Mauvais
conte de Noël ...
Tout avait commencé
étrangement dans la boîte aux lettres. La période était encore à
la cueillette des champignons, la douceur de l'automne naissant ne
laissait pas supposer que l'hiver réclamait déjà toute votre
attention. Plus tôt encore que l'année précédente, des
catalogues, pleins de promesses, étaient arrivés pour tenter le
diable.
Un bon petit diable sans
doute mais un diable quand même. Un gamin qui n'en fait qu'à sa
tête, un être de colère et de caprices, tyran domestique et
monstre d'exigence. Dès qu'il les consulta, ces maudits catalogues,
il n'y eut plus moyen de le tenir. Il allait d'une page à l'autre en
s'exclamant, en cochant tout ce qui lui faisait envie.
Il n'était pas fou, il
avait compris que l'empressement des grands à satisfaire ses désirs
passait par une sélection exhaustive de ces mirages merveilleux. Il
voulait tout, réclamait tout dans une fièvre gourmande
d'appropriation. Il savait que pour être aimé, il était
indispensable d'être gâté. C'était un enfant modèle de la
société de consommation.
Il distribuait les rôles à
qui voulait bien lui accorder un peu d'estime. Père, mère,
beau-père, belle-mère, oncles et tantes, grands-parents et voisins,
amis et connaissances ; tous avaient droit à une petite
requête, une demande précise, référencée, cataloguée. Il y
avait de quoi satisfaire ses envies les plus extravagantes : la
profusion des cadeaux possibles lui assurait un pouvoir redoutable
sur tous ces adultes pris au piège.
Ce pouvoir, il le
connaissait parfaitement. Il réclamait sans honte ni modération.
L'enfant est roi en ce monde mercantile ; il est désormais
impossible de lui refuser quoi que ce soit et point ne sert de
prétexter un quelconque argument pour se défiler. Le cadeau de Noël
est un passage obligé, une imposition sociétale. L'enfant l'avait
compris et, de son trône, organisait sa prochaine remise des
récompenses.
Pour plus de sûreté, il
établit une liste précise et détaillée qu'il expédia par la
poste à un mystérieux entremetteur, livreur nocturne des colis
espérés. Il précisa, pour plus de clarté, le nom de chaque
personne sollicitée. Le bon vieillard n'avait plus qu'à faire
l'interface. Comme c'était un enfant de son époque, il eut la
prudence de doubler la lettre d'un message électronique, ainsi
était-il certain de son fait. Il serait comblé le moment tant
attendu, venu.
Il croisa durant tout le
mois de décembre, de curieux personnages grimés dans les magasins
et les centres commerciaux, sur les marchés de Noël et les places
publiques. Quoique qu'il n'eût jamais affaire aux mêmes , tous ces
pauvres comédiens misérables à la barbe postiche lui affirmèrent,
tous en chœur, qu'ils avaient bien reçu sa commande et qu'il n'y
avait aucune raison qu'elle ne soit pas satisfaite. Il jubilait d'un
tel pouvoir !
Quelques rabat-joie
venaient bien lui réclamer de petits efforts en contrepartie. Un
peu de sagesse, une petite dose de politesse et de bonnes notes à
l'école. Les pauvres, ils ignoraient sans doute qu'il y a belle
lurette qu'on ne note plus les élèves. Quant aux autres
conditions, l'enfant en riait d'avance. Qui oserait le priver de ce
dont il avait droit ? Il n'est plus question d'exiger des
contreparties à l'enfant roi.
Et le jour tant attendu, il
comprit sa toute puissance, sa force de persuasion et son importance
dans la cité. Sous le sapin de Noël, une avalanche de paquets aux
mille et une couleurs, enlacés de rubans dorés ou bien argentés.
Il y avait là des monceaux de paquets-cadeaux, des colis tous plus
gros les uns que les autres. Il était bien le roi de la fête, le
prince de la nuit.
Il allait pouvoir commencer
son cinéma, sa grande scène si souvent répétée. Il allait se
montrer injuste, égoïste, capricieux et difficile. Il se savait
observé, admiré, scruté. Il allait leur jouer le grand numéro de
celui qui reçoit bien trop de cadeaux. Les caméras étaient
braquées sur sa personne, la foule admirative n'attendait plus que
lui.
Il prit son temps, feignant
l'indifférence devant ce tas entièrement dédié à sa gloire. Il
tourna autour, cherchant du regard le paquet le plus volumineux.
L'amour se mesure en mètres cubes ; il avait compris la
nouvelle mesure de la démesure. Il ouvrit ce gros, cet immense
paquet. Il l'éventra plutôt, le déchira, martyrisa le carton
d'emballage, s'en prit même au contenu qui reçut quelques coups.
Autour de lui, on s'exclamait d'une telle énergie. Lui, il brisait
pour le simple bonheur d'asseoir son autorité sur cet aréopage de
courtisans.
Il abandonna bien vite le
premier cadeau sans même remercier ceux qui avaient répondu à sa
requête. Il le laissa dans un coin, l'abandonnant à son triste
sort, présent inutile et encombrant qui achèverait sa vie éphémère
dans une déchetterie quelconque. Seul le plaisir du déballage lui
importait . Jouer ? Mais pourquoi s'encombrer de pauvres objets
quand l'espace virtuel s'offrait à lui ?
Il se décida à porter son
dévolu sur un autre paquet. Il subirait le même sort. Les flashes
crépitaient tandis qu'il détruisait méthodiquement cette grosse
peluche ridicule. Puis ce serait le tour d'un camion de pompier, une
drôle d'idée qu'il n'avait même pas eue. Ainsi, une grande partie
de la soirée, il allait ouvrir et abandonner des cadeaux dérisoires,
des épaves déjà, sans amour ni désir.
Les adultes boudent
maintenant cette cérémonie fastidieuse. Ils se pressent devant le
buffet, ils ont payé leur écot en apportant un cadeau pour ce
vilain garnement. Ils n'espéraient aucun remerciement ; ça
tombe bien, ils n'en auront pas. Ils ont rempli leur devoir de grande
personne ; ils ont acheté une babiole, c'est tout ce qu'on leur
demandait.
Au pied du sapin, un
capharnaüm de papiers éventrés, de rubans déchirés, de cartons
émiettés, de cadeaux démembrés, d'objets à jamais oubliés.
L'enfant est retourné à ses écrans ; il a abandonné ce champ
de bataille qui l'a distrait quelques minutes de son monde virtuel.
Il est retourné à ses aventures sanguinolentes, ses monstres et ses
vies magnifiques.
Pourtant, au pied du sapin,
un paquet minuscule, ridicule, reste encore emballé. Celui qui l'a
offert, garde le regard dans le vague. Il souffre de la négligence
du petit monstre, de son indifférence à ce qui est si précieux à
ses yeux. Il ne comprend pas la réaction des autres adultes, il
n'admet pas le spectacle auquel il vient d'assister, il réprouve les
exclamations de ceux qui ont été piétinés à l'instar de leur
offrande.
L'homme reste seul au pied
du sapin, là où gisent les reliefs de Noël. Dans son modeste
paquet, il avait glissé un livre. Oui, un étrange objet, le grand
oublié de la fête, un petit recueil de contes et de fables, un
présent qui n'est pas rutilant, un cadeau qui réclame effort et
temps, concentration et passion. Il n'a pas compris que les temps ne
sont plus à ce genre de présent.
L'enfant n'ouvrirait pas ce
cadeau mais le garderait inexplicablement sur une étagère. Des mois
durant, il resterait en l'état. Mais un jour, bien plus tard, par
ennui et inadvertance, il délivra ce petit livre. Pourquoi
avait-t-il fait ça ? Lui-même ne le savait pas. Pire encore, ce
jour mémorable, il essaya de déchiffrer quelques mots. Jusqu'au
soir, il abandonna ses écrans et ses colères. Il venait de
découvrir un monde plus merveilleux encore que ceux, factices, qui
occupaient alors ses journées entières.
L'enfant avait découvert
le livre. Il renonça, le Noël suivant, à tout ce qui faisait alors
son pouvoir sur les adultes. Il ne voulut que des livres, des albums,
des histoires, des romans. On prétend que bien des donateurs en
furent très contrariés. Ils se sentaient humiliés d'offrir un
objet de si peu de valeur. Qu'allait-on penser d'eux ?
Mercantilement sien.
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