L'impossible
rencontre.
Il
était une fois, il y a bien longtemps de cela une belle princesse
qui s'ennuyait à mourir dans son château de Langeais. La demoiselle
dépérissait de ne trouver jamais personne à son goût. Elle avait
repoussé tous les prétendants de la place, les princes d'alentour
et même quelques nobliaux sans fortune. Son père se désespérait
de la voir ainsi, assise toute la journée, le regard dans le vague.
Le
pauvre homme craignait par dessus tout que sa fille, son enfant
unique, ne termine ses jours dans un sombre couvent. Il rêvait de
voir son beau château peuplé d'enfants joyeux, animé de belles
fêtes au lieu de quoi sa magnifique demeure seigneuriale était
devenue une lugubre forteresse des plaintes et des larmes.
Antoinette,
puisque c'est ainsi que se nommait la pauvre jeune fille, tissait du
matin au soir, le regard perdu sur la Loire qui coulait à deux pas
de là. Rien ne pouvait la distraire d'une tâche mécanique qu'elle
réalisait sans joie. On devinait en elle une mélancolie si grande
que beaucoup s'inquiétaient même de sa survie.
Un
jour pourtant le charmant minois de la belle princesse s'illumina
d'un sourire qu'on ne lui connaissait pas. Au loin sur la rivière,
une barque avançait. Un pêcheur s'y affairait. De l'homme, on ne
devinait que la silhouette mais on percevait distinctement le chant
mélodieux. Antoinette fut émerveillé par la douceur de cette voix,
la beauté des paroles qu'elle parvenait à entendre.
Tous
les soirs, la barque arrivait et le pêcheur chantait. C'était pour
Antoinette un moment de grâce qui comblait sa triste existence.
Petit à petit, elle devint plus joyeuse, elle retrouvait de belles
couleurs, elle sortait à nouveau de ce château qui était devenu,
pour elle, au fil du temps, une prison dorée.
Le
prince, son père, avait observé cette métamorphose sans bien
comprendre les raisons de cet incroyable changement. Qu'importe, il
se reprenait à espérer pour sa fille des jours meilleurs et une
descendance qu'il appelait de ses vœux. Il était près à n'importe
quelle concession pour que ce miracle prenne corps.
Un
soir, il comprit ce qui avait ainsi transfiguré sa chère fille. Sur
la Loire une barque avançait, Antoinette cessa toute activité pour
se pencher à une fenêtre du château. Elle écoutait le doux chant
mélodieux de celui qui jetait son filet. Le pêcheur avait conquis
son cœur, le roi en était désormais convaincu. Il n'était que de
voir le regard dans le vague de sa chère fille !
Immédiatement
le prince fit mander le pêcheur. Des gardes se hâtèrent d'aller
chercher l'homme qui avait pris possession de l'esprit de leur
maîtresse. Bientôt, c'est un vieil homme tout ridé, marqué par
les morsures du soleil et de l'eau qui se présenta à eux.
Antoinette pâlit, elle fit mauvaise mine à celui dont elle ne
connaissait que la voix enchanteresse.
La
belle s'était amouraché d'une illusion. Il y avait tant de
différence d'âge et de condition entre ce pauvre homme et sa noble
personne qu'aucune relation ne serait jamais possible. Le prince
comprit aussi bien vite la méprise et se contenta de donner une
bourse bien pleine au pêcheur pour qu'il s'en allât loin du château
poursuivre son métier.
Ce
que le Prince n'avait pas prévu, c'est que le vieil homme, ce pauvre
pêcheur de modeste condition fut frappé sur le coup par la grâce
de la princesse. Lui qui n'avait jamais rien attendu de l'existence,
qui avait toujours vécu solitaire sur la rivière, venait au
crépuscule de sa vie de découvrir les vertiges de l'amour. Il en
était bouleversé, le souffle coupé et la tête tourneboulée.
Il
empocha la bourse et s'en alla loin du beau château de Langeais. Ce
que Prince veut, Prince doit l'obtenir sur le champ. Alexandre,
puisque tel était le nom de notre Pécheur savait qu'il ne pouvait
rester désormais dans la région. Il s'en alla le cœur gros, son
filet sous le bras et l'âme en peine.
Il
n'alla pas très loin. La Princesse lui avait provoqué une plaie
mortelle. Il s'effondra non loin de là et mourut le sourire aux
lèvres. On dit dans le pays que jamais on n'avait vu défunt ayant
visage aussi radieux. Il y avait un tel prodige que bien vite on se
pressa de le mettre sous terre, juste en face de sa belle rivière.
Le
temps passa. Antoinette se morfondait à nouveau dans la tour de son
château. Plus rien désormais n'allait pouvoir la sortie de cette
mélancolie qui l'avait reprise aussitôt le départ du pêcheur. Le
Prince savait que rien ne changerait son destin, sa lignée allait
s'éteindre et le château changerait de mains. Il fallait s'y
résoudre.
C'est
à ce moment qu'une étrange rumeur sillonna le pays de Langeais. Des
plus curieux que d'autres, des hommes de peu de foi et de grande
audace avait exhumé le corps d'Alexandre le bienheureux, car c'est
ainsi qu'il avait été surnommé dans la région. Ils espéraient
sans doute trouver le secret de ce mort si heureux. Ils n'espéraient
certes pas retrouver le pécule du Prince qui avait été promptement
vidé à la découverte du corps. Seule la bourse de cuir avait été
restitué à ce propriétaire qui l'avait emporté sous terre.
Les
profanateurs avaient dit-on découvert un caveau vide au sein duquel
seule une bourse de chevreau trônait en son sein. La cupidité les
avait poussé à ouvrir ce trésor et quel ne fut pas leur surprise
d'y découvrir une modeste et mystérieuse pierre de Loire. Un galet
tout plat et poli par la rivière, noir et pourtant brillant de mille
feux.
Le
Prince se fit fort de retrouver ce talisman étrange. Il y mit assez
de prix pour que les découvreurs osent sans honte ni crainte la
porter au château. Bien vite, il en fit un collier qu'il offrit à
sa fille. Antoinette, recluse dans sa tour glaciale et sinistre
n'avait eu vent d'aucune rumeur. Elle fut surprise d'un tel présent.
Le
collier à la pierre polie aussitôt passé à son cou, la demoiselle
fut prise d'étranges convulsions. Elle s'effondra presque
immédiatement avec au visage un sourire angélique qui ne lui
donnait nullement les traits habituels du trépas. Le Prince fut
frappé d'effroi tout en devinant qu'un prodige avait eu lieu sous
ses yeux.
Antoinette
fut enterrée là où le pauvre pêcheur avait été mis en terre. On
dit que de ce jour, en cet endroit, poussent les plus belles fleurs
du pays. La végétation y est devenue si dense que beaucoup de
jeunes gens y viennent s'y dissimuler pour y vivre des ébats
magnifiques. On dit encore que ceux qui ont ainsi vu la feuille à
l'envers en ce lieu mystérieux, seront heureux ensemble tout le
reste de leur âge.
Bien
des années plus tard, Honoré de Balzac choisit ce château pour y
raconter une histoire d'amour impossible. Il savait sans doute qu'une
légende avait fleuri non loin de là. C'est ainsi que la Princesse
devint Duchesse et que notre pêcheur devint général. Mais
qu'importe cette seconde histoire, c'est à la première qu'il est
temps de rendre justice.
Si
vous ne voulez pas me croire, allez donc compter fleurette en bord de
Loire à quelques lieues en aval du château. Vous verrez votre vie
bouleversée et vous saurez alors que je ne dis pas toujours
n'importe quoi ! Vous pourrez même, au moment le plus intense de
votre extase, entendre au loin une douce chanson et deux voix se
mêler pour vous enchanter. C'est Antoinette et Alexandre, unis enfin
en dépit de toutes leurs différences. Si vous avez la chance
d'entendre leur chanson, jamais la vie ne vous sera morose. Je vous
laisse choisir votre destin, la Loire et cette fable valent bien une
petite entorse à la bienséance. Accordez-vous donc quelques amours
ligériennes, vous en serez transformé.
Bucoliquement
vôtre.
Aquarelle de Sophie Rémy
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