mardi 7 mai 2019

Le fils de Jeanne.



La Loire ne l'a pas oublié.





Il était une fois un enfant né alors qu'il n'était pas opportun qu'on le sache. L'histoire est ainsi faite de bâtards et d'enfants illégitimes qui connurent bien des misères. Celui-ci était de ceux-là. Sa naissance fut prestigieuse tout autant que scandaleuse. Il n'était pas possible qu'il apparût au grand jour : il eût troublé le cours de l'histoire et la réputation des plus grands.

Quand il naquit dans un château en bord de Loire, sa mère était dissimulée aux yeux de tous. Après quelques frasques guerrières en bord de Loire, une tournée triomphale du côté de Reims où, dans l'euphorie d'un couronnement inespéré, le roi fauta avec sa bergère de mère, il fallut soustraire aux regards curieux un ventre qui, en s'arrondissant, rendait l'armure importable.

C'est La Trémouille qui fit office de sage-femme pour la toujours demoiselle. Elle avait le feu sacré et pas seulement ; l'histoire se refusera de penser qu'il puisse exister ce genre de pulsion. Son enfant était, dès sa naissance, condamné à la disparition et au silence. Il fut donc abandonné à la Loire et aux humeurs de son courant dans un panier d'osier. Nous étions en mars 1430 et le climat, tout autant que les flots, furent favorables à ce pauvre être sans défense.

La Rivière a de tout temps été nourricière pour ses riverains ; elle se montra charitable et protectrice pour celui qui était son filleul. Le berceau vogua ainsi au fil d'un courant bienveillant, sans s'échouer ni se renverser. L'enfant dormait ; à peine avait-il eu le temps de sentir les bras de sa mère, que des mains hostiles et sans ménagement l'avaient glissé dans le panier et jeté du haut du chemin de ronde.

C'est un bateau-moulin qui arrêta son périple. Il était ancré à l'une des arches du pont de Jargeau. La légende voulait que cet ouvrage fût la construction du Diable en personne. Qu'un miracle ait lieu sous ses arches n'était, il faut bien le reconnaître, qu'une facétie de plus du destin. Les moulins à nef avaient depuis longtemps planté leur roue à aubes au milieu de la Loire. C'est en 508 qu'on trouve trace de leur existence dans la charte de l'Abbaye de Micy.

Depuis, privilège du clergé et de la noblesse, les bateaux-moulins avaient fait leur trou en dépit de l'opposition toujours farouche des mariniers. La présence du moulin au milieu de l'eau était un obstacle redoutable pour les navigateurs d'autant plus qu'il était installé à l'endroit le plus périlleux pour eux. Mais laissons là ces querelles incessantes qui alimentèrent la justice de ce temps pour en revenir à notre histoire.

Le meunier se nommait Cornille, sa femme Jacquenote. Ils avaient eu bail pour ce bateau à nef ancré sur la troisième arche du pont de pierre. Ils eussent été heureux si la nature leur avait permis d'avoir un enfant. Mais voilà, le ventre de Jacquenote se refusait aux petites graines que lui octroyait généreusement son meunier de mari. Le pauvre Cornille restait le nez dans la farine d'autant plus qu'une rumeur insidieuse évoquait une liaison entre son épouse et le bouilleur de cru.

Les gens sont méchants : le meunier avait mauvaise presse : les paysans l'accusaient de forcer allègrement sur la part de la farine folle, cet « envolage » qui privait les uns d'une portion non négligeable de leur bien. Alors, il était victime de la rumeur : une mauvaise habitude en bord de Loire qui ne se démentira jamais …

Ce matin-là, jour de printemps de l'an de grâce 1430, Cornille et Jacquenote étaient sur le pont à libérer les quelques objets à la dérive pris dans les aubes de la roue, quand une frêle embarcation d'osier vint justement se glisser entre les deux bacs de leur moulin. C'est la femme qui entendit les cris de l'enfant ; elle se signa et se précipita pour le prendre dans ses bras.

L'enfant de la providence s'appela Matthieu, du nom du saint du jour. Les deux époux n'avaient pas songé à préparer un prénom ; il fallait aller vite et, sans plus tarder, le mettre sous la protection de notre sainte Mère l'Eglise. Monsieur le curé ne se fit pas prier pour baptiser cet agneau perdu, ce pauvre enfant des flots. Les formalités pour l'adoption n'étant pas ce qu'elles sont aujourd'hui, nul ne songea à venir chercher des poux dans la tête des heureux parents.

Le principal problème était de trouver nourrice sur le champ. Quand on est meunier, la chose est plus aisée ; en échange de farine, bien des plus précieux en cette lointaine époque, il se présenta bien des candidates pour offrir leurs seins à l'enfant de la rivière, comme on le surnomma bien vite dans tout le pays. C'est ainsi que Matthieu eut son compte de lait et, bien plus encore, d'amour maternel et paternel.

Matthieu grandit, aidant du mieux qu'il pouvait Cornille et Jacquenote. Il devint avec le temps très habile au réglage des meules, à la manœuvre pour le bateau et aux différents travaux d'entretien. Les moqueurs disaient derrière son dos que la Loire était son élément ce qui, a bien y réfléchir, n'était pas tout à fait erroné.

Matthieu ne pouvait échapper aux langues de vipère. Il savait qu'il n'était pas l'enfant légitime de ses parents adorés. De cela, il n' avait cure : il éprouvait pour eux une reconnaissance sans borne et une affection si sincère qu'il pouvait supporter les railleries de ses petits camarades et des plus grands. Mais il voulait savoir le secret de sa naissance et, bien des fois, on le retrouvait sur le devant du bateau, rêveur ou pensif, fixant l'amont de la rivière ...

Les années avaient passé, Matthieu était devenu un grand gaillard qui ne se départait pas de sa mélancolie. Il y avait un mystère qu'il désirait percer. Mais comment savoir quand le secret, manifestement, avait été la clef de sa naissance ? Il était là, le regard au loin ; le crépuscule s'installait sur la rivière quand un rossignol vint se poser près du garçon.

Par quel mystère Matthieu comprit-il alors la langue de l'oiseau ? Nous ne sommes pas ici pour décrypter ce qui ne peut se comprendre. Il suffit parfois de laisser aller son cœur d'enfant et c'est ce que fit sans doute le fils des meuniers ce soir-là. Le bel oiseau chanteur lui raconta son histoire, ses origines royales et le poids du secret de sa pauvre mère biologique.

Matthieu n'éprouvait ni fierté particulière, ni colère pour ces deux personnages. Que son père puisse être ce roi lointain et si peu apprécié par ses sujets, peu lui importait ! C'est vers cette bergère, étoile filante de l'histoire de France, que ses pensées allèrent sans pour autant qu'elle supplante dans son cœur sa chère Jacquenote qui se faisait bien vieille depuis quelque temps.

Matthieu se jura de rendre hommage à cette bergère. Son souvenir dans le pays avait été vite effacé par les trahisons de la couronne, de l'armée et du clergé. On la disait sorcière ; l'église l'avait brûlée et si dénigrée qu'il fallait lui rendre sa dignité d'une manière ou d'une autre. Matthieu était décidé à passer sa vie à remplir cette mission.

C'est ainsi qu'il se fit trouvère pour chanter les louanges de celle à qui il devait la vie et qui avait manqué de le faire mourir peu après. Ses parents de lait venaient de quitter cette vallée de peine. Leur rude labeur les avait usés avant l'heure. Ils partirent à peu d'intervalle l'un de l'autre, laissant Matthieu sans emploi. Le bail du moulin étant revenu à un autre meunier qui rongeait son frein depuis belle lurette.

Matthieu alla sur les chemins, descendit la Loire et n'eut de cesse d'honorer de ses poèmes les prouesses de la bergère. Il fut vite remarqué en Orléans, seule ville fidèle à son héroïne et qui célébra sa délivrance dès le 8 mai 1430. Mais l'église se refusait encore à réhabiliter celle qu'elle avait déclarée sorcière.

Il fit tant et si bien, par ses poèmes et ses chansons, qu'il fut de ceux qui contribuèrent à faire évoluer les mentalités. Jeanne d'Arc fut réhabilitée en 1457 et cette année-là, à l'initiative de Matthieu, celui qui comprenait la langue des oiseaux, pour la première fois le 8 mai, une jeune fille de la ville défila en armure dans les rues d'Orléans. Depuis, cette tradition ne cessa presque jamais dans la cité ligérienne. Il fallut des guerres pour que fût mise en suspens cette cérémonie d'hommage.

Matthieu souriait, il avait rendu hommage à sa mère, lui le fils secret de celle qu'on nomme encore « la Pucelle ». Il pouvait dormir tranquille, personne jamais ne viendrait dénicher son secret. Il en était fort aise ; il est des histoires qui n'ont pas besoin d'être dévoilées à la connaissance de tous.

Fidèlement sien. 

 

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