Enquête
sur une bien étrange affaire.
Un
dénommé Jean Baptiste Gresset écrivit en 1734 une bien belle
histoire. Malheureusement pour lui, la fable qu'il avait livrée en
vers de décasyllabes n'avait pas eu l'oreille de l'église et c'est
vers la Hollande qu'il dut trouver refuge pour publier son manuscrit.
L'histoire eut alors tant et tant de succès que les éditions se
succédèrent et que le récit fit le tour du royaume. Mais hélas,
il faut à la vérité de
reconnaître qu'en matière de menterie, ce Jean-Baptiste là n'avait
rien à m'envier. Je vais à mon tour essayer de démêler l'écheveau
de ses sornettes et dévider les miennes...
Or
donc, pour Jean Baptiste tout se passa du côté de Nevers, en ce
monastère de la Visitation. Des dames, pour pieuses qu'elles
puissent être, n'étaient pas pour autant sans quérir quelques
plaisirs terrestres. C'est un drôle d'oiseau venu du nouveau
continent qui fut à l'origine de cette troublante histoire que je
vais vous restituer à ma manière.
Levons
tout d'abord le voile sur une première erreur. Lorsque notre homme
écrivit sa fable, les Visitandines ne vivaient pas là où le sieur
Gresset le prétend. La faute à une rime en vers et voilà Nevers
préféré à Moulins qui à l'époque accueillait les bonnes dames
et ce depuis 1616. Nous fermerions volontiers les yeux sur ce petit
décalage géographique si, une fois encore, la Loire n'avait en
l'occasion volé la vedette à ce pauvre Allier.
L'histoire
eut cependant un tel succès qu'il n'était plus question d'avouer le
forfait. Puisque le conte se déroulait à Nevers, le couvent y fut
installé en 1854. L'église, toujours soucieuse de rétablir la
vérité, avait déplacé le problème à sa manière. Une fois
encore, notre Loire resta en pleine lumière quand son fidèle
affluent resta dans l'ombre.
Mais
revenons à l'objet du délit puisque du perroquet nous devons
parler. Ver-Vert, c'est ainsi que les dames pieuses l'avaient
prénommé, était, à n'en point douter, un volatile fort doué pour
l'usage des langues. Se moquant comme de son continent natal que le
latin fût langue morte, il avait dans son répertoire toutes les
prières les plus édifiantes qui soient. Les dames Visitandines en
éprouvaient une immense fierté et un je ne sais quoi qui vous
chatouille sous l'habit.
Nous
ne pouvons leur en faire grief, l'animal méritait cette petite
entorse à la règle de modestie de l'ordre. Pire même, sa
réputation arriva jusqu'à la maison-mère de nos bonnes sœurs. Au
couvent de Nantes, toutes les nonnes voulaient à leur tour entendre
ce prodige et jouir de son organe durant quelques messes.
Comme
alors, tout ce qui se déplaçait dans le royaume empruntait la Loire
et ses affluents, il fut bien vite conclu que le perroquet allait
voyager de Nevers (à moins que ce ne fut Moulins) jusqu'à Nantes à
la grâce de Dieu et du courant de notre dame Liger. L'affaire dans
ce sens pouvait être rudement menée. Quatre à cinq jours pouvaient
suffire pour exaucer la gourmandise spirituelle des Nantaises.
Hélas,
les voix du seigneur sont aussi impénétrables que peuvent être
troublantes les fantaisies du fleuve. Le voyage ne fut pas aussi
rondement conclu qu'on eût pu le penser. Les difficultés de
navigation s'ajoutèrent aux caprices du temps. L'expédition dura
bien plus de temps qu'il ne faut pour que le perroquet découvrît un
nouveau répertoire.
Il
faut dire à sa décharge qu'il voyagea en fort mauvaise compagnie.
Outre l'équipage constitué de cinq vilains et mal embouchés
mariniers, le chaland avait à son bord un moine chaperon de
l'oiseau, deux dames à la vertu tarifée qui découvraient les joies
de la délocalisation, trois dragons en changement d'affectation et
une nourrice qui allait donner le sein sous d'autres cieux.
On
aurait pu attendre du moine qu'il veillât sur le perroquet comme à
la prunelle de ses yeux. Je devine, mécréants que vous êtes que
vous soupçonnez déjà notre homme de monastère d'avoir préféré
le commerce des dames à sa mission sacrée. Vous faites fausse route
et j'espère que les feux de l'enfer vous récompenseront de cette
pensée impie. Le moine ne forniqua pas et c'est heureux !
Mais
hélas pour lui, le chaland, on se demande bien pourquoi, devait
livrer en pays Nantais du vin de Saint Pourçain. Le moine vit dans
les barriques le prolongement du saint sacrement. Il but tout son
saoul du matin au soir et durant tout le trajet si bien qu'il était
soit à lever le coude soit assoupi contre la généreuse poitrine de
la nourrice. Jamais il ne veilla sur le pauvre animal abandonné à
la garde de tous les autres gueux et nos deux donzelles …
Il
découvrit alors un tout autre langage que celui de l'église. Il se
prit d'affection pour des langues bien vivantes. Tous les jurons de
la batellerie s'unirent à ceux des lupanars et des salles de garde.
Il apprit même les chansons à boire que le pauvre moine pouvait
fredonner dans ses rares moments de lucidité bachique.
Le
chaland connut les aléas de la navigation sur la Loire. Quand la
manœuvre se compliquait, les bordées d'injures se faisaient
entendre et Ver-Vert se constitua un répertoire à faire rougir tout
un pensionnat de jeunes filles. L'animal apprenait vite et oubliait
pareillement son latin et ses prières. Désormais il eût pu tenir
conversation fleurie avec un charretier !
Vous
pouvez imaginer la tête et l'effroi des dames nantaises quand cet
oiseau du diable arriva dans leur couvent. Ce qui sortit du bec de
l'animal était marqué du sceau de Satan. Les nonnes se signèrent
et renvoyèrent immédiatement ce cadeau empoisonné. Le perroquet
venait d'inventer le retour à l'envoyeur, une pratique fort rare en
cette époque.
Il
profita du retour, un voyage qui demande naturellement bien plus de
temps, puisqu'il faut remonter le courant et attendre que le vent
soit favorable. Durant plus d'un mois, il poursuivit son
apprentissage et c'est un érudit de la langue verte qui retrouva son
couvent de départ. Il est inutile de préciser qu'aucune des sœurs
de Nevers ou bien de Moulins ne reconnut le bel oiseau d'autrefois.
L'histoire
de notre menteur affirme qu'après une longue période de jeûne et
de d'abstinence Ver-Vert retrouva la foi et son
latin de cuisine. Il est inutile de vous préciser que c'est chose
impossible. Ce qu'on apprend de la bouche d'un marinier, d'un soldat
ou d'une fille facile ne s'oublie pas de si tôt. Jamais plus, Ver
Vert ne reviendrait à ses bondieuseries.
Voyant
qu'il était perdu pour la vraie foi, la mère supérieure du couvent
de la Visitation l'envoya au diable. C'est ce que fit le perroquet
sans se faire prier davantage. Il se percha sur le premier mât qu'il
trouva et depuis ce jour, n'eut de cesse que de commander à la
manœuvre tous les équipages de Loire. Il fut si célèbre que les
équipages de la Royale s'emparèrent de lui et lui offrirent les
honneurs du grand large.
Il
fit tant et si bien pour la gloire de la navigation que depuis ce
jour, pour toutes les marines du monde, les voiles, les vergues et
les mâts situés au dessus du hunier sont désignés du nom de
Perroquet. C'est en mémoire de Ver-Vert qui ne mourra jamais comme
le dit Grasset étouffé par des dragées d'église. S'il finit par
périr, ce fut d'un juron plus virulent que les autres et alors qu'il
avait roulé son bec sur tous les bateaux du pays.
Vous
n'avez plus qu'à démêler le vrai du faux. Le Perroquet n'est plus
là, hélas, pour vous dire à sa manière le fin mot de l'histoire.
Il est préférable que ce ne soit pas le cas, sa langue en aurait
choqué plus d'un. Depuis ce jour, la langue verte est celle, non
seulement de notre Ver-Vert mais de tous ceux qui ont appris sur le
tas. C'est bien la seule vérité du billet !
Vertement
sien
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