mardi 21 mai 2019

Un pêcheur de Loire



Petit entrefilet pour Robert





Robert est un pêcheur de Loire. Professionnel en son art halieutique, il pratique avec passion un métier qui nourrit juste son homme et quelques gourmets privilégiés qui fréquentent les quelques restaurants ligériens qui reçoivent le fruit de son labeur. Pour Robert, tout a commencé sur le solex paternel. Du célèbre galet à notre Loire, il y a un monde et quelques grains de sable. C'est perché fièrement sur le marche-pied du célèbre vélo motorisé que Robert, flanqué de deux autres de ses cinq frères et sœurs, partait tôt le matin en compagnie de son pêcheur de père.

C'est à la pointe de Courpin, confluence de la Loire et du Loiret, que l'homme avait sa modeste barque en bois. Il y embarquait la part de sa famille qu'il avait réussit à placer sur son intrépide engin et la partie de pêche à la ligne pouvait commencer. C'est ainsi que Robert aima le fleuve et ses poissons … C'était un temps où les eaux étaient sombres, elles charriaient alors tous les égouts de nos villes. Une pollution organique spectaculaire, certes, mais bien moins insidieuse que celles qui suivirent, sournoises et invisibles, lourdes de métaux et de produits toxiques. Depuis, la Loire s'est faite plus présentable, ses eaux sont souvent claires sans pour autant que le poisson y soit plus abondant qu'autrefois. La faute à tous ces oiseaux pêcheurs qui n'ont jamais été aussi nombreux et qui font souvent vilaine concurrence à Robert …

Robert a pratiqué un autre métier. Jadis, il posait des faux plafonds dans une entreprise qui ferma ses portes en 1977. « Ma boite a coulé, j'ai choisi la Loire ! » Quoi de plus naturel en somme ? Sans aucune aide, sans subvention ni prime de départ, Robert s'est lancé dans la pêche professionnelle. Il a remporté une adjudication de pêches aux engins, il s'est mis à son compte. Depuis, sa longue et belle d'histoire d'amour avec le fleuve continue et elle durera encore quatre années avant qu'il pose ses filets et ses nasses pour une retraite méritée, de pécheur à la ligne.

Il est un peu moins de 18 heures 30 quand nous embarquions sur un futreau. Robert est monté à bord avec neuf cachettes en plastique, quelques bidons, un gros poids, une gaffe et sa tenue de marin pécheur. Des bottes, une paire de cuissards (bien imprudente sur un bateau) , un bonnet sur la tête ; un vieux loup de Loire … Au loin, la ville se pare de ses lumières du soir, la nuit s'annonce déjà !

La Loire roule un flot chargé, une eau sombre. Le niveau monte, les pluies récentes ont gonflé le fleuve. Il gronde, il mousse, il est vivant. Robert est inquiet. Il va falloir trouver coin calme, à l'abri de ce flot tumultueux pour y poser ses filets. L'homme est debout, il scrute chaque mouvement d'eau, il recherche des signes, par lui seul visibles, des indices de la présence des ablettes. Il a promis 3 kilogrammes de fritures pour un restaurateur de la ville.

Il m'évoque son métier passion, les heures qu'il ne compte pas, les levers au petit matin naissant pour aller lever les engins, recueillir ces gros poissons blancs qui vont aller constituer les terrines de Loire dans les restaurants du coin … Il décrit son travail, qu'il aime comme au premier jour, sa Loire compagne compliquée et si changeante !

Il a repéré une courbe près du tumulte du pont Thinat. Il espère que le filet, tenu par un poids de 10 kg va se lover dans le remous, se placer en arc de cercle pour prendre les petits poissons qui vont chercher le calme du contre-courant. C'est un pari, l'art du lanceur de filet. Nous allons aussi, sous le ponton, laisser un filet préservé des remous et du courant tout près du quai. Ailleurs, l'eau qui gonfle ne laisse pas d'autres endroits tranquilles.

Puis, c'est au tour du filet dérivant, un filet tendu au milieu du chenal, tenu par deux flotteurs qui vont accompagner sa lente descente paisible. Le bateau suit lui aussi cette progression du piège. C'est un moment étonnant, la nuit nous enveloppe maintenant, nous sommes une tache sombre au milieu de la Loire. Un moment merveilleux, paisible, irréel. Quel bonheur !

Au terme de cette lente descente, il faut lever le filet. C'est à chaque fois la surprise ou la déception. Le filet est vite rangé avec ses petits prisonniers dans une cagette, elle sera déposée dans une chambre froide ce soir et le poisson sera trié et livré le lendemain. La première levée est décevante, la seconde plus satisfaisante, la troisième levée marque la fin des espoirs, ce n'est pas le bon soir, la Loire monte trop, elle est trop troublée ce soir …

Il est plus de 20 heures, sur le quai la vie a presque cessé. Nous avons encore à lever les deux filets à poste. Le premier sous le ponton donne une relative satisfaction. C'est pour le dernier que Robert se pose bien des questions. Va t-on retrouver le filet en boule, pris par le courant violent à cet endroit ? Miracle, il n'a pas bougé, il a même merveilleusement rempli son office. La pêche est sauvée sur ce seul filet jeté un peu à l'improviste. Ce n'est jamais une science exacte nous avoue Robert, surpris. Le filet est déchiré au milieu, un gros poisson s'est libéré.

Nous rentrons au port, il fait nuit noire. La ville est déserte, nous déchargeons la récolte du jour. Robert s'en retourne ranger sa pêche pour la nuit dans ses chambres froides. Demain, il reviendra livrer le restaurant du produit de cette pêche à laquelle j'ai eu l'honneur d'assister. Avant, à 7 heures, il lèvera ses nasses, celles-là même qui lui ont permis de porter dans la soirée un beau silure, 1 aspe, 2 barbillons respectables, 1 chevesne et 1 brochet. Les poissons blancs finiront leur carrière en terrine. Le silure et le brochet orneront des assiettes plus gourmandes.



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