lundi 5 avril 2021

La banque des rêves …

 


Un conte courant





Il sera une fois, notre monde privé de rêves. Les humains d’alors s’étaient à ce point connectés avec tout un environnement virtuel, numérique, qu’ils en perdirent petit à petit la capacité de peupler leurs nuits de songes, de cauchemars ou de jolis moments oniriques de leur propre conception. Leurs cerveaux, totalement habités désormais par des puces, des capteurs, des écrans cérébraux, avaient perdu de vue la nécessité de forger eux-mêmes des images, de nourrir l’imaginaire de fictions fabriquées dans le plus secret de leur conscience ou dans les allées obscures d’un inconscient sans tabou.


Oh, bien sûr, les tenants de la psychanalyse continuaient de vendre l’idée de la survie de l’inconscient pour poursuivre leur lucrative exploration. Personne ne pouvant certifier la véracité de leur théorie, les gains étaient aussi substantiels que les certitudes étaient réduites à presque rien. Le divan continuait d’accoucher de jolis parleurs et de futurs grands créateurs. Ceux-là faisaient des rêves sans doute, de gloire et de fortune mais, eux aussi, avaient abandonné l’activité cérébrale nocturne et incontrôlée en état de sommeil.


Le rêve, le vrai, celui dont on a perdu l’essentiel à son réveil mais qui peuple la nuit de douces sensations, d’inquiétantes angoisses, de miraculeuses réminiscences, était donc passé de l’autre côté de la fiction, avait franchi le miroir à la poursuite du lapin d'Alice. Il habitait encore les livres et les films, les récits d’antan et les mythes de jadis mais plus personne ne disposait désormais de cette merveilleuse liberté de la pensée vagabonde incontrôlée.


La fiction n’était plus que du seul ressort des puces, des connexions, des capteurs, des microprocesseurs ou que sais-je encore. Je ne suis pas assez spécialiste en ce domaine pour vous expliquer les processus techniques qui furent mis en jeu pour abolir le pouvoir rêver. Ce qui est certain c’est que les hommes avaient perdu cette fonction, cette capacité, tout comme ils s’étaient laissé déposséder presque simultanément de l’écriture manuelle, de la lecture, de la solitude et de l’ennui.


Ces savoirs ancestraux, ces comportements ataviques étaient rapidement devenus dangereux, subversifs, contre-productifs avant qu’un pouvoir absolu ne se charge, non de les interdire, ce qui les auraient rendus invincibles, indestructibles mais de les rendre parfaitement archaïques, obsolètes, désuets et inutiles. Les écrans miniatures les avaient supplantés, gouvernant dorénavant l’imaginaire et les loisirs. La lecture, uniquement oralisée grâce à des logiciels, devint ainsi parfaitement contrôlable et l’écriture s’était progressivement dissoute par le truchement des enregistreurs vocaux.


On ne rêvait plus et bien vite, des symptômes alarmants accompagnèrent ce que les maîtres de ce monde avaient considéré être un progrès décisif pour l’humanité. Des insomnies, des crises d’angoisse, des suicides en nombre considérable touchèrent la population. L’idée germa alors qu’il fallait mettre en place un ersatz de ce qui avait disparu à jamais ; des rêves, certes, mais parfaitement contrôlés, estampillés, vérifiés et validés par le pouvoir en place.


La banque des rêves vit le jour. Le catalogue prit bien vite de l’importance. Il y avait une infinité de rubriques, une immensité de possibles. Le rêve artificiel relevait à la fois du cinéma d’aventures, du parcours initiatique, des grands contes d’autrefois mais tout cela, passé au crible, au prisme d’une censure sévère qui expurgeait tout ce qui pouvait effrayer, interroger, inquiéter ou donner à penser.


Des sociétés se spécialisèrent dans la construction de ces rêves artificiels. Nulle substance psychotrope pour cela mais un formidable savoir-faire issu des studios de dessins animés, des animations des parcs d’attraction et des concepteurs de télé-réalité. Le rêve était inodore, incolore, inoffensif et asexué. Il assurait un sommeil sans accident, sans dérapage, sans agitation, sans fantasme.


Ce fut la première étape de la grande métamorphose. Le pas suivant pouvait être aisément franchi. La maîtrise absolue des rêves, la dissolution de l’imaginaire permirent d’agir plus profondément sur les cerveaux. La lobotomisation de toute la population pouvait s’amorcer. Elle se fit si rapidement qu’elle échappa à ses concepteurs qui tombèrent aux aussi dans cet effroyable piège.

 

Les humains allaient devenir des robots pour un monde sans querelles, sans amour, sans rébellions, sans plaisir. Les machines avaient totalement pris le contrôle et , par là-même, le pouvoir. Personne n’avait fomenté cette ultime révolution ; homo sapiens n’était plus, homo roboticus avait pris sa place. Tout cela s’était passé en douceur, insidieusement, tranquillement. 

 

Les ordinateurs gouvernèrent quelque temps. N’ayant aucune conscience planétaire, ces belles machines ne purent s'adapter au réchauffement climatique. La surchauffe leur fut fatale. En très peu de temps, toutes furent mises hors d’état de fonctionner. Les robots se trouvèrent totalement démunis en l'absence de toute consigne et perdirent vite la raison. La planète se mourait mais, au moins, avait-elle eu la satisfaction de voir disparaître avant elle la cause de tous ses maux.

 

Apocalyptiquement vôtre.


 

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