mercredi 22 mai 2019

La Loire en canoë



Première sortie de l’année.




Avec mon compère Georges, nous avions décidé d’effectuer une sortie en canoë sur la rivière. C’est bientôt la fin mai, pourtant jusqu’alors les circonstances n’étaient guère favorables pour nous octroyer une petite fenêtre météo. La pluie et le froid s’invitèrent au programme des réjouissances qui attestent d’un dérèglement climatique certain. Le vent se mit également de la partie, lui qui constitue un redoutable adversaire quand il souffle ainsi à rebrousse courant ou bien dans l’avalaison. Dans un sens ou bien dans l’autre, il aime à pivoter l’embarcation, l’empêche de garder sa route et parfois lui joue de vilains tours. Ajoutez à ces contraintes extérieures, les diverses obligations d’une vie de saltimbanque et le pauvre canoë dépérissait au fond du jardin comme une âme en peine.

Cette fois, toutes les conditions étaient réunies. Nous nous retrouvions enfin sur cette chère Dame Liger, à remonter son courant sur quelques kilomètres en amont de la Binette. La fin mai est l’une des périodes les plus agréables pour tenter pareille aventure. Les peupliers nous envoient leurs laines cotonneuses semblables à la neige quand une rafale de vent agite leurs cimes. La rivière est couverte de petits moutons blancs tandis qu’autour de nous, les arbustes sont en fleurs. Ce spectacle réconcilie avec la nature jusqu’à ce que la sottise des humains ne viennent nous ramener à une vision plus prosaïque.

Des poteaux électriques brisés, gisent là, sur les bords de la Loire. Jetés ici pour ne pas compliquer le travail d’une entreprise soucieuse de ses coûts de production, avec gravats et ferrailles diverses. Le forfait a été accompli depuis quelque temps déjà, la nature semble reprendre ses droits, des arbres se moulent à ces immondices indécentes d’une société qui n’a que faire de la planète.

Les plastiques font cortège à ce béton désincarné. Ils jonchent les abords, font curieuses taches colorées sur la rive. Parfois, ils troublent la vision, passant pour un cygne au repos, une embarcation amarrée avant que de laisser voir leur vulgarité désolante quand on s’approche un peu plus. Pourtant, nombre d’initiatives ont permis un ramassage régulier des détritus d’une civilisation du mépris, ces reliefs de la modernité sont anciens et finissent par resurgir du sol, comme une promesse de cataclysme prochain.

La rivière se joue de nous, nous impose de la remonter en longeant la rive. Même si elle manque cruellement d’eau, elle nous résiste, nous surprend par des mouvements erratiques de ses flots. Ici un rocher qui affleure tant le niveau est bas, là un amas de branchages, plus loin un gigantesque arbre déraciné qui s’est planté au milieu de la rivière et qui offre spectacle envoûtant et remous inquiétants.

Ce sont surtout les amoncellements d’arbres qui nous impressionnent. Ils sont véritablement très nombreux. Une crue subite risquerait de provoquer bien des dégâts tant leur nombre ne cesse d’augmenter tandis que l’entretien des berges a été réduit au minimum. Ils constituent une sourde menace que nous percevons, sans pouvoir rien y faire. Nettoyer la Loire est certes utile, la désencombrer le serait tout autant.


Nous profitons du soleil pour jouir du spectacle, des reflets, des nuances de cet incroyable camaïeu de verts sur la rive. Hélas, une nuance, plus claire domine désormais. C’est l’érable négundo, un invasif notoire qui s’impose partout. Il décourage les castors, met à mal les espèces anciennes, prend toute la place tandis que la renouée nous vient du Japon pour nous jouer la même partition.

Au terme de notre lente remontée nous pénétrons la Darse de Darvoy pour y découvrir un paysage d'apocalypse curieusement d’une beauté à vous couper le souffle. Des arbres par centaines, fracturés à mi-tronc, gisent là, les pieds dans l’eau sur la rive. Ils sont noirs, étranges cadavres qui surveillent l’endroit tandis qu’à leurs pieds, une myriade de fleurs blanches dans l’eau font refuge aux garnazelles, nos grenouilles qui nous régalent de leurs chants. Les épineux sont en fleurs : églantiers et acacias. Nous faisons provisions de fleurs pour préparer de délicieux beignets.

Nous dégustons notre pique-nique sans imiter nos devanciers qui se sont amusés à laisser souvenirs indélicats de leur visite. Les canettes de bière jonchent les rives, semblant indiquer que les consommateurs de cette boisson houblonnée sont partout sur la planète fâchés avec la nature. Elles sont la marque de notre décadence. C’est désolant.

Nous reprenons notre canoë pour cette fois nous laisser porter par le courant. Sans effort, nous pouvons mieux admirer les mouvements et les passages des poissons. Nous sentons les parfums de la rivière. Il y a une légère inflexion de la météo. L’odeur ne trompe pas, elle annonce un passage orageux. Nous profitons de cette explosion de fragrances, le ciel n’est pas encore hostile. Les petites risées de vent nous couvrent de pollen. Tous nos sens sont en éveil. Quel bonheur !

Nous rentrerons assez tôt pour éviter la grosse averse. Nous avions deviné sa venue en nous saoulant des sensations qu’elle nous octroya. Je ne peux que vous inviter à faire de même, allez sur la Loire, sans moteur de préférence et laissez-vous porter par toutes vos gourmandises : olfactives, visuelles, auditives sans rien laisser derrière vous qui soit de nature à prouver votre passage. Nous ne sommes que des invités de passage sur la Loire.

Ligériennement vôtre.

Photographies de Georges A

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...