Un
rapport bienheureux.
Il
est un curieux endroit, un espace mystérieux qui invite au songe et
à la rêverie. J’aime à m’y égarer et je n’ose avouer que
c’est en compagnie d’une gentille fée, d’une charmante dame
qui se fait princesse de mon cœur. Pour mon plus grand bonheur, je
dois payer le prix de ce forfait contre doux câlins et tendres
baisers, le temps d’un récit ou bien d’une fable avant que toute
cette illusion ne s’envole en fumée.
Mais
avant que de mettre la charrue avant les gueux, j’ai envie de vous
décrire ma cour des contes : ce bel endroit qui se fait miracle
où j’aime batifoler tout autant qu’imaginer de nouvelles
aventures. C’est un espace clos, une belle clairière éclairée de
lanternes magiques qui se dressent à chaque coin de ce pentagone
régulier. Au centre trône une mare dans laquelle crapauds et
rainettes font joli concert. Un triton en fait voir de toutes les
couleurs à son ami le chat botté, qui refuse obstinément de mettre
ses petons dans l’eau.
Des
nénuphars couvrent presque toute son étendue. Des fleurs s’y
épanouissent en permanence. Les saisons ont été abolies en ce bel
endroit béni des dieux de l’Olympe qui, bons princes, font une
petite place à Satan. Celui-ci conduit une barque qui traverse
inlassablement la mare sans jamais personne d’autre à son bord. Il
a bien essayé d’y inviter le chat noir mais l’animal a fait sa
mauvaise tête ; c’est qu’il est teigneux le bougre.
Un
saule majestueux se dresse non loin de là. Ses branches viennent
caresser la surface de l’onde et une belle carpe aime à se frotter
à lui tandis qu’à sa cime un rossignol chante les louanges de
Pierre et de Jeannette. Chacun dans cette cour connaît la langue des
oiseaux et reprend avec lui d’autres refrains qui sont créés pour
le plaisir de tous.
Une
rivière, surgit mystérieusement d’une source dans un coin de la
cour, file son chemin en d’incroyables méandres. Elle abrite des
poissons qui font grand conciliabule tandis qu’un pêcheur lance
vainement son épervier au milieu de son onde. L’homme reste
éternellement bredouille, se complaisant à discuter avec des
castors et quelques oiseaux migrateurs qui ont élu domicile ici.
Parfois,
sans qu’on sache très bien pourquoi, un grand bateau fantôme,
surgi du néant poursuit sa route en laissant tonner ses canons. Un
capitaine courbé, manchot au crochet de fer, ayant une jambe de bois
et un perroquet gris de Gabon sur l’épaule, commande à un
équipage fantôme. Il se prend pour le maître de céans avant que
de sombrer dans le ridicule. Il prétend être à la quête d’une
vouivre qui se serait jetée dans les bras d’un prosateur corsaire.
Plus
loin encore, d’un puits sans fond semble monter le chant des
sirènes. En se penchant sur sa margelle, je ne perçois rien.
J’envoie un appel désespéré à ces doux murmures quand l’écho
qui me répond, d’une tendre voix féminine porte tout le
désespoir du monde des ténèbres. C’est le moment que choisit une
curieuse sorcière pour enfourcher son balai de bouleau et franchir
le mur du son.
Dans
une chaumière, ma brave Irène m’invite à partager sa soupe et
ses délicieux fromages de chèvre. Ses yeux sont si bleus que je ne
sais qui du ciel ou bien d’elle cache les rayons du soleil. Dans sa
pauvre cuisine, au pied de la cheminée dans laquelle une marmite
noire mijote toute la journée, une jeune fille ne cesse de tisser
sur son métier, un ouvrage qui, chaque nuit, revient à son point
initial. Elle me regarde d’un air las ; je ne suis pas celui
qu’elle attend et qu’elle appelle Le Prince des risettes. Je la
laisse à son ouvrage fictif.
Une
oie et un goret sont en grande discussion. La volaille se prend de
bec avec le porcin qui fait une fois encore sa tête de cochon. Le
verrat, qui se prend pour une tête de l’art contemporain, voudrait
obtenir sa liberté et quitter cette cour des miracles qui n’ont
jamais lieu. La dame blanche se refuse à lui donner un petit coup de
main. Il est vrai qu’elle n’est guère compétente pour cela.
Un
corbeau fait tout un fromage d’une sombre querelle qui l’oppose à
une pie. La pie, contrairement aux apparences, n’est pas toute
blanche dans une affaire de vol de bijou : un diamant au pouvoir
surnaturel , sorti d’un chapeau en compagnie du lapin blanc
d’Alice. La petite fille cherche à tirer l’affaire au clair, ce
qui provoque la réaction d’un homme de loi dyslexique.
Mais
voici qu'un chevalier surgit au galop ; prétendant chercher
une bergère, vierge de préférence avec un fort accent lorrain
gardant des veaux couleur. Il avait le feu aux talons, à moins que
ce ne fût en autre endroit qui effraierait la donzelle. Le cochon
qui pourtant semblait tout à fait étranger à cette histoire en
devenir, vint faire une scène, prétendant que tout cela sentait
fort le brûlé. La canne de Jeanne vint mettre tout ce monde à la
raison disant qu’il fallait bouter les Anglais de l’endroit.
Dans
la confusion j’en profitai pour prendre par la main la charmante
bergère. Je trouvai là une jeune fille peu farouche qui apprécia
les quelques histoires que je lui glissai à l’oreille. Emportée
par le souffle de mon imagination, la belle prétendit entendre des
voix qui lui conseillaient de perdre sa fleur pour éviter des ennuis
plus grands encore. Galant homme, je m’exécutai promptement, lui
accordant ce que des siècles d’attente ne lui avait pas octroyé.
Ainsi
se termine le tour du propriétaire. La cour des contes se referme
sur ce petit rapport sans conséquence qui pourtant changea la face
de l’histoire. La bergère se lova dans mes bras et Orléans resta
ceint d’une horde d’Anglois belliqueux. Charles VII ne fut pas
oint, ainsi le châtelain chafouin ne put citer la Pucelle dans son
discours, ce qui, avouons-le, n’est pas plus mal. L’histoire
fictive me va comme un gant et pour seul prix de mon labeur, je ne
réclame que votre indulgence.
Uchroniquement
vôtre.
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