samedi 17 avril 2021

Le camelot du roi.

 


Le bonheur c'est simple comme un coupe-file

 


 


Un docte professeur d'espagnol, amoureux de la chose publique découvrit par inadvertance que des émeutes antiparlementaires avaient eu lieu en 1933 dans la bonne ville de Sully sur Loire. Pour un républicain intransigeant, cette information fit l'effet d'un tremblement de terre. Il en perdait le sommeil, l'appétit et l'envie de poursuivre son action d'élu municipal au profit d'un département, qui, dans une époque pas si lointaine, était tombé si bas !


Quand on habite près de Pithiviers, à deux pas de Beaune La Rolande, il est facile d'avoir une hypertrophie du symbole, une exigence absolue de pureté et de vérité pour la chose historique. L'année 1933 augurait déjà ces temps obscurs qui défigureront durablement la réputation de son cher Loiret. Philippe, puisque c'est ainsi que nous l'appellerons, voulait en savoir plus; il enquêta …


De coups de fils en aiguilles de boussole, il trouva son bonheur dans les archives départementales. Sa bonne étoile l'avait guidé vers une lumière étincelante. L'affaire Stavisky était la clef; elle n'aurait plus de secret pour sa soif inassouvie de connaissance.


Il s'enthousiasma de la similitude avec notre époque : une crise économique venue d'outre-Atlantique, des menaces extérieures pour les pays du Monde, un parlement en mal de représentativité, une crise morale avec la perte des valeurs humanistes au profit d'un individualisme forcené, une communauté montrée du doigt et toujours la domination du Dieu Argent …


Les archives finirent pas lasser notre homme; elles ne contiennent que ce que les hommes ont bien voulu confier à la mémoire officielle. Philippe est l'un de ces historiens de la vie quotidienne. Il s'émerveille d'une carte postale qui relate un incident politique, il s'enthousiasme pour un dessin d' amateur croquant un notable, il est ébloui par des cahiers d'écoliers où un adulte relate ses impressions et ses sentiments d'une époque révolue.


Il devint alors un rat de brocantes et de vide-greniers. Un de ces petits rongeurs qui arrivent dès potron-minet à la recherche du Graal, du trésor qui éclaire l'Histoire des hommes. Sa quête de l'absolu, il la mena sans relâche, avec une obstination digne des habitants de ce plat pays de Beauce, au Nord du Loiret. Il fouillait les paniers des bouquinistes, les cartons des cartophilistes, les stocks des caricatophiles, les trésors des chromophiles, les merveilles des éphémératophiles, les secrets des gazettophiles et les étranges documents des fiscaphilistes.


Ses amis se moquaient bien de cette passion, ses collègues riaient de ses marottes d'un autre temps, sa femme se désespérait de ce bric-à-brac qu'il entassait chez eux. Qu'importe, c'est avec l'obstination d'un Théodore Monod à la recherche de son inaccessible étoile dans le Sahara, que le professeur cherchait tout ce qui pouvait avoir trait à l'affaire Stavisky.


Sa quête relevait même de la frénésie depuis que le patronyme du nouveau président de la république lui rappelait par ses extrémités, S…Y, sa chère obsession.


Sa vie bascula ce samedi 13 mars 2010. Il était déjà en voiture pour s'en retourner retrouver son épouse légitime et néanmoins patiente, quand il fut hélé par un cycliste qu'il connaissait de longue date!

"Philippe, arrête-toi, il me semble avoir trouvé quelques documents qui peuvent aiguiser ta curiosité, pourtant déjà si tranchante " . Reconnaisons la médiocrité du propos et allons plus avant.


Il est des jours où tout semble vous sourire. Alors que le stationnement est un véritable problème près des puces d'Orléans, celui qui était dans un jour faste, se vit offrir une nouvelle occasion de ranger convenablement son véhicule, sans prêter le dos et le pare-brise à des fonctionnaires tatillons et fréquemment procéduriers.



Le quidam cycliste lui indiqua un nouveau vendeur, qui proposait des documents officiels, allant de l'emprunt russe, aux laissez-passer de la seconde guerre mondiale. Des papiers qui éveillent la curiosité des amateurs comme des décorateurs de l'improbable. Il paraît qu'un procès-verbal pour prostitution, dressé par une hirondelle de la belle époque et encadré comme il se doit avec mauvais goût et fioritures, est du dernier chic au-dessous d'une lampe rouge dans une alcôve moderne.


Philippe ignorait tout des trésors que proposait à un public averti, ce fiscaphiliste qui conservait ces raretés dans un coffre de voiture, à l'abri du regard médiocre du béotien de passage…


Les présentations furent faites par le cycliste devenu piéton et Philippe se mit à fouiller ce stock étonnant. Rapidement son cœur s'emballa. Les documents du lot qu'il avait sous les yeux dataient de l'avant-guerre. Permis de pêche à la nasse et autres objets dérivants, octroi d'un droit de chasse au faucon, carte d'ancien combattant de la guerre de 1870, permis de construire un hangar à vocation agricole, autorisation préfectorale pour avancer la date des vendanges. Il y avait à boire et à manger , de quoi satisfaire son appétit insatiable.


Des papiers sans importance pour le commun des mortels, mais Philippe est-il mortel ou appartient-il à la caste des immortels académiques ? D'ailleurs, perdant pied devant le réel, il en oublia de remercier le piéton qui s'en retourna à sa bicyclette, dépité devant tant d'ingratitude. Philippe en omettait également d'accorder la plus petite attention à ce brocanteur miraculeux. Ce dernier voyait d'un mauvais œil ce fouilleur compulsif et hystérique qui semait le désordre derrière lui et que sa frénésie dépouillait de la plus petite once de courtoisie.


Soudain, Philippe ressentit un choc violent dans sa poitrine comme si un étau lui enserrait le cœur. Son pouls s'accéléra dans des proportions incroyables pour un homme qui, depuis fort longtemps , ignorait tout de la pratique réelle de l'activité sportive …


Le coupe-file blanc donné à Alexandre Stavisky par les services de la préfecture de Bayonne et signé semble-t-il, de la main du sous-préfet Antelme ! Ce document, là, sous ses yeux, à portée de bourse, à la condition de paraître calme et dégagé. C'était son chant du cygne, son Eldorado, sa minute personnelle d'éternité. Le sésame pour la postérité, les palmes académiques peut-être !


Hébété, il était comme fou. Le vendeur putatif piétinait devant cet excentrique qui se souciait si peu des convenances, de la bienséance et des règles commerciales de ce lieu. Alors, quand son drôle de client daigna enfin lui adresser la parole pour s'enquérir du prix de ce document de peu d'importance, le vendeur chafouin perdit de vue son fonds de commerce et prétendit qu'il n'était pas à vendre.


Bien trop tard pour lui, Philippe reprit pied avec le réel et s'écria :" Ciel, le broc se braque !" L'exclamation eût pu dérider l'honorable commerçant comme elle avait déclenché l'hilarité générale dans le voisinage. Mais le fiscaphiliste a aussi peu d'humour, c'est bien connu, qu'un contrôleur inspecteur du Trésor Public. C'est sans doute ce trait particulier de caractère qui les pousse tous deux vers ces professions de paperasse !


Excédé comme un contribuable à qui l'on vient d'annoncer un redressement fiscal considérable, le respectable scriptophiliste ferma son coffre au nez et à l'absence de barbe du pauvre Philippe. Sa caverne d'Ali Baba était à deux pas de lui, son trésor enfermé à l'intérieur et aucune formule magique ne permettait d'ouvrir ni le cœur de l'énervé , ni la porte de son cabriolet.


Enfer et damnation, adieu les palmes et la rosette ! Oubliée la conférence au collège Poisson devant des collègues enfin admiratifs ! Le bonheur c'est peut-être simple comme un coupe-file blanc mais c'est aussi inaccessible que la fortune, la jeunesse ou qu'un bouclier de Brennus pour une équipe de Rugby en région Centre !


Malheureusement vôtre.


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Loup, renard et chien finiront par donner leur langue au chat

  Les trois canidés Il advint que ce jour-là, un loup, un renard et un chien se tenaient conjointement le crachoir en ...