Dites-lui
avec des fleurs.
Il
était une fois une bergère en tout point charmante. Marie-Madeleine
était connue sur la rivière pour sa beauté, son amabilité et ce
petit brin de naïveté qui en faisait un rayon de soleil pour ceux
qui venaient passer quelques instants pour converser avec elle, alors
qu’elle gardait son troupeau de moutons. La belle les faisait
pâturer en bord de Loire, dans ces varennes qui font une herbe
certes rare mais offerte à tous.
Un
jour, elle vit venir à elle un vieil homme dont elle aimait tout
particulièrement le commerce. C’était son vieil ami Gaston,
pêcheur et braconnier, habile tout autant à prendre un lièvre au
collet qu’un brochet à la nasse. Bien sûr, il agissait en dehors
des règles et des usages, mais qui donc allait chercher noise à un
si brave homme ?
Gaston
enseignait l’herboristerie à Marie-Madeleine, elle était sa
préférée de toutes les donzelles du secteur. Il la savait douée
pour reconnaître les plantes et attentive à son enseignement. Il ne
manquait jamais une occasion de parfaire son savoir pour qu’elle
prenne son relais quand la camarde viendrait le chercher. Il lui
parlait d’ailleurs souvent de ce moment qu’il attendait
désormais, ce passage mystérieux vers l’autre rive.
Marie-Madeleine
dans sa candeur n’avait pas bien saisi le sens de la métaphore.
Elle prenait pour argent comptant l’idée de passage et à force
d’écouter son ami Gaston, elle trouvait un charme tout particulier
à cette traversée de la rivière qui coulait juste devant elle.
Ainsi naissent les confusions quand on n’est pas sur la même
interprétation du monde !
Un
jour qu’il avait pris un magnifique brochet, Gaston vint l’offrir
à sa petite bergère. Il savait qu’était venu le moment de la
tonte et que Jean, le gentil tire-laine, allait venir faire son
ouvrage. Parmi les nombreux métiers itinérants, il y avait celui du
tondeur, un travail délicat qui ne s’improvise pas. Avec ce
délicieux poisson, Jean allait pouvoir travailler de bon cœur.
Marie-Madeleine
le remercia chaleureusement et lui avoua que ce brochet ferait bien
des envieux. Elle ne pensait pas si bien dire. Gaston n’était pas
sitôt parti qu’elle fut hélée par Gaétan le passeur. L’homme
était réputé pour sa gourmandise de la vie, il la croquait par
tous les bouts et depuis longtemps il avait repéré ce merveilleux
morceau de roi qui restait désespérément sur la berge.
Il
amarra son bateau et vint vers la bergère. « Ma belle, voilà
un délicieux poisson que je mangerais bien. Il n’appartient qu’à
vous de me l’offrir et je vous ferai passer sur l’autre rive,
celle qui fait que des demoiselles deviennent des femmes. Je vous
achète le brochet et vous me donnez en supplément votre fleur ! »
Marie-Madeleine ne comprit rien à ce curieux discours. Pourtant
l’idée de passage lui rappelait les propos de son vieil ami. Elle
voulut en savoir davantage.
« Qu’y
a-t-il sur cette autre rive qui soit de nature à me transformer
ainsi ? Est-ce là donc ce mystérieux voyage qui emporte les cœurs
et les âmes comme aime à me le raconter le père Gaston ? Si tel
est le cas, je veux bien découvrir avec vous ces merveilles dont il
n’a de cesse de me parler ! »
Le
passeur se frottait les mains, décidément la donzelle était une
proie de qualité fort peu farouche. Il convenait de la conduire au
plus vite dans le mitan du lit de la rivière, là où une île
abriterait son forfait.
« Viens
ma belle, ta fleur sera le prix pour le plus beau des voyages,
voilà une traversée qui te laissera un souvenir impérissable ! »
Et la pauvrette de se précipiter non sans avoir cueilli une belle
marguerite, toute naïve qu’elle était, elle avait pris l’homme
au mot. En montant sur le bateau, le passeur lui paya son brochet
tandis qu’un autre frétillait déjà et prit avec un sourire
ironique cette marguerite qu’il entendait bien effeuiller.
Ce
qui se passa sur l’île demeurera un point à ne pas aborder ici.
Il y eu grand tumulte, râles troublants, murmures enchanteurs,
frissons si puissants que les buissons s’agitèrent et que les
oiseaux couvrirent la mélodie de l’abandon de leurs sifflements
mélodieux. La fleur se fit bouquet, le bouquet champ d’amour.
Marie-Madeleine découvrait enfin ce paradis perdu dont lui parlait
l’herboriste. Elle entendit chanter les anges et se jura de faire
plus souvent cette belle traversée.
Revenue
des ses émotions, retroussant jupons et tablier, la belle demanda au
passeur de la ramener prestement vers ses moutons. Elle lui claqua un
baiser sur la joue pour payer le petit supplément qu’il venait de
lui accorder et s’en retourna à sa surveillance, l’esprit plus
rêveur que jamais.
En
fin de soirée, sa grand-mère vint vers elle. Elle avait été
informée du cadeau de Gaston et voulait préparer le brochet pour
accueillir dignement le tondeur. Elle trouva sa petite fille
étonnamment bouleversée, la mise défaite et les yeux brûlants.
Elle s’interrogea bien vite sur cette allure qui ne lui disait rien
qui vaille. Marie-Madeleine lui tendit l’argent du petit troc qui
s’était passé dans la journée.
La
vielle s’étonna du prix payé pour un brochet par le passeur et
s'enquit d’une éventuelle contre-partie. La bergère lui dit que
pour tant d’argent l’homme lui avait demandé sa fleur en
paiement d’un passage sur l’autre rive. Il lui ne fut pas besoin
d’en savoir plus, la vieille avait compris et s’arrachait les
cheveux en hurlant des jurons invraisemblables de sa part.
Pour
la calmer, la tendre bergère lui dit qu’elle allait tout de suite
récupérer le brochet et reprendre sa fleur. Sans tarder, elle se
rendit vers le passeur, lui susurra à l’oreille le motif de sa
venue. Elle lui tendit l’argent et reprit le brochet qu’elle
porta à sa grand-mère, trop ahurie pour être capable de réagir.
Puis, après lui avoir dit gentiment d’aller préparer le brochet,
elle lui promit de récupérer au plus vite sa belle fleur.
Le
passeur l’attendait et ils reprirent le chemin du tendre. La
seconde traversée fut plus belle encore, l’expérience de la
première fois et la douceur du crépuscule naissant firent des
prodiges. La bergère entra en pâmoison et trouva si délicieux ce
passage qu’elle entendait bien y sacrifier tous les jours pourvu
qu’elle eût une marguerite sous la main.
Elle
savait le secret des plantes, jamais il n’y eut de fruits défendus
pour récompense de ces multiples herborisations. Toutes les bergères
ne sont pas pucelles en bord de Loire et celle-ci fit bien des
émules. Rien n’est plus beau qu’une île de Loire pour se perdre
en amour. Bien des ligériennes vous le diront, voir la feuille à
l’envers en compagnie d’un marinier, est à n’en point douter
le plus troublant des voyages.
De
ce jour, la marguerite est la fleur des amoureux. Elle permet de
savoir combien votre compagnon vous aime ! Si jamais une demoiselle
réclame le passage sur un bateau, une fleur à la boutonnière, les
mariniers, garçons charmants et arrangeants, refusent le prix du
passage, donnent de leur personne et restituent la fleur à la fin de
la course. C’est ainsi que rien ne se passe de fâcheux et que
Marie-Madeleine est devenue la patronne de toutes les filles en joie.
Coquinement
sien.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire