Par
Saint Nicolas, ça ne se fera pas !
À
Nevers comme partout ailleurs, un pont jeté sur la Loire est un bien
aussi précieux que rare. Nous sommes le 14 mars 1815, la capitale de
la porcelaine ne dispose pour l’heure que d’un ouvrage en bois
pour enjamber cette rivière intrépide. L’histoire des ponts en
cette cité ne dépare pas des nombreux aléas que connurent bien des
villes ligériennes d’importance.
Un
pont gaulois y était établi. César, un Empereur bien avant celui
qui occasionnera l’histoire qui nous préoccupe présentement,
établit une tête de pont en cet endroit pour son armée de
conquête. C’était alors un ouvrage en bois, bien fragile face aux
colères de la Loire. Il fut brûlé par les opposants à César,
reconstruit par le génie militaire avant que de rompre lors de
calamités comme seule la dame sait offrir à ses riverains.
L’importance
de cette voie de communication imposa un nouveau pont. Quand fut jeté
le premier ? Ceci restera longtemps encore un mystère même si nous
pouvons attester que Pépin lui même fit un bref passage sur un pont
à Nevers. L’histoire, la vraie, pas celle des Bonimenteurs a
besoin de dates. Octroyons lui celles de 1309 et 1389 avec des
destructions dues à une crue puis une embâcle.
Plus
près de nous, en 1749, les échevins de la Ville empruntèrent des
livres pour disposer des moyens de reconstruire les ponts. Le pont de
pierre, qui a longtemps été appelé le "Pont neuf", a été
conçu en 1767 par l'ingénieur des Turcies et Levées de la
Généralité de Moulins, Louis de Régemortes. Celui-ci propose de
rassembler la Loire en un seul lit qui serait alors franchi par un
pont unique. Ce projet oblige à supprimer plusieurs îles dont les
matériaux sont rassemblés sur la rive gauche pour établir les
plateaux de la Blanchisserie et de la Bonne Dame, de part et d'autre
du nouveau pont. Un remblai transversal au lit de la Loire assure la
liaison entre l'extrémité sud du pont et la levée de
Saint-Antoine.
Les
travaux sont effectués de 1770 à 1776. Ils resserrent le débouché
du fleuve de 40 % ce qui engendre de graves conséquences en 1790
lorsqu'une crue emporte plusieurs arches du pont côté rive droite.
Il fallut à la hâte rebâtir du provisoire, du bois fera l’affaire
en cette période trouble du point de vue politique. C’est alors
que peut débuter notre histoire.
Un
autre Empereur, Napoléon celui-ci, presque romain puisque Corse,
vient de reposer le pied droit sur le continent après une petite
croisière à l’Île d’Elbe. Son retour n’est pas vu d’un bon
œil par les autorités. Il convient d’entraver sa marche
triomphale vers la Capitale. La nouvelle se répand comme une traînée
de poudre : « Le pouvoir veut brûler le pont ! ». La
foule en colère, plus attachée à son pont qu’au petit caporal,
se dresse comme un seul grognard et se met à beugler : « Par
Saint Nicolas, ça ne se fera pas ! ». Ce cri du cœur atteste
si besoin est de l’aspect vital d’un pont quand on vit en bord de
Loire.
Une
foule considérable, on évoque quatre mille nivernais en colère, se
présente devant l’ouvrage à préserver de la folie de la troupe.
Les hommes renversent la guérite du soldat en faction, les gorges à
l’unisson se mettent à chanter : « Gardons-le bien le pont
de notre ville, gardons-le bien! ». Les militaires arrivent,
pris de panique sans doute, l’un d’eux tire et touche
mortellement un jeune marinier.
C’en
est trop ! La foule se précipite en hurlant à la trahison. Il faut
s'emparer des tonneaux de poudre et les jeter à la Loire afin que le
noir dessein ne soit pas réalisé. C’est l’émeute d’autant
plus inacceptable que des cris retentissent dans une foule surexcitée
: « Vive l’Empereur ! ». Le préfet : le Général de
Coetlosquet tente vainement de s’interposer. Il est bousculé,
injurié, voit sa vie menacée.
Monsieur
Le Maire, se dresse devant la populace et promet que le pont ne sera
pas détruit. Pour assurer véritablement la foule de son intention,
il en confie la garde à la corporation la plus tapageuse à défaut
d’être respectée : « Les Mariniers ». Cette fois le
calme se fait car chacun ici a confiance en ces diables de
bonshommes.
Les
nautoniers comme on les désignait alors avaient la solide réputation
de ne s’en laisser jamais compter. Grandes gueules, caractères
bien trempés, force légendaire, ils étaient à même de rebuter
une nouvelle attaque de la soldatesque avec d’autant plus de
virulence que l’un des leurs avait péri dans l’algarade.
Quelques
heures plus tard, celui qui allait être à nouveau Empereur l’espace
de cent jours, évitait Nevers pour joindre Paris en passant par la
Bourgogne. Il eut été fort dommage et même criminel de détruire
ce pont si utile pour un prétexte somme toute fallacieux. Cet
épisode renforça si besoin était la réputation des nautoniers.
Il
convient naturellement de rendre hommage à ce jeune nautier qui
tomba sous les balles de la troupe. Quelles que soient les époques,
les bras séculiers n’usent jamais de mesure dans le maintien de
l’ordre. Hélas, aujourd’hui, les Mariniers ne sont plus là pour
remettre ces mauvais diables à la raison à la force de leurs poings
de fer ou en usant de vergogneuses ruses.
Rebellement
leur.
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