mercredi 28 avril 2021

Le renard, le bouc

 

Et tous les autres …

Réflexion sur les métamorphoses !





Un renard qui venait de s'offrir un délicieux camembert de Normandie au lait cru en se jouant d'un stupide volatile perché dans un arbre, se disait en son for intérieur qu'il était bien le plus astucieux quadrupède de la création. Il avançait fièrement dans la plaine, la queue empanachée, toute gonflée d'un orgueil démesuré et la tête haute comme il se doit. Il allait ainsi quand il s'approcha d'un puits qui n'était pas si profond, qu'on ne pût s'y mirer tout à loisir.


Le renard, certain d'être le seigneur de ces lieux, voulut admirer son image. Voilà un miroir des plus commode quand on n'a pas la chance d'en disposer autrement. Il se pencha donc pour confirmer son sentiment d'être la plus belle créature de la création.


Le reflet était en tous points conforme à ce qu'il espérait. Quel beau museau, quel joli dessin des oreilles, quelle harmonie dans les proportions, quel équilibre dans la posture ! Il se jugeait parfait en toute chose. Dans son désir de se voir sous toutes les faces, il changea de position tant et si bien, qu'à force de se regarder, il finit par trébucher et se retrouva au fond du puits.


Le voilà prisonnier de son miroir et se maudissant d'avoir si peu réfléchi. Comme bien souvent, il compta sur la naïveté des autres animaux pour se sortir de ce mauvais pas. Il trouverait bien fadaise à raconter pour tromper un imbécile ou bien un trop généreux. Il n'en doutait pas un seul instant ; il lui suffisait d'avoir un peu de patience, son génie ferait le reste.


C'est un bouc ayant grand soif qui s'approcha le premier du piège où était pris le renard. De voir ainsi ce prétentieux en mauvaise posture amusa beaucoup notre bête à cornes. On peut même affirmer qu'il en éprouva une certaine satisfaction. La chose était si plaisante, qu'il ne voulut pas la garder pour lui, retint sa soif et s'en alla prévenir tous les habitants du coin.


Le corbeau qui n'avait pas digéré son fromage, arriva à tire d'ailes au-dessus du puits et lâcha une fiente magistrale sur le renard ! Si la chose n'est guère honorable, elle soulagea grandement l'oiseau qui avait toujours en travers du bec, l'aventure qu'il venait de subir. Puis d'autres arrivèrent qui avaient tous des griefs contre ce maudit animal.


Les animaux, en cercle autour du puits, ne cessèrent de couvrir d'avanies le renard qui faisait moins le fier. Face à une telle révolte des gueux, ses belles paroles et ses allures caressantes n'étaient désormais d'aucun effet. Il subissait l'humiliation sans pouvoir se venger. Il était mouillé et penaud, offensé et blessé.



Les animaux n'avaient d'autre but que de lui donner une bonne leçon afin qu'il cessât à l'avenir de faire le malin. Ils pensaient le laisser là toute une journée à subir leurs moqueries et le libérer enfin au lendemain matin. Pourtant, rien ne se passa comme ils l'avaient envisagé …


Le fermier du coin, étonné de voir tous les animaux se regrouper autour du puits, vint s'enquérir des raisons de cette manifestation. Quand il vit son pire ennemi, le goupil en personne, plus ridicule qu'une poule mouillée, il se jura de lui faire son affaire. Il défit la corde du seau, fit un nœud coulant et se gratta la tête …


Ce fermier avait eu à subir tant de fois les farces et les larcins du rusé, qu'il pensa qu'il fallait le tromper au risque d'être, une fois encore, son jouet. Il tança, il gronda et fit grand tapage pour chasser les curieux. Ses hurlements et ses menaces contre ceux qui avaient osé mettre en pénitence son cher ami le goupil, n'avaient d'autre objet que d'endormir la vigilance du prisonnier.


L'autre, au fond de son cachot, crut qu'il avait trouvé un allié dans la place. Quand le puits fut dégagé et qu'il n'y eut plus que le fermier près de la margelle, le renard qui lui accordait une confiance aveugle obéit à sa demande de glisser son museau dans la corde qu'il lui tendait. C'est ainsi que le malfaisant finit pendu pour le prix de tous ses péchés.


Ce jour-là, on fit grande fête dans la ferme et tous les animaux d'alentour furent conviés. On célébra la mort de la terreur de tous : le vilain goupil qui avait succombé par la faute de son orgueil. Quand on a la tête qui enfle, il faut se garder de la glisser dans une corde ; il pourrait bien vous en coûter. Ainsi, de cette morale, chacun fera bon usage ; la modestie est, en toute chose, la plus sage manière de considérer le monde et ceux qui vous entourent.


Iconoclastement leur.


 

Le Renard et le Bouc

 

 

Capitaine Renard allait de compagnie
Avec son ami Bouc des plus haut encornés.
Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez ;
L'autre était passé maître en fait de tromperie.
La soif les obligea de descendre en un puits.
Là chacun d'eux se désaltère.
Après qu'abondamment tous deux en eurent pris,
Le Renard dit au Bouc : Que ferons-nous, compère ?
Ce n'est pas tout de boire, il faut sortir d'ici.
Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi :
Mets-les contre le mur. Le long de ton échine
Je grimperai premièrement ;
Puis sur tes cornes m'élevant,
A l'aide de cette machine,
De ce lieu-ci je sortirai,
Après quoi je t'en tirerai.
- Par ma barbe, dit l'autre, il est bon ; et je loue
Les gens bien sensés comme toi.
Je n'aurais jamais, quant à moi,
Trouvé ce secret, je l'avoue.
Le Renard sort du puits, laisse son compagnon,
Et vous lui fait un beau sermon
Pour l'exhorter à patience.
Si le ciel t'eût, dit-il, donné par excellence
Autant de jugement que de barbe au menton,
Tu n'aurais pas, à la légère,
Descendu dans ce puits. Or, adieu, j'en suis hors.
Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts :
Car pour moi, j'ai certaine affaire
Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin.
En toute chose il faut considérer la fin.
 
Jean de La Fontaine


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