À
croire avec modération !
Toutes
les fables ne sont pas nécessairement à la gloire de notre marine
de Loire. Celle que je vais vous céder ici n'est pas à mettre dans
toutes les bouches. Qu'importe, fort de ma volonté de ne jamais rien
vous dissimuler, je me dois la vérité pure. Je ne mettrai pas d'eau
dans mon vin pour complaire aux modes, voici donc, telle qu'elle est
vraiment, la déplorable fable de la bouteille d'Or.
Il
était un temps fort lointain de nous où nos braves mariniers ne
buvaient jamais d'eau. Pour décommandée que soit cette pratique,
elle n'était pas du seul fait de cette belle coopération. Ne
jugeons pas avec nos yeux d'aujourd'hui des pratiques du temps jadis.
Il en irait d'ailleurs de même dans l'autre sens. Gardons-nous de
nous penser supérieurs à nos glorieux anciens !
Fils
de Galarne était un marinier fort réputé. Sur la rivière, il n'y
avait pas meilleur que lui pour lire les flots, déchiffrer les
pièges et trouver le bon passage. Il connaissait la Loire comme nul
autre et avec lui, le voyage était un long chemin tranquille. Mais,
en ce bas monde, toute médaille a son revers, celui du gars Fils de
Galarne tenait du débordement ….
Notre
bonhomme avait, une fois à terre, un goût intangible pour le
cruchon. Il allait de taverne en troquet, d'estaminet en auberge et
buvait plus que de raison. Lui qui était d'une sobriété exemplaire
sur l'eau, perdait toute modération quand il avait les deux pieds
sur la berge. Un mal de terre en quelques sorte, qui le faisait
tourner barrique !
En
ce temps là, le marinier était assez souvent en congé. La vacance
de la navigation était fréquente. Les aléas de la rivière, le
trop d'eau ou bien le pas assez, la glace, les fêtes chômées ou
bien les retards des marchands, on pouvait perdre à terre bien des
jours à ne savoir que faire. Alors Fils de Galarne les occupait à
lever le coude et à perdre la tête.
Malheureusement
pour lui, une fois son vice assouvi, le pauvre bonhomme ne savait
plus où il habitait. Il allait au hasard et se perdait dans la
nature. Il perdait la boussole, errait avant que de se bauger dans
une « bouchture » pour cuver son trop plein. C'eût été
un matelot ordinaire, le capitaine ne l'aurait pas attendu, mais sa
science du chenal était telle qu'il envoyait des hommes à sa
recherche, ce qui parfois, prenait des heures précieuses.
N'en
pouvant plus, le capitaine, homme avisé et ayant le bon sens des
gens de Loire considéra le problème posément. Il connaissait en
Berry un «jeteux » de sort, un mauveuseur, un sorcier qui
avait plus d'un maléfice dans sa besace. Il lui expliqua bien plus
vite que moi ce qui le souciait. Il n'avait pas besoin de mettre les
formes, le berrichon était de ces hommes avec lesquels on n'a pas
envie de s'attarder en paroles.
Après
quelques incantations, deux ou trois crachats et des pratiques
incertaines, le Jean Cou tendit une bouteille d'Or au capitaine.
Celui-ci fut très surpris de cette offrande. C'était justement la
source de ses maux et voilà que le sorcier voulait soigner le mal
par le mal. Mais on doit pas contrarier les forces obscures, en homme
avisé, notre marin le savait bien.
C'est
alors que le sorcier lui expliqua que cette bouteille d'Or avait un
pouvoir maléfique. Quand on la faisait rouler sur elle-même en la
posant à même le sol, le goulot pointait toujours en direction de
la Loire. Ainsi donc, le pauvre Fils de Galarne retrouverait son
chemin en dépit de son état. C'était bien le souhait qu'on lui
avait demandé d'exaucer !
La
bouteille fit des merveilles et depuis ce jour, Fils de Galarne
rentrait au bateau. Il n'est pas nécessaire de s'attarder sur son
état mais dès le lendemain, quand on larguait les amarres, il était
frais comme un gardon et remplissait sa mission avec la même
conviction qu'il vidait les flacons le soir d'avant. Bientôt, sur
les rives de Loire, on parla beaucoup de cette bouteille mystérieuse,
elle faisait bien des envieux qui avaient tout comme Fils de Galarne
quelque soucis d'orientation après libation.
Quand
Fils de Galarne fut emporté d'une incompréhensible embolie, il y
avait bien des candidats pour hériter de la précieuse amulette. On
organisa dans le pays une grande course sur la rivière, de Sancerre
à Chinon, les plus hardis se lancèrent à la descente du fleuve
chevauchant chacun sa barrique. C'est celui qui eut la meilleure
descente qui fut récompensé comme il se doit.
La
marine de Loire périclité, les mariniers disparurent et les
tavernes fermèrent les unes après les autres. De la bouteille d'Or,
on n'entendit plus jamais parler. Pourtant, il se murmure qu'elle a
fait sa réapparition, quelque part sur un quai de Loire. Il y a une
auberge où le flacon mystérieux trône à la place d'honneur. Il se
murmure, voudrez-vous me croire, qu'après une soirée bien arrosée,
il suffit d'embrasser le cul de cette belle bouteille pour bénéficier
de la clémence du diable.
Celui
qui a effectué ce rituel peut rentrer tranquille ! S'il croise sur
sa route de zélés gabelous des temps modernes, il peut sans crainte
souffler dans leur étrange petite pipette délatrice, elle ne
changera pas de couleur. J'ai une fois constaté de mes propres yeux
ce miracle douteux. Un garçon qui avait bu quelques verres échappa
à la colère légitime de la maréchaussée. Comme on le dit souvent
dans le pays, il n'y a de chance que pour les ivrognes. Si en prime,
des diableries se mêlent à la chose, il n'y a pas de quoi en être
fier !
Bacchanalement
vôtre.
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