samedi 24 avril 2021

Sous le sabot d'un cheval …

 Conte à rebours





Il se peut parfois que les contes réservent des surprises et ne se contentent pas de la belle bergère et du prince charmant.


Il était une fois une très vieille femme; ni reine, ni belle, ni riche, ni douée de pouvoirs magiques. Elle allait par les chemins confectionner des brassées de luzerne pour ses lapins, des fagots pour le feu, des bouquets de fleurs sauvages pour les donner à qui les lui demandait. Elle était courbée par l'effort, tremblante et fragile. Elle n'avait ni amis ni famille et, la vie pour elle, s'achevait dans la peine et la douleur.


Il était aussi un vieil homme, ni prince, ni fort, ni particulièrement adroit, ni même capable de prodiges. Il vivait de rapines, détroussait un peu les gens de bien, blasphémait plus souvent qu'à son tour et avait la fâcheuse manie de mentir plus encore qu'un bonimenteur. Il buvait au-delà du raisonnable, sentait mauvais des pieds et de la bouche. Sa vie s’achevait ainsi dans la débauche, la malhonnêteté et la crasse, loin de sa femme ..


La vieille avait tout d’une sorcière ; elle avait été belle, mais c’était il y a si longtemps. Le vieux était pire qu’un démon : personnage rebutant, il était de ceux qu’on qualifie de gibier de potence, un gredin qu’il était préférable d’éviter. C'est avec eux pourtant qu'il me faut poursuivre le récit. Le métier de conteur n'est pas simple : la beauté et la jeunesse passent, la richesse n’est pas le lot commun.


Irène, était d’une immense gentillesse. Vous pouviez toquer à sa porte, elle vous gratifiait toujours d’un sourire édenté et d’un petit gâteau. Quant au vieil Archimède, ses turpitudes l’avaient entraîné sur les chemins de travers. Les uns appellent cela destinée, d'autres, la loterie de la vie.


Irène, il y a bien longtemps de cela, avait congédié Archimède. Las de ses beuveries, ivre de coups, exaspérée par ses forfaits, elle avait trouvé la force et le courage de le mettre à la porte, préférant la solitude à ce mauvais attelage boiteux. L’autre honteux, baissant la tête, conscient de ce qu’il était devenu par la faute de trop d’échecs et de pauvreté, avait disparu de son existence sans demander son reste. Il était allé courir sa mauvaise fortune par monts et par vaux ...


Ce qu’il devint, Irène en eut écho de temps à autre. Un jour en prison, une autre fois en cavale, mêlé à une rixe ici ou bien aliéné quelques temps là)haut, l’homme avait un parcours semé de cailloux. Non décidément Irène ne regrettait vraiment pas de l’avoir mis à la porte !


Irène ce jour-là sentit les premiers signes du grand voyage. Elle était épouvantablement lasse, le souffle court, le cœur battant la breloque. Elle était prête, elle avait fait sa vie même si elle n’avait pas été semée de roses. Elle rangeait son intérieur, voulant laisser sa maison en ordre avant son grand départ. Elle attendait sereine, la grande faucheuse.


C’est alors qu’il y eut grand vacarme sur le chemin. Elle se plaça dans l’encoignure de sa porte. Au loin, un vieillard, courbé en deux, avançait péniblement, traînant la patte, appuyé sur une canne, chaque pas lui demandait un grand effort. À son allure cependant, la vieille crut reconnaître celui qu’elle avait chassé de sa vie. Que venait-il faire ici ?


Elle n’eut pas le temps de trouver une réponse. Dans son dos, plus loin sur le chemin, un chariot tiré par un puissant cheval était mené par un homme étrange. Derrière lui, se tenait debout un comparse. Celui-ci était plus effrayant encore, vêtu de noir, il avait à son côté une faux. C’était à n’en point douter l’attelage de l’Ankou et du Charron venu la quérir. Irène n’avait nulle crainte, elle les attendait.


Mais c’est Archimède qui était en travers de leur course folle. Il devait être sourd puisqu’il ne les entendit pas arriver. Il allait être fauché quand, fort d’un pressentiment, il s’écarta d’un bond surprenant pour son état. Le chariot de la Camarde passa puis disparut sans passager.




Irène se signa. « Qui voit l’Ankou voit sa mort ! » et pourtant ni elle ni son maudit époux n’étaient partis pour l’autre monde. Elle vit Archimède se remettre sur le chemin, se pencher et ramasser quelque chose. Il se remit plus péniblement encore en marche et vint jusqu’à elle. Que lui voulait-il donc ce mauvais diable ?


Archimède lui aussi avait senti sa fin proche, il avait souhaité demander pardon à son épouse avant de quitter cette vallée de larmes. L’émotion qu’il venait de vivre, en frôlant la mort, le priva de la parole. Arrivé devant celle qu’il avait tant fait souffrir, il tendit silencieusement ce qu’il avait ramassé sur le chemin. C’était un fer à cheval en or, incrusté de diamants. La bonne fortune était passé bien trop tard pour lui. Le vieux, s’en retourna sans un mot, Irène vit ses épaules se soulever doucement, il devait pleurer, ce qui n’avait jamais dû lui arriver.


Puis le coupe-jarret, l’aigrefin, le margoulin s’en retourna par le même chemin d’un pas plus lourd encore. Arrivé à l’endroit exact où il avait croisé l’Ankou il s’effondra. Irène n’eut pas besoin d’aller à son secours, elle savait qu’il était trop tard. Elle se dit encore que sa dernière heure allait à elle aussi sonner bientôt. Elle n’avait que faire du trésor remis par cette canaille.



Elle rassembla ce qui lui restait de force pour aller jusqu’à la masure voisine. Il y avait là un jeune couple avec trois enfants en bas âge. L’homme, faute de trouver du labeur régulier avait pris le même chemin que son Archimède d’autrefois. Il buvait beaucoup et levait parfois la main sur son épouse. Irène s’approcha, elle entendit des cris et des disputes, elle profita de ce désordre pour poser sans être vue le fer à cheval sur la table et s’en retourna chez elle.


Quand elle revint dans sa masure, elle ferma la porte et se coucha. Elle était lasse, fatiguée comme jamais. Elle sentait le terrible poids des années sur ses épaules et dans son cœur. Elle ferma les yeux ; pour s’endormir une dernière fois. Elle en était certaine …


Au petit matin, le chant du coq la tira d’un curieux songe. Elle se réveilla, sentit une présence à ses côtés. Elle s'en étonna, tâta ce qui apparut être un corps robuste et ferme qui dormait là. Elle ouvrit les yeux, regarda. C’était Archimède ! Non, pas celui qui était mort la vieille, mais le jeune gars qui lui avait tant plu autrefois. Il était là à côté d'elle.


Irène se leva pour tenter de comprendre ce qui lui arrivait. Elle ne remarqua pas de suite qu’elle se mouvait sans difficulté. Elle vit alors son reflet dans le miroir dépoli de la chambre. Elle aussi avait retrouvé son apparence d’autrefois. Elle était plus belle encore que dans son souvenir, c'est du moins ce qui sembla.



Elle entendit quelqu’un frapper à la fenêtre et lui faire un geste. C’était l’Ankou, elle en était certaine. Elle se retourna pour suivre son geste, sur la table de la cuisine, elle vit trois fers à chevaux, incrustés de diamants. L’apparition s’enfuit non sans lui avoir accordé un clin d’œil.


Il sera une nouvelle fois, un jeune couple de braves gens. Ils vivront une seconde existence heureux et prospères. Le bonheur se trouve parfois sous les sabots d’un cheval.

 

Réincarnement leur.


 

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