lundi 6 novembre 2017

À la bonne soupe.



C’est dans les vieux pots …



S’il est un plat qui symbolise le terroir tout en divisant les familles, c’est sans aucun doute la soupe. Pour les uns, à la grimace, pour les autres, plat incontournable, la soupe trône en majesté ou bien disparaît à jamais des tables familiales. Les enfants, depuis belle lurette, n’avalent plus l’immonde sornette qui prétendait jadis que ce mets faisait grandir. Ils boudent ostensiblement ce qui pourtant avait remplacé le biberon dans les premiers mois de leur existence.

La soupe bénéficie désormais de toutes les promesses de la technologie et du commerce. Des robots surpuissants et chauffants promettent veloutés ou bouillons le temps d’un éclair et de quelques pressions opportunes. C’est le miracle du modernisme, ne manque plus que l’épluchage même si on parvient désormais à trouver des emballages pour suppléer les défaillances domestiques.

La soupe sans éplucher ses légumes, c’est l’amour sans préliminaire. Il y a quelque chose de bâclé, de méprisé dans la chose. Le rituel d’une bonne soupe c’est d’abord le choix des légumes, des produits frais venus du jardin ou, à défaut, du marché. L’assemblage se fait savant, le dosage minutieux, les ajouts parcimonieux. Il y a une alchimie qui ne tolère pas l’approximation. Il faut tout autant envisager la densité désirée ; il y a les tenants de la soupe claire qui s’opposent dans un combat fratricide aux adorateurs de l’épaisse.

Les légumes, certes, mais pas seulement. Il y a toujours moyen d’ajouter un peu de viande quand on veut améliorer l’ordinaire ou donner un goût différent au plat. Les pattes de poulet ont depuis longtemps battu en retraite. Le bout de lard a mauvaise presse, le talon de jambon de pays est très régional, le plat-de- côte ou la joue de bœuf font concurrence au petit salé. Chacun trouve son bonheur comme il peut !

Les épices exigent du doigté. La « quatre-épices », quand la feuille miraculeuse arrive de l’île de la Réunion, est, à ce titre, une merveille de synthèse. Sinon, chacun y va de son bouquet garni ou dégarni, de ses grains de cayenne ou de coriandre, de sa petite touche personnelle. Le sel fait le gros dos, il ne doit pas tirer la nappe à lui, il convient de doser et de préférer en rajouter dans les assiettes. Le poivre a ses adorateurs et ses détracteurs, nouveau casse-tête en perspective !

Mais toutes ces petites querelles valent mieux que l’achat des soupes en sachet : ces merveilles d’arômes artificiels, de produits alambiqués qui donnent un brouet indigne et douteux. Fuyez également la brique en carton, le pot en verre ; la soupe est « maison » ou elle n’est pas. Le petit cube magique mouillé de vermicelle ou de tapioca est un pis-aller à oublier.

Tout comme il convient d’oublier les traumatismes de l’enfance. Les punitions du père qui voulait vous contraindre à finir votre soupe, les menaces de privation du dessert si vous boudiez le consommé, les soupes froides d’avant, trop attendues et qu’il fallait avaler malgré tout pour avoir droit à autre chose. Revenez à ce plaisir que les temps froids qui s’annoncent vont vous permettre de retrouver.

La soupe permet tous les assemblages, tous les possibles. Osez les associations surprenantes, allez quérir les légumes anciens, les légumineuses et les féculents, jouez du robot plongeur si vous n’avez pas le moulin à légumes mais sachez que c’est lui qui donne à la soupe son onctuosité et sa tenue. Partez sur les chemins de la composition légumière : la soupe est une symphonie de parfums quand on s’en fait le virtuose en tablier.

Si vous voulez suivre mes pas, prenez donc un potimarron châtaigne, une betterave rouge crapaudine cuite au feu de bois, une carotte, deux grosses pommes de terre, une patate douce, les pattes et le cou d’une poule fermière, du curcuma, des graines de coriandres, deux oignons rouges, une branche de céleri, deux gousses d’ail, quelques châtaignes, un verre de vin blanc et du beurre pour faire suer les légumes, coupez en petits morceaux avant de les mouiller d’un fond de bouillon dans lequel vous aurez fait blanchir une volaille. Laissez mijoter avec amour et servez avec un nuage de crème épaisse.

Je vous laisse à vos éplucheurs et vos fourneaux mais n’oubliez jamais que c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes. Prenez le temps d’une cuisson lente, préférez la fonte aux matériaux modernes, laissez mijoter tranquillement, touillez de temps à autre, goûtez si vous voulez vous mettre en appétit. La soupe est un bonheur sans pareil ; j’attends avec impatience vos recettes et vos conseils.

Mijotement vôtre.

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