lundi 13 novembre 2017

Un bain de jouvence …



La grande descente !



Il est un endroit où trois provinces se réunissent en bord d'Allier. Au loin, du Berry voisin, de la Bourgogne lointaine et du Bourbonnais sur l’autre rive, les coqs chantent à l’unisson leur amour de ce beau pays. Un autre personnage aime par dessus tout cet endroit qui jadis fut un vignoble. Il se trouve qu’il est amateur de vin, qu’il est connaisseur tout autant que gourmand. C’est là qu’il est venu poser son baluchon, lui qui a décidé de descendre l’Allier et la Loire sur un frêle esquif.

Il est venu demander asile pour la nuit. Il se trouve que l’hospitalité est une règle et un principe de vie en ce lieu merveilleux. L’ami Georges y est reçu en seigneur, à la différence notable que la simplicité demeure la ligne de conduite que se fixent ses hôtes. Si la porte est toujours ouverte, chacun doit mettre la main à la pâte tout en apportant sa pierre à la réalisation de cette belle utopie.

Georges n’est pas homme à reculer devant un service. Il se démène pour être utile, contribuant ainsi à la qualité des accueils suivants. Puis, après s’être multiplié en tous lieux, pour lui vient le moment de se réconforter par un bon repas au menu simple et roboratif, tel que savent le préparer les gens d’ici. La soupe trône à la place d’honneur ; elle indique que la tradition ne doit pas mourir et qu’il n’est pas de bonne table sans une marmite dans laquelle lard et légumes ont mijoté toute la journée.

C’est alors que pour honorer leur visiteur, les Chavans lui proposèrent un vin de pays, un Saint-Pourçain qui fit basculer la soirée dans un autre monde. Georges en fin gourmet apprécia le breuvage sans doute un peu plus que de raison. Il en but quelques verres : « quand on aime vraiment, on ne compte pas », se plaisait-il à dire à ses hôtes hilares.

La tête, en dépit d’un repas copieux, finit par lui tourner. On ne peut s’en étonner : la nature réclame ses droits, souvent bien plus vite qu’on croit. Georges avait grand besoin de prendre l’air. Il sortit de la ferme pour descendre jusqu’à la rivière, jouir de la pleine lune et des reflets qu’elle offre à l'onde chatoyante. Est-ce ce spectacle qui le fit basculer dans l’irrationnel ou bien les effluves de ses libations ? Nul ne le saura jamais …

Georges alla jusqu’à son canoë, ouvrit son bidon étanche pour en sortir sa combinaison en néoprène. Il se dévêtit pour endosser cette tenue légère et seyante. Notre ami est quelque peu engoncé mais qui viendrait lui en faire grief ? Il est de rigueur de ne pas juger les amis sur leur physique : il convient de respecter ce principe.

Georges, encore embrumé par les vapeur d’alcool, se jeta à l’eau. Le voyage il le ferait à la nage, de nuit pour jouir de la quiétude magnifique qu’on goûte alors au milieu de la rivière. Il avait décidé de se laisser porter, de descendre les flots mais aussi tous les vins qui jalonnaient Allier et Loire. L’eau la nuit, le vin de jour, voilà une avalaison qui était de nature à réjouir cet hédoniste.

Sa première nuit de natation fut pour lui l’occasion de retrouver ses esprits. Plus il filait au gré des flots, plus sa détermination à mener à son terme son étrange voyage se renforçait. Non seulement, il avait retrouvé tous ses esprits mais en plus, il était porté par l’euphorie du spectacle qui se présentait à lui et le désir de boire sans retenue tous les vins de Loire.

Sa première étape eut lieu à au Bec d'Allier, là où la Loire et son frère jumeau se mêlent en un somptueux décor . Le bruit avait circulé parmi ses amis ligériens que notre homme s’était lancé dans cette folle aventure. Qui avait pu ébruiter la chose et comprendre les intentions du nageur œnologique ? Cela restera à jamais un mystère.

Toujours est-il qu’un certain Bibi, grand connaisseur des eaux tout autant que des vins, s'en vint à sa rencontre au petit matin alors que notre nageur intrépide avait dormi quelques heures sur une grève tranquille. Il avait eu vent de sa grande avalaison et voulait réparer les quelques oublis que son point de départ avait occasionnés. C’est ainsi que le fier marinier lui apporta des côtes du Forest et des côtes Roannaises ; breuvages certes méconnus mais qui méritaient de figurer sur la carte des vins du nageur.

Nos deux lascars après avoir bu plus que de raison, s'assoupirent jusqu’à la nuit tombante. C’est quand les premières étoiles apparurent que Georges remercia son compagnon et reprit son chemin sur l’eau. Les étapes à venir risquaient de lui donner quelques crampes : il entrait dans le royaume du vin blanc. Il se promettait de ne pas pousser le bouchon trop loin et de garder toujours en tête la ligne de flottaison en jouant de la plus extrême modération, selon naturellement les critères des gens de Loire, tous plus larrons en foire les uns que les autres.

Ce dut être une promesse en l’air. Son projet resta vain, la tentation était si grande dans cette partie du parcours et les étapes si courtes, qu’il pouvait boire tout son saoul de ces vins si bons. Il y eut d’abord le vin de la Charité, ce blanc confidentiel issu du Chasselas. C’était une entrée en matière surprenante avant de plonger dans le royaume du Sauvignon.

Ce fut alors son chemin de croix ou bien de choix. Chacun jugera de la chose ! Ses jours étaient faits de Pouilly fumé, de coteaux du Giennois, de Sancerre et ses nuits de lentes descentes parmi les castors. Il était heureux. Il était en totale communion avec la rivière. Il la buvait le jour, la descendait la nuit. Quel bonheur ! Il se rappelait avec émotion que, tout gamin, il admirait ce mur à Saint-Jean-de-Braye où figuraient toutes les appellations de notre Loire. Il déplorait comme beaucoup d’entre nous qu’on laissât à l’abandon ce témoin de notre culture. Mais nos amis les élus, n’ont pas le souci du symbole quand il s’agit de défendre notre Loire.

Il ft justement son entrée dans les vins de l’Orléanais. Jadis prisés par les rois, le blanc, issu du Chardonnay et le rouge, fait de Cabernet, de Pinot et de Gris Meunier, avaient connu une longue éclipse. Quelques Pionniers avaient souhaité leur redonner vigueur en obtenant le sésame de l’AOC. Hélas, les mauvaises récoltes à répétions, les intempéries : le gel, la grêle, les pluies diluviennes venaient de provoquer la fermeture de la cave coopérative. Heureusement, quelques vignerons obstinés continuaient à produire en dépit de conditions financières incertaines. Ils vinrent cependant à la rencontre de notre nageur et se montrèrent très généreux …

La route ne faisant que commencer. Georges buvait le jour, nageait dans un océan de félicité la nuit. Le choix de son moyen de locomotion le mettant à l’abri des petits hommes bleus à la pipette. Voilà un souci de moins pour notre intrépide avaleur. Il pouvait se trouver entre deux vins sans être importuné par les tenants de la prohibition moderne. Il avait sans doute biché le cul de la bouteille d’or, échappant ainsi aux foudres des pourfendeurs de Marianne. L’essentiel était pourtant ailleurs : il était en symbiose avec la rivière et ses hôtes qui la nuit avaient une activité débordante. Georges s'émerveillait à chaque brasse.

Le Loir-et-Cher s’offrit alors à sa gourmandise. Le vin de Cheverny, le Cour Cheverny lui firent entrevoir la vie de château. Il entrait dans la vallée des rois : il allait déguster jusqu’à plus soif. Ce furent ainsi le Vouvray, le Montlouis, le vin d’Amboise. La Touraine en pleine gloire pétillait de mille nuances. Rouge, blanc et crémants étaient à son menu diurne et la Loire se faisait capiteuse pour ses nuits en immersion.

Il arriva à l’embouchure du Cher. Des mariniers de Savonnière vinrent à lui, porteurs des vins de leur rivière. Il était passé à côté du Menetou, du Valançay, du Reuilly et du Quincy. Il dut faire halte chez son ami Alexis pour cuver cet excédent de merveilles. Il s’offrit une nuit entre deux eaux, ronflant comme un sonneur et récupérant de tous ses efforts. C’est qu’il partait chaque soir avec la gueule de bois, manière de se préserver de la noyade. Ce repos lui fut salutaire : même si son haleine restait chargée, il se sentit plus léger pour poursuivre son périple viticole.

Saumur l’attendait. C’était là une épreuve plus redoutable encore. La rivière s’y fait large et le vin plus abondant et varié que partout ailleurs, Il pénétrait chez les bandits de grand Chenin. Il nageait de mieux en mieux et c’était heureux car il buvait de plus en plus. Ses jours étaient chargés, ses nuits lui accordaient ce répit qui permet de poursuivre l’épreuve en toute sérénité. Le ciel pour témoin, la nature endormie lui faisait somptueux cortège. Les animaux étaient ses compagnons et jamais il ne se sentit moins seul que durant ces longues heures de natation ligérienne.

La route était longue encore. Le courant le portait désormais sans le moindre effort, lui permettant de jouir pleinement d’un environnement toujours différent, sans cesse renouvelé et surprenant. Il avait encore devant lui, bien des délices à boire jusqu’à la lie. On l’attendait de gosier ferme pour l’honorer des vins du terroir. Georges était désormais l’ambassadeur des vins de Loire, le tastevin et brasse-bouillon. Partout il était attendu de verre à pied ferme.

Il ne put échapper aux vins du Layon qui lui arrivèrent par le Thouet. Souvent, à l’embouchure des petites rivières ou des grands affluents, il trouvait sur sa route un vigneron ou bien un ami qui l’attendait pour partager avec lui la fierté de la production locale. C’était alors l’occasion d’une halte gourmande dont la vallée de la Loire a le secret. Georges se régalait le jour, se goinfrait d’émotion et de splendeurs la nuit. Il était le plus heureux des hommes.

Il allait entrer dans l’histoire et dans les premiers rouges de notre légende. Saint Martin avait fait des miracles et son âne plus encore. Bourgueil et Chinon l’attendaient. La toue de l’ami Denis Rétiveau et ses vins délicieux furent pour lui une escale merveilleuse à l’ombre du château de Montsoreau. Il reçut la visite d’Édouard, l’homme aux vins d’argent et de nos amis de la dive bouteille, Jean Marie et Géraldy. Il était en territoire d’abondance, il buvait le vin au calice !

Il descendait et,plus il descendait, plus il buvait. Rassurez-vous, il ne buvait que du bon, ce qui ne fait jamais mal à la tête. C’est ainsi qu’il était dans une forme resplendissante. Les vins d’Ancenis, le Malvoisie et le Jasnière, le Muscadet et le Gros Plant. Si le vin était toujours aussi bon, il trouvait à l’eau de Loire un petit goût de sel qui le dégrisa bien vite. C’est à Mauves qu’il renonça à son périple, il était temps : notre nageur était bleu !

Il sortit de l’eau et un bon samaritain vint jusqu’à lui. Valéry lui proposa un vin chaud. Ce breuvage lui rappela la soupe par laquelle tout avait commencé. Georges avait accompli son pèlerinage, le sien était de vin et bien des Ligériens aimeraient faire comme lui. Si l’idée est tentante, il faut savoir se jeter à l’eau, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Il n’avait pas à regretter sa folie. Il s’était grisé autant de vin que de merveilles. Il avait communié avec la nature en célébrant le sang du Christ et l’œuvre de son père. Il en sortait ébloui et bouleversé. Il pouvait retourner chercher son canoë ; désormais, il se ferait ambassadeur de Loire, luttant pied à pied contre ceux qui lui manquent de respect, d’une manière ou d’une autre. Il y avait tant à faire ...

Quant à vous, qui voudriez imiter son exemple en vous contentant de suivre le trajet de la Loire à vélo, je vous invite à la plus grande prudence. Le mieux est de monter sur une barrique et de vous laisser aller au gré des flots. Votre radeau vous conduira de vignobles en vignobles sur notre Loire, la plus belle des rivières à vin. La modération n’est guère de mise au pays de Rabelais. Veuillez pardonner nos excès et lever vos verres à notre santé mentale défaillante !

Oenologiquement vôtre.

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