vendredi 31 mai 2019

Pan sur le bec …


La véritable histoire des courses de canards.



Il était une fois une belle cité ligérienne, prise d’un étrange malaise. Imperceptiblement, dans les grandes maisons bourgeoises, les maîtresses des lieux, se sentant délaissées par leurs époux, toujours plus affairés, toujours plus accaparés par la volonté impérieuse de s’enrichir sans trêve ni repos, sans se passer le mot, trouvèrent toutes le même dérivatif, la même manière de combler leur solitude.

C’est sans doute en se souvenant de leur tendre enfance que ces dames, dans le secret de la salle de bain, se munirent toutes de ce qui pouvait aisément passer pour un hochet, un simple jouet innocent. Elles avaient l’âge d’avoir connu les aventures de Saturnin dans ce petit écran alors en noir et blanc. Elles pensaient que leurs époux ne verraient pas malice à la présence de ce charmant anatidé en plastique dans l’espace dédié aux ablutions et autres délectables bains.

Elles furent exhaussées. Durant une longue période, les compagnons de ces dames, trop préoccupés par le cours de la bourse, la croissance de leurs filiales, la pérennité de leur patrimoine ne se soucièrent absolument pas de ce qui se tramait ainsi quand le verrou scellait la porte de ce merveilleux espace ouaté. Puis, au hasard de conversations autour d’un alcool fort dans un de ces clubs distingués pour ceux de la haute société, la coïncidence ne permettait plus d’expliquer une telle généralisation de ce petit gadget.

Les notables, ceux qui tenaient les affaires de la cité, pressentirent qu’il y avait là matière à scandale si l’affaire venait à fuiter. Mais avant tout, il leur fallait tirer les choses au clair, en savoir plus sur l’utilisation que leurs femmes avaient de ce petit canard. Ces gens-là, monsieur, on ne parle pas franchement, on ne met jamais cartes sur table à moins qu’elles ne soient bancaires. C’est donc un cabinet de détectives privés qui fut sollicité pour éclaircir le mystère.

L’office agit promptement d’autant plus du reste qu’elle avait dans son personnel un jeune éphèbe qui, bien au fait de l’évolution des mœurs, avait sa petite idée sur les évolutions intimes du canard en plastique. Il mena une enquête de terrain, ne recula devant aucun sacrifice pour pénétrer les demeures et plus si affinités. Il rendit un rapport détaillé, oubliant simplement de préciser qu’en bien des maisons il avait suppléé agréablement, semble-t-il, l’objet du délit.

Devant l’évidence, les hommes outrés et horrifiés de ce qu’ils venaient d’apprendre, décidèrent de parer rapidement à ce scandale qui pouvait ternir les prochaines échéances locales. Il convenait de trouver un dérivatif pour mettre le canard sur le devant de la scène médiatique en évacuant totalement les vibrations intimes qu’ils avaient pu occasionner.

Comme tous ces messieurs étaient membres de sociétés caritatives, de celles qui permettent de se donner bonne conscience tout en bénéficiant de quelques exonérations fiscales, ils eurent une incroyable idée qui fera date dans tout le pays et même hors de ses frontières. Le canard devait retourner à son élément naturel, la rivière. De ce postulat de base, les propositions fusèrent pour lui trouver une utilité susceptible de faire des sous, une préoccupation incontournable dans ce milieu.

Immédiatement il fut évoqué la possibilité d’organiser une immense danse des canards au moment des fêtes johanniques. Hélas, le succès du « Set Électro » interdisait de proposer une alternative plus conforme à l’esprit de la Sainte. L’usage précédent du canard rendant même totalement impossible sa conversation durant les cérémonies dédiées à la Pucelle. Il fallait trouver occasion plus opportune.

De la baignoire à la bassine, il était facile d’établir un pont. Fort de cette réflexion, une voie royale s’ouvrit à nos décideurs. La Loire leur tendait les bras, le pont Georges V, jadis inauguré par la Pompadour allait pouvoir se refaire une virginité dans l’affaire. Ne manquait plus qu’à trouver une carotte pour suppléer à la fonction scabreuse de ces maudits canards. La suggestion d’ailleurs ne fit pas rire ces maris dont les carences en la matière avaient été largement démontrées.

C’est pourtant par le truchement d’une belle récompense que la fameuse course des canards fera vibrer les foules et un peu moins les dames des organisateurs. Le concept naquit dans la fièvre d’une séance de tempête dans des crânes peu habitués, il est vrai aux cogitations intellectuelles. C’est ainsi qu’elle s’imposa alors que le whisky avait troublé bien des esprits.

Il fut décidé de vendre les canards délictueux ou plus exactement de les proposer à l’adoption. Ainsi, ils quittaient la tête haute les baignoires de ces dames. Les petits Saturnins artificiels, privés de cette pile qui pouvait nuire aux eaux de la rivière, seraient tous jetés à la Loire lors du Grand Festival de Loire à deux pas des Tourelles, afin de bénéficier de l’onction de Jeanne. Le premier canard qui franchira la ligne d’arrivée permettra à son parrain ou sa marraine de partir avec une belle voiture neuve.

Ne manquait plus qu’à valider la farce en lui donnant un nom en Anglais. Dans cette ville, tout ce qui se fait de grand et de nouveau doit se référer à la langue de Shakespeare. C’est sans doute un complexe local, dans une cité qui ne s’est jamais pardonnée d’avoir ouvert les portes de son Université à ce détestable persifleur que fut Jean Baptiste Poquelin. La « Duke Race » était née et devait clouer le bec aux mauvaises langues.

Voilà la véritable histoire de cette hérésie environnementale. Je me devais de vous en informer au risque de déclencher le courroux de ces beaux messieurs. Quant à leurs dames, privées de leur petit compagnon en plastique, j’aimerais leur proposer mes services mais je crains de ne pouvoir remplir leur immense besoin de délicates attentions.

Sarcastiquement leur.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...