dimanche 31 décembre 2023

Le calendrier des postes

 

Faisons comme si de rien n'était !





Il est un objet qui eut son heure de gloire avant que dates et heures ne s’affichent un peu partout sur d’étranges écrans envahissants. Il arrivait alors, comme un cérémonial immuable, quelques jours avant la Saint Sylvestre, porté par un facteur passablement fatigué par ce travail supplémentaire durant lequel, il acceptait de trinquer avec tous ceux de sa tournée.


L’expression « Payer sa tournée » vient peut-être de cette aventure peu banale durant laquelle le brave préposé des postes recevait des étrennes fort méritées tout autant que tous les alcools que l’imagination des uns et des autres était capable de fabriquer. Son désir de ne choquer personne, de ne pas refuser le dernier verre, mettait sans doute notre gentil postier en situation délicate, mais qu’importe, il était en cette époque lointaine, l’ami de toute la famille …


Des rivaux se sont sentis pousser des ailes. L’appétit vorace des poubelles de Noël, poussa certainement les éboueurs (une désignation passée de mode) à venir quémander eux aussi des petites étrennes. Le métier était rude, les hommes de la benne avaient gagné la considération de tous en effectuant une besogne peu ragoûtante en une époque ou tout finissait indistinctement et en vrac dans un réceptacle métallique aux odeurs pestilentielles.


Si le calendrier de la Poste était d’un usage quasi rituel dans les familles ; on y trouvait une fort belle carte du département, trônant au centre de tous les feuillets, des adresses, des renseignements pratiques, le plan des grandes villes de l’endroit et bien d’autres trésors encore, sa couverture était alors l’objet d’une âpre négociation entre les enfants de la famille, celui des collecteurs de tous nos déchets sans distinction n’avait pas la même valeur, mais qu’importe !



Puis les concurrents ont fait flores. Les pompiers ont vu rouge, tout autant qu’ils se sont délectés de cette merveilleuse boisson. Il convenait de ne pas avoir besoin de leurs services un soir de tournée calendaire. L’alcool coulait à flot pour arroser une plaquette sur laquelle tous les engins de la caserne locale brillaient de mille feux. En ce temps-là, nos amis les pompiers rendaient tellement de services, devenus aujourd’hui payants et privatisés, qu’ils héritaient de belles pièces et d’une immense considération.


Les écoles n’ont pas tardé à emboîter le pas même si le petit verre n’était alors plus de rigueur. Le calendrier de la coopérative permettait d’envisager une sortie scolaire. Les enfants vendaient timbres et revues en prime, contraignant proches et voisins à leur faire bonne figure tout en déliant leur bourse. L’apprentissage du mercantilisme en somme.


Les associations sportives ne tardèrent pas à découvrir un filon pour faire tourner la boutique. Le calendrier se démocratisa avec la généralisation de la photographie. Qu’ils sont beaux nos chers petits mignons, en short, avec leurs camarades de l’équipe des poussins ou bien des benjamins. Émus, les parents accordaient leur obole tandis que la réclame apparut sur ce carton qui restait souvent au fond d’un placard.


Du côté des camionneurs et autres routiers, le calendrier prit de la hauteur. Il gagnait en taille et en rondeurs pour y afficher, à chaque mois, une nouvelle dame fortement dévêtue. La période était à la libération des mœurs, le suggestif l’emportant sur la nudité sans entrave. Le papier était glacé tout comme celui des magazines Lui et Play-Boy qui s’échangeaient sous le manteau des écoliers délurés dont je n’étais pas. Autre temps, autre comportement sans doute…


Des grands cartons firent leur apparition. Ils permettaient de s’afficher tout en laissant place aux rendez-vous et autres dates impérieuses. Ils furent les prémices de l’agenda, non pas celui des professions libérales mais celui du commun, qui se suffisait alors de ce tableau, fixé dans un endroit stratégique qu’il convenait de tourner au bout de six mois. Il était particulièrement recherché, c’était un privilège de se le voir offrir par le Journal Local ou bien le gros commerçant de l’endroit.


Les temps ont changé. Je n’ai, à ce jour, pas encore reçu la moindre visite, le plus petit quémandeur, un calendrier sous la main. Le redoutable portail électrique ferme tant de portes ! Signe des temps sans doute, l’objet est voué aux calendes grecques, relégué dans le rang de l’obsolescence en mouvement. Pour valider ce terrible constat, je me dois de lui consacrer ma petite chronique. Puisse-t-elle éveiller en vous quelques lointains souvenirs agréables tout autant que nostalgiques …



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