lundi 18 mars 2019

Inauguration du Suave



Déroulé de l'intervention du Bonimenteur
 
 


Il fut une époque glorieuse durant laquelle le canal d’Orléans n’était pas ce bel écrin endormi, oublié de beaucoup et surtout détourné de sa fonction première. Les péniches allaient et venaient, les hommes, les ânes, les femmes et les enfants tiraient des bateaux chargés de marchandises qui rejoignaient la Capitale.

Un petit peuple bruyant emplissait les tavernes, égayait le chemin de halage. Le temps n’était pas au développement durable et pourtant, la sagesse était de mise, le fret allait à son petit train de sénateur, au fil de l’eau et des écluses qui lui ouvraient grand ses vantaux.

L’histoire du canal d’Orléans est porteuse de belles heures et de quelques heurts. Inauguré en 1692 quand il s’ouvrit à la Loire dans son écrin de Combleux, il avait tout d’abord été l’œuvre d’un seul homme, forestier avisé selon la légende Robert Mayeux, qui en 1676 chercha à rejoindre le Loing et le grand frère : le canal de Briare, premier canal de ligne de partage des eaux au monde.

Trois ans plus tard, Le Duc d’Orléans envisagea un prolongement pour jeter un pont entre Loire et Seine au départ de Combleux. La réalisation ne fut pas aussi simple, les défis techniques, les aléas économiques, les controverses entre les décideurs demandèrent temps et aménagement avant que la jonction se réalise. Une belle page allait s’ouvrir qui ferait de Combleux la perle de l’Orléanais.

Grande fut alors l’activité économique. Des deux mille péniches à l’origine, le canal en reçut sur ses biefs jusqu’à 5 630 en l’année 1875, apogée de son activité. La mort de la Marine de Loire allait mettre à mal ce canal tandis que son homologue de Briare, relié au centre est de la France par le canal latéral, recevait jusqu’à 12 000 embarcations en 1913.

La fin de l’aventure fut scellée en 1954. Les écluses se fermèrent, abandonnées des hommes, murées ou bien désertées. Le pauvre Canal se contenta de la visite des pêcheurs alors qu’il fut un temps envahi de poissons chats. Cette magnifique percée bleue au cœur de la forêt d’Orléans dormait d’un sommeil profond. Y aurait-il un prince Charmant pour venir la réveiller ?

La Caravane de Loire fut un bel espoir, un sursaut magnifique à l'initiative d’un Conseil qui s’appelait alors Général. Ceux qui n’étaient pas encore des Loirétains se retournèrent vers ce décor de contes de fées. Ils comprenaient qu’ils avaient là un Patrimoine qu’il convenait de remettre en état. Les élus suivirent ou précédèrent ce mouvement mais la crise économique fit capoter ce magnifique rêve.

Pourtant les successeurs des mariniers d’antan avaient attrapé le virus. Que ce soit à Grignon, à Vitry ou bien à Combleux ils désiraient tous retrouver ce chemin qui marche. Des projets naquirent, des folies se réalisèrent comme l’incroyable Belle de Grignon. Des animations virent le jour sur le canal sans hélas qu’il puisse être parcouru d’un bout à l’autre.

L’état en se désengageant totalement de ce trésor qu’il avait laissé à l’abandon offre un nouvel espoir. Le Conseil Départemental du Loiret s’est porté acquéreur, le désir fou des mariniers semble à nouveau possible, des travaux ont repris, notre beau canal va peut-être revivre.



C’est dans ce contexte que l’histoire du Suave mérite de vous être contée.

L’aventure d’une flute berrichonne.


Bonjour, née en 1930, je suis un automoteur berrichon, ou flute berrichonne si vous préférez même si personne ne me mènera jamais à la baguette. Entièrement métallique contrairement à ma sœur jumelle la Belle de Grignon, je suis sortie des chantiers navals du Pas de Calais à Boulogne sur mer. C’est monsieur Lucien Blond, un batelier de Saint Amand Montrond dans le Cher qui fut mon acquéreur. C’est pourquoi je suis étroite pour m’adapter au format Canal de Berry.

Le 28 août 1930 j’étais immatriculée Li 8534 F, le numéro d’Insee des péniches en somme et j’ai été baptisée : Suave. Je suis assez fière de ce nom que j’ai dû abandonner un temps après une erreur administrative. En toute modestie, ce nom me va comme un gant, tant mes lignes sont d’une douceur exquise.

C’est un moteur de 100 CV qui me donna des ailes et la possibilité de transporter jusqu’à 114 tonnes de marchandises. À ma naissance, je me suis montrée intrépide. Pensez donc, il m’a fallu prendre la mer à Boulogne pour gagner nos canaux, là où je pouvais tranquillement faire mon train. J’en ai encore des sueurs froides, ce fut une aventure périlleuse mais que c’était exaltant.

Puis j’ai fait mon ouvrage, ce pourquoi j’avais été construite. Je ne m’en suis d’ailleurs pas privée. De 1941 à 1945, j’ai transporté du bois que je chargeais à Fay-aux-Loges pour chauffer ces pauvres parisiens en mal d’énergie en cette époque douloureuse. J’ai changé de nom et de canal en 1964. Il n’y avait plus ni place ni ouvrage pour moi sur un canal fermé depuis dix ans. Je me suis retrouvée dans l’Ain à port Bressan avec un sobriquet latin, moi la berrichonne pure souche. « Modus Vivandi », vous parlez d’un blase !

J’ai échoué en 1988 à Roanne, tout près de ma chère Loire. J’étais en fort mauvais état, quelque peu négligée par mes propriétaires. C’est d’ailleurs des gens du Loiret qui se sont souvenus de moi alors que je devenais un pauvre tas de ferraille oublié. Madame Irénée Bouquin, fille de Lucien Blond, avec une immense émotion, reconnaît Le Suave sous son nouveau patronyme. Elle met tout en œuvre pour me sauver !

Un premier projet de restauration est lancé par les communes de Lorris Coudroy et Vieilles-Maisons dans la perspective d’une exploitation touristique. Faute de moyens sans doute, le projet échoue en 1994. C’est alors au tour de la ville de Donnery de me prendre sous sa coupe dans l’idée de créer un musée du Canal. Nous sommes le 12 avril 1995 et je suis vendue pour la somme rondelette de 1 franc lourd. En juillet de la même année je quitte le port de Choiseau pour m’amarrer dans un autre port d’attache : Donnery.

J’ai droit à une belle toilette. On me bichonne moi la belle berrichonne coquette. On me refait la peinture extérieure et quelques travaux d’intérieur. Je suis fin prête pour reprendre l’eau, ce que je fais le 22 juin 1996. Pour le millénaire de Mardié je m’offre même une croisière de Donnery à Pont aux Moines. Je fais par la suite un passage en 2000 à Combleux et j’avoue avoir eu ce jour-là un coup de foudre pour ce magnifique endroit.

Le 28 avril 2005, le projet de musée tombe à l’eau. Je change de propriétaire, rétrocédée que je suis à la SMGCO : syndicat mixte de la Gestion du Canal d’Orléans : une fois encore abandonnée à mon triste sort d’épave flottante. C’est devant l’usine électrique, elle aussi oubliée de tous, près du hameau de Nestin sur la commune de Fay aux Loges que je rouillais tout en me désespérant quand des bienfaiteurs ont eu pitié de moi. Les membres de l’association les Chemins de l’eau m’ont fait les yeux doux. Comme ils venaient de Combleux, j’étais toute disposée à me laisser ravir.

Ce fut fait. Grâce à eux j’ai repris le goût de la navigation. Ce ne fut d’ailleurs pas une mince affaire que de rejoindre le port de Combleux. On me hala, on me lesta pour passer sous une grande route qui me contraignit à baisser la tête, on me fit passer des écluses remises en état.


Je suis arrivée dans ce port d’attache, magnifique écrin ligérien, pour y subir les soins attentifs et affectueux de mes amis. Je me suis faite belle et c’est ainsi que je vais de nouveau retrouver mes couleurs et mon honneur, retrouvant vie, navigation et utilité. Moi la Suave, la belle flute berrichonne, je vais être célébrée par des musiciens, passant de village en village pour faire la fête.

Les élus m’inaugurent ce mardi 12 mars 2019. Ensuite, durant tout le mois de mars, je vais être honorée à Combleux, Mardié, Chécy, Donnery, Fay-aux Loges tout le long de la partie accessible du canal. Il me tarde de vous sentir dans mes entrailles, de retrouver le canal et ses écluses et qui sait, d’aller un jour prochain jusqu’à Montargis. Le canal doit revivre et je suis la preuve vivante de l’opiniâtreté des gens de l’eau.

Ma marraine est Nadine Thiais Delamour, un nom qui m’enchante .et/C'est une femme qui n’a eu de cesse de vouloir me sauver. En voisine, elle habite à Fay aux Loges, elle a beaucoup espéré en la naissance du musée du Canal à Donnery. Devant l’impossibilité de l’association Les Amis du Canal d’aller au bout de leur projet, c’est elle qui a continué à me chérir dans une indifférence presque générale

Les adhérents des Chemins de l'eau sont venus à son aide. Désormais, madame Delamour, ma chère marraine, fille de batelier, n’était plus seule pour me redonner vie. Elle qui a vécu toute sa jeunesse sur une péniche au gabarit Freycinet - Ses parents vivent à Saint-Mammès, Irénée la fille de Lucien Blond est leur voisine - tiendra mon macaron et tant pis pour ceux qui ne comprennent pas ce terme. C’est un honneur pour moi, d’autant plus qu’elle est également la marraine de la Belle de Grignon.
Merci à tous ceux qui un jour ou l’autre m’ont tendu la main et tout particulièrement à Irénée et Nadine. Je leur en serai éternellement reconnaissante. D’autres prendont le relais, mes amis du chemin de l’eau, leur président Jean Louis Sénotier, et aussi Pascal, Philippe, Eric et Antoine qui me piloteront à leur tour sur un canal enfin en activité.

Je n’ai qu’une chose à vous dire : « Bienvenue à mon bord !


Que fais-tu éclusier éclusier ?

Que fais-tu éclusier ?
Tes portes sont fermées
Que veux-tu mon ami ?
Je veux partir d'ici

Je reste prisonnier
Au canal ligoté
Vous qui allez ailleurs
Je vois votre bonheur
Je rêve de grands espaces
D'horizons qu'on dépasse
Bien loin de ce bief
Dont je me fais grief

Refrain

Entre ces gros vantaux
Prisonnier d'un tombeau
Qui vide l'espérance
D'être enfin en partance
Et à chaque éclusée
Mon cœur est saigné
De cette eau qui s'en va
Quand moi je reste là …

Refrain

Du fond de ton radier
Te voilà déprimé
Viens donc sur ma péniche
Avec ce cœur en friche
Partons loin d'ici
Laisse donc tes soucis
La vie est bien trop courte
Pour rester sur tes doutes

Refrain

Nous irons par le monde
Tu vas ouvrir la bonde
Nous nous évaderons
À l'envers de l'amont
L'océan m'est témoin
Tu seras mon marin
Compagnon de voyage
Le rêve en ton sillage

Que fais-tu éclusier ? Tes yeux sont tout mouillés
Je suis parti d'ici Avec toi mon ami
Que fais-tu éclusier ? Tes portes sont fermées
Que veux-tu mon ami ? Je veux partir d'ici



Il était une fois Rosalie



Combleux fut longtemps un charmant village vigneron lové en bord de Loire jusqu’à ce que le canal, inauguré en 1692, ne transforme radicalement l’existence de ses habitants. Deux siècles et demi durant, la vie à Combleux sera ponctuée par la confrontation culturelle entre culs-terreux et chie-dans-l’eau. Suivons Rosalie, une enfant du pays, le temps de ce petit voyage dans le passé du village des mariniers à travers quelques épisodes significatifs de la vie ligérienne.

Elle s'appelle Rosalie. Cette gamine est la seconde fille d'un couple de paysans. L'homme travaille la vigne, la femme élève des chèvres. Rosalie a de la chance : son père accepte de l'envoyer à l'école paroissiale. Elle va y apprendre à lire : un privilège à l'époque pour les filles, que les familles préfèrent habituellement garder à la maison.

Rosalie est vive, indépendante ; elle aime par-dessus tout la Loire et le canal. Elle voue une amitié secrète au père Léon, un batelier du canal qui vit dans une petite cabane quand il n'est pas sur sa flûte berrichonne.

Léon a enseigné à la gamine le secret des plantes ; on le dit un peu sorcier. Il lui a surtout transmis le virus de la navigation. Un jour où le bonhomme devait livrer des fûts à Orléans, il l'a prise sur sa péniche pour franchir l'écluse et plonger dans la rivière. La gamine n'oubliera jamais ce grand moment. Elle se jure de naviguer à son tour ….

Quand Rosalie atteint ses douze ans, le temps est venu de la mettre au travail. Elle a de la chance : la mère Victoire, qui tient l'Auberge de la Marine, cherche une jeune servante ; elle apprécie la gamine qu'elle connaît un peu. Après bien des hésitations, dues à la réputation des mariniers qui fréquentent l'auberge, les parents de Rosalie acceptent.

La Petiote, comme l'appellent les mariniers, fait des merveilles. Elle court partout, sert des chopines, débarrasse les tables. Elle est appréciée de tous et gare à celui qui s'aventurerait à lui manquer de respect, la mère Victoire veille et ne s'en laisserait pas conter.

Rosalie grandit, elle devient une belle jeune femme qui a beaucoup de succès parmi les gars qui vont sur l'eau. Quant à elle, elle n'a d'yeux que pour les mariniers, son rêve étant de faire un grand voyage un jour …

C'est François, un bel Angevin qui eut sa préférence. Ils se plurent, ils se marièrent. François était secret : il ne lui disait pas tout. Il vivait surtout de faux-saunage : le trafic du sel. La gabelle avait disparu mais le sel était toujours autant taxé. Il allait le chercher en Bretagne pour le livrer en Anjou.


Un jour, il fut surprit par des gabelous à bord de leur patache. Il plongea pour leur échapper, ne revint jamais à la surface. Son corps fut repêché quinze jours plus tard, enterré dans une fosse commune. Rosalie apprit le malheur de la bouche d'un compagnon de son homme qui avait assisté à distance au drame. Elle était veuve avant d'avoir été vraiment épouse.


Rosalie avait vécu auparavant bien des misères. Elle avait connu le terrible embâcle de 1789. La Loire et le canal pris par les glaces durant cinq semaines. Une horreur ! Puis était survenu le redoux et pire que tout, la débâcle ou la resserre comme disent les mariniers. Une vague gigantesque avait tout noyé, tout détruit ; bateaux, hangars, maisons.

Rosalie pensait avoir connu le pire. Il lui fallait refaire sa vie. C'est vers un autre marinier qu'elle jeta son dévolu ; encore un gars de la Loire d'en bas, un natif de Montjean : Élie. Il était avisé, marinier courageux et travailleur. À force d'économie, Elie était devenu voiturier, il naviguait pour son propre compte.

Il acheta un champ de pommiers sur pied . La récolte fut excellente. Il chargea son chaland et remonta jusqu'à Combleux en train de bateaux. Là, le train se disloqua et chacun remonta le canal à son rythme. Élie demanda à Rosalie de l'accompagner, enfin, elle allait naviguer !

Ce furent les seuls moments de joie et de bonheur pour elle. Rosalie était libre, elle allait sur l'eau comme elle l'avait toujours espéré, enfant. Elle repensait à son vieil ami Léon, elle saluait les femmes qui étaient à l'ouvrage dans les lavoirs. Elle montait à la capitale. Durant quelques jours elle vendit des pommes avant que de pouvoir, l'espace d'une seule journée, flâner dans les rues de cette grande ville.

Puis ce fut le retour de son unique navigation. Elie avait négocié un fret pour le retour : des fûts vides pour faire vieillir le vinaigre chez Dessaux. Rosalie se voyait faire ainsi chaque année ce merveilleux voyage ; il lui fallut déchanter. La roue avait tourné : les vapeurs prirent la place des chalands avant que le chemin de fer ne mette tout le monde sur la terre ferme.

Elle ne ferait jamais ce grand et long trajet sur la Loire dont elle avait toujours rêvé , elle resta à jamais attachée à son quai de Combleux qui bientôt se dépeupla. Elle connut des inondations terribles, des drames, des malheurs mais jamais, ô grand jamais, elle ne cessa d'aimer la Loire, de l'admirer et de lui vouer une vénération sans faille.

Rosalie était enfin de la rivière et du canal. Elle avait grandi dans cet écrin merveilleux : son village de Combleux, la perle de l'Orléanais. Elle continua à travailler à l'Auberge de la Marine, là où l'esprit du vent de Galerne souffle à tout jamais. Poussez la porte de l'établissement et humez cet atmosphère unique. Ici, la Loire renoue avec son glorieux passé et si vous fermez les yeux, vous pouvez retrouver Rosalie, Victoire et tous les mariniers d'alors !

À l’Auberge de la Marine
À deux pas du fleuve royal
Sous les Tilleuls et la Glycine
Attablés au bord du Canal
Dégustons l’anguille en matelote
et un bon verre de muscadet
Qui nous purge de toute cette flotte
Où l’on trempe toute la journée

À l’Auberge de la Marine
Où accostent les mariniers
Qui aimaient la bonne cuisine
Et le vin de l’Orléanais


La flûte percée.


Il y a parfois des confusions qui se jouent des hommes pourvu qu’ils soient simples d’esprit ce qui est le cas de notre ami Berlaudiot. Il allait le long du canal d’Orléans, quémandant sa pitance contre quelques menus travaux quand il fut intrigué par l’état de désolation d’une vieille ferme en bord de canal.

Le gentil vagabond, toujours prompt à rendre service quand on lui offre à boire, à manger et parfois de quoi dormir se dit qu’il devait y avoir de l’ouvrage dans pareil endroit. Tout malhabile qu’il était, il ne disposait pas moins d’un courage à toute épreuve qui lui valait belle réputation dans la région.

Il s’approcha de l’endroit, vit là une vieille femme éplorée. Sa maisonnette était envahie par une troupe de rats. Les rongeurs avaient fait tel carnage qu’il ne lui était plus possible d’entrer chez elle. Pire encore, alors qu’ils n’avaient plus guère à se mettre sous la dent, les monstres refusaient de sortir, parvenaient à mettre en déroute chats, chiens ratiers, belettes et même un renard qu’on avait fait venir pour l’occasion.

Berlaudiot se souvint d’un conte que sa grand-mère lui racontait dans son enfance. Elle avait été la seule à le comprendre, à lui apporter de l’intérêt et de l’affection. Elle avait surtout peuplé son esprit d’histoires et de légendes qui, aux dires des gens raisonnables, avaient perturbé son cerveau. Lui savait qu’il n’en était rien. Il était différent, voilà tout.
Alors le gentil diable se mit en demeure de trouver un sureau, de choisir une belle branche bien épaisse puis après l’avoir coupée, il en fit une merveilleuse flûte.


Tout simplet qu’il était, il savait fabriquer et surtout jouer d’un instrument de musique. Il s’approcha du repère des rats, leur joua un air berrichon, une valse lente qui envoûta véritablement les rongeurs. Ils le suivirent alors qu’il se dirigeait vers une cuve.
Les animaux, un par un tombèrent dans le piège qui fut hermétiquement fermé, laissant à un sort peu enviable ces bêtes à la réputation délétère. La vieille femme se réjouit de cette délivrance avant bien vite de se désoler de l’état de sa demeure. Berlaudiot se mit à l’ouvrage et en quelques jours, il rendit apparence acceptable à l’intérieur de la fermette.

L’exploit fit grand bruit dans le pays. Ainsi le gentil idiot était capable de chasser les rats. Nous étions justement à la grande période de transport du grain. Les péniches sur le canal étaient chargées les unes de blé, les autres d’orge ou de seigle afin d’alimenter la Capitale. Un chargement de céréales est délicat, il menace toujours de s’échauffer, danger d’autant plus redoutable quand les bateaux sont en bois. Il faut remuer fréquemment les grains, prendre des précautions et encore éviter les attaques de rongeurs.

« Que Berlaudiot vienne donc jouer de la flûte près de nos péniches, nous serions débarrassés d’un gros souci ! » s’écria un batelier plus malin que les autres. « Nous n’aurons qu’à lui donner un peu de goutte et du pain. Il sera bien assez content avec ça ! » L’idée fit le tour du port de Grignon, on salua la proposition par un hourra et sur le fait on envoya quérir le bredin.


Le joueur de flûte fit son ouvrage mélodieusement. Une fois encore, le charme opéra. Les rats, à la queue leu-leu quittaient les navires, descendaient prudemment par la planche de rive avant que d’aller se jeter, dans la cuve maudite. À chaque péniche débarrassée de cette vermine, des hourras ponctuaient les notes du flûtiste.


Quand au soir, il n’y eut plus un seul rongeur parmi les grains, les bateliers qui n’avaient pas attendu Berlaudiot s’étaient regroupés à l’Auberge de la Marine. Ils chantaient et levaient leurs verres à la santé de l’imbécile qu’ils avaient oublié de récompenser.

Berlaudiot, pour niaiseux qu’il donnait l’impression d’être, se dit que ces gredins méritaient bien une bonne leçon. Pour qu’elle serve, il convenait qu’elle soit exemplaire tout autant que symbolique. Il avait plus d’un tour de fifrelin dans sa musette, lui qui était passé maître dans l’art de la lutherie. On l’avait pris pour une bonne poire, il allait leur montrer que le son qui sort de ce bois-là, n’est pas de nature à complaire aux minotiers.

Il se mit en action, cherchant cette fois une branche de poirier afin de fabriquer une nouvelle flûte. Celle-là ne serait pas berrichonne pas plus qu’elle ne jouerait une valse. Il avait dans la tête une polka endiablée. Il lui fallait bel instrument pour la proposer aux bateaux restés à quai tandis que les équipages buvaient à sa santé.


La flûte achevée, il souffla dedans. Elle avait un son mélodieux, entêtant. La mélodie monta dans la forêt et attira dans l’instant tous les pics verts du secteur. Berlaudiot soufflait, soufflait. La polka donnait le rythme et les oiseaux battaient la mesure de leurs becs. Ils se mirent en demeure de percer les bordées des péniches, juste à la bonne hauteur pour que le grain ainsi libéré puisse s’en échapper afin d’aller nourrir les poissons.

Il se dit que cette nuit-là, tandis que les bateliers chantaient des chansons à bien trop boire, les carpes et toutes les brèmes de ce bief firent le plus beau des festins. Elles mangèrent ce que les rats n’avaient pas eu le temps de se mettre sous la dent. C’est ainsi que notre Berlaudiot fit une leçon qu’il espérait profitable aux gueules noires, les mariniers du canal.

Les flûtes qui jouent de la musique disposent de trous pour faire entendre leur douce sonorité. Les flûtes berrichonnes qui ce jour-là transportaient des grains se trouvèrent elles aussi transpercées de part en part. Les oiseaux y étaient allés avec mesure, les hommes purent ainsi apprécier la portée de leur ingratitude.

Il est parfois nécessaire d’enfoncer certaines leçons dans des crânes indélicats. Ce fut ainsi que la chose se passa cette nuit-là sur les bords du canal. Au petit matin, les bateliers retournèrent à leurs flûtes berrichones. Ils avaient le sentiment d’avoir chacun un pic vert qui leur martelait le crâne, c’était peut-être d’avoir trop bu, c’était aussi de n’avoir pas tenu parole.

Berlaudiot, chantonnant gaiement sur le chemin de halage, n’était plus là pour voir la mine déconfite des marins d’eau douce. Ses pas l’avaient porté ailleurs afin de proposer ses services. Puis le travail justement récompensé, il sortait de belles mélodies pour faire le monde danser. Si la musique adoucit les mœurs, elle peut parfois les redresser un peu.



Pour présenter le vin d’honneur

Tout en sifflant une bouteille.

Tout en sifflant une bouteille
J'imagine des merveilles
Tout en vidant une chopine
Je taquine ses copines
Tout en trinquant à ta santé
Je déguste à pleine lampées
Ce nectar magnifique
Tout droit sorti d'une barrique

A résisté, maudit bouchon
Voulait sans doute que je croupisse
Sans atteindre ce doux flacon
À la lisière de ce délice
A traînassé ce vilain garçon
Voulait sans doute que je le maudisse
Ce merveilleux vin de Chinon
Qu'il a vidé dans un calice

Refrain

A fredonné une chanson
Tout en assouvissant son vice
En m' vidant à p'tits gorgeons
Ce qui me mit'en supplice
A tout dégusté mon cruchon
Ne m'offrant qu'un goût factice
Ce n'est qu'un vulgaire poch'tron
Mais qu'on appelle la police !

Refrain

Allez l'ami enfin vidons
Fais de moi ton nouveau complice
Toi qui sera mon vigneron
Moi qui me mets à ton service
Jusqu'au matin, nos verres levons
et toute la nuit sous ces auspices
À bout de force nous trinquerons
À notre ivresse initiatrice




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