Petit
entrefilet pour Robert
Robert
est un pêcheur de Loire. Professionnel en son art halieutique, il
pratique avec passion un métier qui nourrit juste son homme et
quelques gourmets privilégiés qui fréquentent les quelques
restaurants ligériens qui reçoivent le fruit de son labeur. Pour
Robert, tout a commencé sur le solex paternel. Du célèbre galet à
notre Loire, il y a un monde et quelques grains de sable. C'est
perché fièrement sur le marche-pied du célèbre vélo motorisé
que Robert, flanqué de deux autres de ses cinq frères et sœurs,
partait tôt le matin en compagnie de son pêcheur de père.
C'est
à la pointe de Courpin, confluence de la Loire et du Loiret, que
l'homme avait sa modeste barque en bois. Il y embarquait la part de
sa famille qu'il avait réussit à placer sur son intrépide engin et
la partie de pêche à la ligne pouvait commencer. C'est ainsi que
Robert aima le fleuve et ses poissons … C'était un temps où les
eaux étaient sombres, elles charriaient alors tous les égouts de
nos villes. Une pollution organique spectaculaire, certes, mais bien
moins insidieuse que celles qui suivirent, sournoises et invisibles,
lourdes de métaux et de produits toxiques. Depuis, la Loire s'est
faite plus présentable, ses eaux sont souvent claires sans pour
autant que le poisson y soit plus abondant qu'autrefois. La faute à
tous ces oiseaux pêcheurs qui n'ont jamais été aussi nombreux et
qui font souvent vilaine concurrence à Robert …
Robert
a pratiqué un autre métier. Jadis, il posait des faux plafonds dans
une entreprise qui ferma ses portes en 1977. « Ma boite a
coulé, j'ai choisi la Loire ! » Quoi de plus naturel en somme
? Sans aucune aide, sans subvention ni prime de départ, Robert s'est
lancé dans la pêche professionnelle. Il a remporté une
adjudication de pêches aux engins, il s'est mis à son compte.
Depuis, sa longue et belle d'histoire d'amour avec le fleuve continue
et elle durera encore quatre années avant qu'il pose ses filets et
ses nasses pour une retraite méritée, de pécheur à la ligne.
Il
est un peu moins de 18 heures 30 quand nous embarquions sur un
futreau. Robert est monté à bord avec neuf cachettes en plastique,
quelques bidons, un gros poids, une gaffe et sa tenue de marin
pécheur. Des bottes, une paire de cuissards (bien imprudente sur un
bateau) , un bonnet sur la tête ; un vieux loup de Loire … Au
loin, la ville se pare de ses lumières du soir, la nuit s'annonce
déjà !
La
Loire roule un flot chargé, une eau sombre. Le niveau monte, les
pluies récentes ont gonflé le fleuve. Il gronde, il mousse, il est
vivant. Robert est inquiet. Il va falloir trouver coin calme, à
l'abri de ce flot tumultueux pour y poser ses filets. L'homme est
debout, il scrute chaque mouvement d'eau, il recherche des signes,
par lui seul visibles, des indices de la présence des ablettes. Il a
promis 3 kilogrammes de fritures pour un restaurateur de la ville.
Il
m'évoque son métier passion, les heures qu'il ne compte pas, les
levers au petit matin naissant pour aller lever les engins,
recueillir ces gros poissons blancs qui vont aller constituer les
terrines de Loire dans les restaurants du coin … Il décrit son
travail, qu'il aime comme au premier jour, sa Loire compagne
compliquée et si changeante !
Il
a repéré une courbe près du tumulte du pont Thinat. Il espère que
le filet, tenu par un poids de 10 kg va se lover dans le remous, se
placer en arc de cercle pour prendre les petits poissons qui vont
chercher le calme du contre-courant. C'est un pari, l'art du lanceur
de filet. Nous allons aussi, sous le ponton, laisser un filet
préservé des remous et du courant tout près du quai. Ailleurs,
l'eau qui gonfle ne laisse pas d'autres endroits tranquilles.
Puis,
c'est au tour du filet dérivant, un filet tendu au milieu du chenal,
tenu par deux flotteurs qui vont accompagner sa lente descente
paisible. Le bateau suit lui aussi cette progression du piège. C'est
un moment étonnant, la nuit nous enveloppe maintenant, nous sommes
une tache sombre au milieu de la Loire. Un moment merveilleux,
paisible, irréel. Quel bonheur !
Au
terme de cette lente descente, il faut lever le filet. C'est à
chaque fois la surprise ou la déception. Le filet est vite rangé
avec ses petits prisonniers dans une cagette, elle sera déposée
dans une chambre froide ce soir et le poisson sera trié et livré le
lendemain. La première levée est décevante, la seconde plus
satisfaisante, la troisième levée marque la fin des espoirs, ce
n'est pas le bon soir, la Loire monte trop, elle est trop troublée
ce soir …
Il
est plus de 20 heures, sur le quai la vie a presque cessé. Nous
avons encore à lever les deux filets à poste. Le premier sous le
ponton donne une relative satisfaction. C'est pour le dernier que
Robert se pose bien des questions. Va t-on retrouver le filet en
boule, pris par le courant violent à cet endroit ? Miracle, il n'a
pas bougé, il a même merveilleusement rempli son office. La pêche
est sauvée sur ce seul filet jeté un peu à l'improviste. Ce n'est
jamais une science exacte nous avoue Robert, surpris. Le filet est
déchiré au milieu, un gros poisson s'est libéré.
Nous
rentrons au port, il fait nuit noire. La ville est déserte, nous
déchargeons la récolte du jour. Robert s'en retourne ranger sa
pêche pour la nuit dans ses chambres froides. Demain, il reviendra
livrer le restaurant du produit de cette pêche à laquelle j'ai eu
l'honneur d'assister. Avant, à 7 heures, il lèvera ses nasses,
celles-là même qui lui ont permis de porter dans la soirée un beau
silure, 1 aspe, 2 barbillons respectables, 1 chevesne et 1 brochet.
Les poissons blancs finiront leur carrière en terrine. Le silure et
le brochet orneront des assiettes plus gourmandes.
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