L’instinct
maternel
Il
était une fois une sterne naine qui fidèle à l’immuable cycle de
la vie, revint début mai sur la petite île qui l’avait vue
naître, quelques années plus tôt. Elle n’était qu’un maillon
d’une chaîne qu’elle n’entendait pas interrompre, reproduisant
ainsi ce que l’instinct lui commandait d’agir comme l’avaient
fait avant elles tous ses ancêtres.
Sa
petite île, comme lors de chaque année avait subi quelques
changements, des modifications qui ne l'empêchaient nullement de
venir y pondre une fois encore. Elle s’était déplacée de
quelques mètres vers l’aval, il y poussait désormais une espèce
invasive : l’érable négundo, qui ne manquerait pas de réduire à
néant la plage, mais ça, la Sterne n’en avait pas conscience.
Elle se méfiait de plus en plus des goélands, qui venaient lui
contester sa présence. Ceux-là, elle les craignait terriblement,
les nouveaux arrivants à l’instar des cormorans, sont parfois
mauvais coucheurs …
Un
peu par insouciance, beaucoup par admiration pour ce beau mâle qui
avait su la séduire, elle pondit trois œufs magnifiques au début
du mois de mai. Elle n’avait pas traîné en chemin, l’amour
donne parfois des ailes y compris aux sternes. Elle était très
occupée à couver ses œufs quand, du côté de l’amont, il
d’énormes orages se déclenchèrent dans les Cévennes. La
pauvrette n’en savait rien, ne disposant pas encore des chaînes
météo. Elle aurait compris alors que la Loire allait gonfler et
noyer ses pauvres petits pas encore sortis de leurs coquilles.
Qu’à
cela ne tienne, elle se remit à l’ouvrage avec son compagnon, ne
tardant pas à pondre une nouvelle nichée. Deux œufs cette fois,
tout aussi jolis que les précédents qu’elle couvait autant du
regard que de son corps gracile. Mais hélas pour elle, la saison
touristique avait débuté, les loueurs de canoës se frottaient les
mains tant les touristes désireux de descendre notre rivière
étaient d’année en année plus nombreux.
Ceux-là
n’avaient sans doute pas écouté les consignes du loueur ni pris
la peine de se documenter sur la rivière. Ils choisirent l’île
pour s’arrêter pique-niquer, y laisser en partant, les reliefs de
leur repas et pire encore, permettre à leurs enfants de se dégourdir
les jambes en courant sur le sable. La Sterne avait fui, effrayée
par ses intrus et le malheur fondit sur son nid. Les gamins
écrasèrent les deux œufs dans l’indifférence et l’ignorance
de ces gens en goguette.
Quand
les embarcations repartirent, ils laissèrent la désolation derrière
eux et ces panneaux de mise en garde et d’interdiction, qu’ils
n’avaient même pas pris la peine de lire. De toute manière,
c’était trop tard, l’irréparable avait été accompli. La
Sterne et son époux pour la saison décidèrent de quitter l’île
natale et d’aller chercher un nouvel espace plus tranquille.
Nous
étions fin juillet, la Loire à son étiage leur offrit une plage
parfaite, une île discrète, sur un boire, à l’abri des flots
incessants de canoéistes, loin du batillage des quelques abrutis en
Jet ski qui se moquaient tout autant de la flore que du silence en
ces lieux enchanteurs. La belle eut cette fois plus de chance. Son
unique œuf donna naissance à un bel oisillon qui à son tour
reviendra là, pour reconduire ce cycle de la vie pourvu que l’eau
puisse encore arriver jusque là.
Ainsi
va la vie en bord de Loire, fragile et soumise aux aléas de la
météorologie, de la nature et pire que tout, des étranges animaux
qui vont debout sur leurs jambes arrières. Les sternes font avec
tous ces impondérables, elles s’obstinent à maintenir la vie
quand parfois les circonstances sont toutes défavorables. Celle-ci
plus que les autres encore montra une extrême détermination et
déjoua les règles de la nature pour pondre une troisième fois.
Quant
à vous qui lisez cette histoire, ne marchez jamais de mai à août
sur nos îles de sable, c’est là que viennent se reproduire bon
nombre d’oiseaux migrateurs. Ils ont bien assez de soucis comme
cela pour que vous ne veniez à votre tour, les tracasser dans leur
désir d’enfanter. C’est la seule leçon à retenir de ce récit
que j’ai pris garde de ne pas écrire avec une plume d’oiseau.
Bon vent à la petite Sterne et à l’année prochaine si Dieu et
les hommes lui prêtent vie.
Aviairement
sien.
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