Première
sortie de l’année.
Avec
mon compère Georges, nous avions décidé d’effectuer une sortie
en canoë sur la rivière. C’est bientôt la fin mai, pourtant
jusqu’alors les circonstances n’étaient guère favorables pour
nous octroyer une petite fenêtre météo. La pluie et le froid
s’invitèrent au programme des réjouissances qui attestent d’un
dérèglement climatique certain. Le vent se mit également de la
partie, lui qui constitue un redoutable adversaire quand il souffle
ainsi à rebrousse courant ou bien dans l’avalaison. Dans un sens
ou bien dans l’autre, il aime à pivoter l’embarcation, l’empêche
de garder sa route et parfois lui joue de vilains tours. Ajoutez à
ces contraintes extérieures, les diverses obligations d’une vie de
saltimbanque et le pauvre canoë dépérissait au fond du jardin
comme une âme en peine.
Cette
fois, toutes les conditions étaient réunies. Nous nous retrouvions
enfin sur cette chère Dame Liger, à remonter son courant sur
quelques kilomètres en amont de la Binette. La fin mai est l’une
des périodes les plus agréables pour tenter pareille aventure. Les
peupliers nous envoient leurs laines cotonneuses semblables à la
neige quand une rafale de vent agite leurs cimes. La rivière est
couverte de petits moutons blancs tandis qu’autour de nous, les
arbustes sont en fleurs. Ce spectacle réconcilie avec la nature
jusqu’à ce que la sottise des humains ne viennent nous ramener à
une vision plus prosaïque.
Des
poteaux électriques brisés, gisent là, sur les bords de la Loire.
Jetés ici pour ne pas compliquer le travail d’une entreprise
soucieuse de ses coûts de production, avec gravats et ferrailles
diverses. Le forfait a été accompli depuis quelque temps déjà, la
nature semble reprendre ses droits, des arbres se moulent à ces
immondices indécentes d’une société qui n’a que faire de la
planète.
Les
plastiques font cortège à ce béton désincarné. Ils jonchent les
abords, font curieuses taches colorées sur la rive. Parfois, ils
troublent la vision, passant pour un cygne au repos, une embarcation
amarrée avant que de laisser voir leur vulgarité désolante quand
on s’approche un peu plus. Pourtant, nombre d’initiatives ont
permis un ramassage régulier des détritus d’une civilisation du
mépris, ces reliefs de la modernité sont anciens et finissent par
resurgir du sol, comme une promesse de cataclysme prochain.
La
rivière se joue de nous, nous impose de la remonter en longeant la
rive. Même si elle manque cruellement d’eau, elle nous résiste,
nous surprend par des mouvements erratiques de ses flots. Ici un
rocher qui affleure tant le niveau est bas, là un amas de
branchages, plus loin un gigantesque arbre déraciné qui s’est
planté au milieu de la rivière et qui offre spectacle envoûtant et
remous inquiétants.
Ce
sont surtout les amoncellements d’arbres qui nous impressionnent.
Ils sont véritablement très nombreux. Une crue subite risquerait de
provoquer bien des dégâts tant leur nombre ne cesse d’augmenter
tandis que l’entretien des berges a été réduit au minimum. Ils
constituent une sourde menace que nous percevons, sans pouvoir rien y
faire. Nettoyer la Loire est certes utile, la désencombrer le serait
tout autant.
Nous
profitons du soleil pour jouir du spectacle, des reflets, des nuances
de cet incroyable camaïeu de verts sur la rive. Hélas, une nuance,
plus claire domine désormais. C’est l’érable négundo, un
invasif notoire qui s’impose partout. Il décourage les castors,
met à mal les espèces anciennes, prend toute la place tandis que la
renouée nous vient du Japon pour nous jouer la même partition.
Au
terme de notre lente remontée nous pénétrons la Darse de Darvoy
pour y découvrir un paysage d'apocalypse curieusement d’une beauté
à vous couper le souffle. Des arbres par centaines, fracturés à
mi-tronc, gisent là, les pieds dans l’eau sur la rive. Ils sont
noirs, étranges cadavres qui surveillent l’endroit tandis qu’à
leurs pieds, une myriade de fleurs blanches dans l’eau font refuge
aux garnazelles, nos grenouilles qui nous régalent de leurs chants.
Les épineux sont en fleurs : églantiers et acacias. Nous faisons
provisions de fleurs pour préparer de délicieux beignets.
Nous
reprenons notre canoë pour cette fois nous laisser porter par le
courant. Sans effort, nous pouvons mieux admirer les mouvements et
les passages des poissons. Nous sentons les parfums de la rivière.
Il y a une légère inflexion de la météo. L’odeur ne trompe pas,
elle annonce un passage orageux. Nous profitons de cette explosion de
fragrances, le ciel n’est pas encore hostile. Les petites risées
de vent nous couvrent de pollen. Tous nos sens sont en éveil. Quel
bonheur !
Nous
rentrerons assez tôt pour éviter la grosse averse. Nous avions
deviné sa venue en nous saoulant des sensations qu’elle nous
octroya. Je ne peux que vous inviter à faire de même, allez sur la
Loire, sans moteur de préférence et laissez-vous porter par toutes
vos gourmandises : olfactives, visuelles, auditives sans rien laisser
derrière vous qui soit de nature à prouver votre passage. Nous ne
sommes que des invités de passage sur la Loire.
Ligériennement
vôtre.
Photographies de Georges A
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