mercredi 29 novembre 2017

Une dédicace venue du ciel …

À l'enfant à paraître



Il est des rencontres qui interpellent, vous laissent pantois et ne cessent ensuite de vous hanter. Celle que je vais vous conter est de celles-ci. J'allais à l'aventure dans une caverne d'Ali Baba, un endroit merveilleux, peuplé de vieux livres et habité par un conteur à l'accent chantant, un être rare et enchanteur.

Passer quelques heures chez un bouquiniste est déjà une formidable plongée dans l'histoire et la fiction, l'imaginaire et le réel. Chacun vient y chercher sa perle, sa rose ou bien un souvenir d'enfance. Les vieux livres semblent émettre des ondes, nous parler et nous inviter à leur redonner vie. « Aux Baux livres » est de ces endroits qui vous prennent ainsi par le cœur.

Alors que nous devisions tranquillement, que nous évoquions l'étrange alchimie du conte, un vieil homme pénétra dans la boutique. Il nous laissa discuter, prétendant ne rien chercher de particulier. Il voulait simplement se laisser porter par le hasard ou sa bonne fortune. Nous laissâmes l'homme à sa recherche silencieuse tout en continuant à palabrer.

Mon ami montalbanais me disait alors que, pour lui, un conte c'est un grand cercle que l'on va parcourir. Il faut accomplir la boucle, laisser se dévider l'histoire en offrant à chaque personnage, sa chance et sa réalité. L'écheveau du récit se poursuit jusqu'à ce qu'une fracture se produise : un évènement qui vient rompre le bel ordonnancement des choses.

C'est la part du mystérieux, de la magie, du fantastique qui surgit et provoque la faille dans laquelle va s'engouffrer le conteur. Soudain, tout bascule, tout se dilue dans le récit qui perd alors pied avec le réel. Il n'est pas question d'expliquer, de rationaliser, de justifier. Il suffit de se laisser porter par une autre logique et de suivre cette route qui n'a jamais été empruntée.

Le cercle s'achèvera alors par une pirouette, une intervention surnaturelle, un merveilleux artifice pour retourner au point de départ avec une infime distorsion, un changement imperceptible qui, pourtant, apporte tout son sel désormais à la situation initiale. Le tour sera joué : le lecteur aura son content de surprises et la boîte à malice pourra se refermer …

J'étais admiratif devant cette définition quand le client silencieux se rapprocha de nous. «  S'il vous plaît, auriez-vous des choses rares sur Saint-Exupéry ? » Il semblait surgir d'ailleurs ! Il y avait dans sa voix quelque chose de l'enfance que renforçait un sourire malicieux. Le bouquiniste sortit ce qu'il avait en magasin. L'homme lui dit «  J'ai déjà tout ça. Je cherche quelque chose que je n'ai pas, quelque chose de rare ou bien de précieux … »

Nous étions captivés par sa douceur. Mon ami réfléchit et lui déclara qu'il savait où trouver un exemplaire du Petit Prince dans l'édition originale de 1943, dédicacé par Antoine de Saint-Exupéry. L'homme eut un grand sourire et se fendit de cette réponse surprenante : «  Ça aussi je l'ai déjà. La dédicace de Saint-Ex m'est personnellement adressée. »

Nous restions bouche bée. Quel âge pouvait bien avoir ce vieil homme pour avoir rencontré de son vivant l'auteur du Petit Prince ? Ne nous menait-il pas en bateau ? Nous voulions savoir le fin mot de cette histoire incroyable. L'homme comprit que nous étions dubitatifs. Il prit alors la parole comme un conteur qui nous offre son histoire …

« Je devine que vous ne me croyez pas et pourtant la chose est exacte. Je n'ai jamais rencontré Antoine de Saint- Exupéry et pourtant c'est bien à moi que fut destinée cette étrange dédicace. Je vous dois quelques explications. Mon père était mécanicien d'avion. Il avait la lourde responsabilité d'entretenir l'engin que pilotait notre aviateur-écrivain.

Saint-Exupéry n'avait d'ailleurs ni la corpulence ni le physique pour être pilote de guerre. Mon père devait à chaque fois remplir la réserve d'oxygène dans son cockpit. Les autres pilotes n'en avaient jamais besoin, lui toujours. Ils avaient établi une relation de confiance et d'amitié. Je ne sais si ce fut au départ de son ultime voyage ou bien peu avant mais mon père annonça à son pilote sa joie d'attendre un enfant. Il venait d'apprendre la nouvelle …

Saint-Exupéry lui demanda de l'attendre. Il alla chercher quelque chose dans ses affaires. Il revint avec un livre à la main. Vous avez compris que c'était : « Le Petit Prince ! » Il prit un crayon et écrivit alors cette étrange dédicace, fruit d'un lapsus étonnant : «  À l'enfant à paraître, un Petit Prince qui, je l'espère, ouvrira les yeux sur un monde à nouveau en paix ! »

Mon père reçut ce présent. Savait-il que son ami pilote était un immense écrivain ? Je ne le lui ai jamais demandé. Saint-Exupéry décolla et ne revint jamais. Mon père eut une belle carrière dans l'aéronautique et moi, je suis devenu par la force de ce baptême littéraire à nul autre pareil, un passionné et un collectionneur de l'œuvre de celui que je n'ai jamais connu mais qui a pensé à moi avant de mourir ... »
Nous étions comme deux enfants, émerveillés d'un récit qui tenait lieu pour nous de conte de fée. Nous venions de trouver une autre faille dans le cercle du récit. Nous nous y engouffrions sans même penser à demander le nom de ce visiteur qui partit aussi discrètement qu'il était entré. La magie s'offre toujours à ceux qui sont disposés à lui faire une petite place. Nous venions d'être comblés.

Princement sien.

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