dimanche 5 mai 2019

Un radeau dans ma cambuse !



La peinture à l'eau



Au pays des menteries vraies et des vérités fausses, il est parfois bon de rétablir ce qu'on a voulu nous cacher pour des raisons obscures. Voilà pour ceux qui aiment à savoir, un petit récit au fil du pinceau … Nous sommes en 1810 du côté de Sandillon. Cette année-là la Loire fit une fois encore des siennes. Elle déborda comme souvent elle aimait à le faire pour montrer aux hommes que c'est bien elle qui mène le bal ici. La chose n'est hélas pas extraordinaire. La belle prend ses aises, le pays doit s'y plier en attendant qu'elle daigne retourner dans son lit.

Un jeune homme de dix neuf ans, Théodore, vint passer quelques jours chez un ami de la famille. Le pauvre garçon venait de perdre sa mère, à peine deux années plus tôt. De l'héritage qu'il fit, il se permit d'assouvir sa passion chevaline, histoire sans doute de mettre sa carrière en selle. C'est d'ailleurs pour ce plaisir équestre qu'il visita notre région.

Sa vie avait depuis peu, pris un nouveau tournant. Il venait d'abandonner son vieux professeur de peinture Carle Vernet, spécialiste du thème équestre pour s'orienter désormais vers des sujets de facture néo-classique. Si le cheval était sa passion, sur ses toiles, il espérait représenter autre-chose. Théodore cherchait sa voie et son style quand la Loire vint influencer durablement l'artiste.

Au pays, il y avait un restaurateur réputé, ancien marin au long cours qui était venu poser son baluchon entre Loire et Sologne. Il avait profité du pécule de la marine pour ouvrir une petite auberge qu'il a appelée « Ma cambuse ! ». L'homme aimait à préparer les poissons du fleuve et les gibiers des forêts si proches.

Théodore, quoique cavalier émérite, appréciait fort se restaurer chez notre cuisinier. Il avait un calepin sur lui afin de faire des croquis tout en cherchant son style et son inspiration. Avec quelques morceaux de pain et de bons verres de vin dans le ventre, il faisait des études sur la « pratique » de l'auberge. Ce fut le moment que les eaux choisirent pour venir à monter ! L'estaminet eut les pieds dans l'eau et sa cuisine en fut toute chamboulée.

Quand le calme revint, Théodore qui avait profité du désordre pour cavaler en Sologne sans se soucier des tourments des gens du pays, réapparut dans l'espoir de manger quelque chose chez le brave cuisinier. La jeunesse du garçon, sa naïveté et son ignorance aussi ne lui avaient pas permis de prendre conscience de la gravité de ce qui venait de se passer ici.

Il trouva un cuisinier en colère qui lui dit vertement : «  Tu veux manger mon gars alors que j'ai un radeau dans ma cambuse ! » Effectivement, la Loire avait charrié là, une amoncellent de bois qui faisait immanquablement penser à une embarcation d'infortune. Le désordre qui régnait là, l'aspect apocalyptique des ravages que peut provoquer l'eau furent pour lui une révélation …

Ce fut le point de départ pour ce parisien bon teint. Il ouvrit les yeux sur la détresse des gens du pays, il se passionna pour l'histoire des catastrophes maritimes, il cherchait un sujet plus grand alors, que l'inondation de Sandillon. En attendant, il passa quelques jours à se mettre au service de ceux qui avaient tout perdu tout en les observant avec un nouveau regard ...

Théodore comprit et s'excusa de sa légèreté. C'est un homme nouveau qui rentra à Paris. Des images s'imprégnaient en lui, il avait également sa formidable collection de trognes des bords de Loire sur ses précieux calepins. Il avait encore une exclamation, qui tournait dans sa tête : «  Un radeau dans ma cambuse ! ». Il avait surtout ce ciel tourmenté de notre Val quand les eaux s'encolèrent !

Voilà comment peut naître un chef d'œuvre de la peinture française ! Théodore Géricault puisque c'est de lui dont il s'agit, s'intéresse désormais aux drames maritimes. En 1818, il rencontre deux survivants du naufrage de la frégate Méduse au large de côtes de Mauritanie. Un an plus tard, le tableau qui fit sa gloire : « Le radeau de la Méduse » fut exposé au Salon de 1819. Il lui a demandé presque une année de travail.

En regardant de très près, vous pourriez identifier des gens de Sandillon. Le vieil homme du premier plan était un client très assidu de l'auberge réputé pour des excès qui n'étaient pas d'eau. D'autres se reconnaitraient aussi s'ils étaient encore de ce monde. Il représenta inconsciemment sans doute, une de nos voiles carrées. Observez, vous serez étonnés ! Voilà le fin mot de l'histoire, vous n'avez nullement besoin de la croire !

Picturalement vôtre.

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