C’est
dans les vieux pots …
S’il
est un plat qui symbolise le terroir tout en divisant les familles,
c’est sans aucun doute la soupe. Pour les uns, à la grimace, pour
les autres, plat incontournable, la soupe trône en majesté ou bien
disparaît à jamais des tables familiales. Les enfants, depuis belle
lurette, n’avalent plus l’immonde sornette qui prétendait jadis
que ce mets faisait grandir. Ils boudent ostensiblement ce qui
pourtant avait remplacé le biberon dans les premiers mois de leur
existence.
La
soupe bénéficie désormais de toutes les promesses de la
technologie et du commerce. Des robots surpuissants et chauffants
promettent veloutés ou bouillons le temps d’un éclair et de
quelques pressions opportunes. C’est le miracle du modernisme, ne
manque plus que l’épluchage même si on parvient désormais à
trouver des emballages pour suppléer les défaillances domestiques.
La
soupe sans éplucher ses légumes, c’est l’amour sans
préliminaire. Il y a quelque chose de bâclé, de méprisé dans la
chose. Le rituel d’une bonne soupe c’est d’abord le choix des
légumes, des produits frais venus du jardin ou, à défaut, du
marché. L’assemblage se fait savant, le dosage minutieux, les
ajouts parcimonieux. Il y a une alchimie qui ne tolère pas
l’approximation. Il faut tout autant envisager la densité désirée
; il y a les tenants de la soupe claire qui s’opposent dans un
combat fratricide aux adorateurs de l’épaisse.
Les
légumes, certes, mais pas seulement. Il y a toujours moyen d’ajouter
un peu de viande quand on veut améliorer l’ordinaire ou donner un
goût différent au plat. Les pattes de poulet ont depuis longtemps
battu en retraite. Le bout de lard a mauvaise presse, le talon de
jambon de pays est très régional, le plat-de- côte ou la joue de
bœuf font concurrence au petit salé. Chacun trouve son bonheur
comme il peut !
Les
épices exigent du doigté. La « quatre-épices », quand
la feuille miraculeuse arrive de l’île de la Réunion, est, à ce
titre, une merveille de synthèse. Sinon, chacun y va de son bouquet
garni ou dégarni, de ses grains de cayenne ou de coriandre, de sa
petite touche personnelle. Le sel fait le gros dos, il ne doit pas
tirer la nappe à lui, il convient de doser et de préférer en
rajouter dans les assiettes. Le poivre a ses adorateurs et ses
détracteurs, nouveau casse-tête en perspective !
Mais
toutes ces petites querelles valent mieux que l’achat des soupes en
sachet : ces merveilles d’arômes artificiels, de produits
alambiqués qui donnent un brouet indigne et douteux. Fuyez également
la brique en carton, le pot en verre ; la soupe est « maison »
ou elle n’est pas. Le petit cube magique mouillé de vermicelle ou
de tapioca est un pis-aller à oublier.
Tout
comme il convient d’oublier les traumatismes de l’enfance. Les
punitions du père qui voulait vous contraindre à finir votre soupe,
les menaces de privation du dessert si vous boudiez le consommé, les
soupes froides d’avant, trop attendues et qu’il fallait avaler
malgré tout pour avoir droit à autre chose. Revenez à ce plaisir
que les temps froids qui s’annoncent vont vous permettre de
retrouver.
La
soupe permet tous les assemblages, tous les possibles. Osez les
associations surprenantes, allez quérir les légumes anciens, les
légumineuses et les féculents, jouez du robot plongeur si vous
n’avez pas le moulin à légumes mais sachez que c’est lui qui
donne à la soupe son onctuosité et sa tenue. Partez sur les chemins
de la composition légumière : la soupe est une symphonie de
parfums quand on s’en fait le virtuose en tablier.
Si
vous voulez suivre mes pas, prenez donc un potimarron châtaigne, une
betterave rouge crapaudine cuite au feu de bois, une carotte, deux
grosses pommes de terre, une patate douce, les pattes et le cou d’une
poule fermière, du curcuma, des graines de coriandres, deux oignons
rouges, une branche de céleri, deux gousses d’ail, quelques
châtaignes, un verre de vin blanc et du beurre pour faire suer les
légumes, coupez en petits morceaux avant de les mouiller d’un
fond de bouillon dans lequel vous aurez fait blanchir une volaille.
Laissez mijoter avec amour et servez avec un nuage de crème épaisse.
Je
vous laisse à vos éplucheurs et vos fourneaux mais n’oubliez
jamais que c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures
soupes. Prenez le temps d’une cuisson lente, préférez la fonte
aux matériaux modernes, laissez mijoter tranquillement, touillez de
temps à autre, goûtez si vous voulez vous mettre en appétit. La
soupe est un bonheur sans pareil ; j’attends avec impatience
vos recettes et vos conseils.
Mijotement
vôtre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire