lui demander ce qu'il désirait le plus au monde. Quand on a des pouvoirs magiques, on se targue aussi de lire dans l'esprit de ceux qu'on veut exaucer . Immédiatement le rocher trouva sa place, la septième, permettant ainsi de franchir le bras et de quitter l'île en quelques pas acrobatiques.

Robinson refusa ce qu'il désirait jusqu'à peu le plus au monde. Il prit la jeune fille dans ses bras et la serra si fort qu'il comprit dans l'instant la nature de tous ses tourments. La douce fée après avoir passé tant d'années loin du commerce des hommes , fut sensible à la fougue empressée du jeune garçon et s'offrit à lui sans autre forme de préliminaire.

Tous deux, alternativement découvrirent la feuille à l'envers, dans le même temps s'extasièrent de la plus puissante des fulgurances. L'amour était né là où jamais il ne semblait vouloir s'épanouir. Sur l'île entre Loire et Allier, Robinson et Épervière connurent des jours merveilleux. Leurs ébats firent tant de tapage que bientôt des berges voisines, des curieux vinrent s'enquérir de la raison de tout ce bruit. Bientôt c'est la simple curiosité ou bien des projets moins avouables qui les poussèrent tous en ce lieu, désormais accessible grâce aux sept marches de pierres.

Robinson et Épervière repoussèrent aimablement les premiers. Bientôt ce manège fut incessant. Si la jeune fille faisait toujours bon visage et repoussait d'un sourire indulgent les vilains curieux, Robinson sentait poindre en lui les stigmates de la jalousie, de la colère et de pulsions plus violentes encore. Il était tellement excédé qu'il souhaita si fort que la septième marche n'eût jamais été placée au milieu de l'eau …

Hélas pour lui, sa bonne fée n'avait jusque là exaucé que deux de ses vœux. La répétition pour le second semble ne pas avoir été prise en compte. Les fées aussi s'accordent quelques souplesses dans le protocole de leur mission. Nous ne lui en tiendrons pas rigueur. Mais cette fois, elle était bel et bien confrontée à une nouvelle exigence qu'elle exécuta promptement.

La septième pierre disparut aussitôt et l'île de Robinson était à nouveau inaccessible. Sa mission accomplie (chacun sait qu'une fée ne satisfait jamais plus de trois vœux), elle disparut aussi mystérieusement qu'elle était venue. À sa place et en souvenir d'elle, sur l'île, des petites fleurs jaunes surgirent sur le sable et les graviers..

Robinson venait de perdre à jamais celle qui avait enchanté les plus beaux de ses jours. À vouloir préserver ce don du ciel, il avait repoussé ce qui était à l'origine de son bonheur. Ne coupez jamais la branche sur laquelle vous êtes assis, même si c'est pour éloigner les jaloux et les médisants, les fâcheux et les curieux. À oublier ce précepte élémentaire, Robinson sombra dans la folie et disparut peu de temps après. Mais il nous a laissé sur quelques bancs de sable, de petites et fragiles fleurs jaunes qu'on nomme Épervière de Loire. Ne vous aventurez jamais à les couper, il n'est plus temps de croire aux fées. Préservez cette merveille, ce sera la seule leçon qu'il faut retenir de cette histoire.

Floralement vôtre.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...