jeudi 2 novembre 2017

La cour des contes.



Un rapport bienheureux.



Il est un curieux endroit, un espace mystérieux qui invite au songe et à la rêverie. J’aime à m’y égarer et je n’ose avouer que c’est en compagnie d’une gentille fée, d’une charmante dame qui se fait princesse de mon cœur. Pour mon plus grand bonheur, je dois payer le prix de ce forfait contre doux câlins et tendres baisers, le temps d’un récit ou bien d’une fable avant que toute cette illusion ne s’envole en fumée.

Mais avant que de mettre la charrue avant les gueux, j’ai envie de vous décrire ma cour des contes : ce bel endroit qui se fait miracle où j’aime batifoler tout autant qu’imaginer de nouvelles aventures. C’est un espace clos, une belle clairière éclairée de lanternes magiques qui se dressent à chaque coin de ce pentagone régulier. Au centre trône une mare dans laquelle crapauds et rainettes font joli concert. Un triton en fait voir de toutes les couleurs à son ami le chat botté, qui refuse obstinément de mettre ses petons dans l’eau.

Des nénuphars couvrent presque toute son étendue. Des fleurs s’y épanouissent en permanence. Les saisons ont été abolies en ce bel endroit béni des dieux de l’Olympe qui, bons princes, font une petite place à Satan. Celui-ci conduit une barque qui traverse inlassablement la mare sans jamais personne d’autre à son bord. Il a bien essayé d’y inviter le chat noir mais l’animal a fait sa mauvaise tête ; c’est qu’il est teigneux le bougre.

Un saule majestueux se dresse non loin de là. Ses branches viennent caresser la surface de l’onde et une belle carpe aime à se frotter à lui tandis qu’à sa cime un rossignol chante les louanges de Pierre et de Jeannette. Chacun dans cette cour connaît la langue des oiseaux et reprend avec lui d’autres refrains qui sont créés pour le plaisir de tous.

Une rivière, surgit mystérieusement d’une source dans un coin de la cour, file son chemin en d’incroyables méandres. Elle abrite des poissons qui font grand conciliabule tandis qu’un pêcheur lance vainement son épervier au milieu de son onde. L’homme reste éternellement bredouille, se complaisant à discuter avec des castors et quelques oiseaux migrateurs qui ont élu domicile ici.

Parfois, sans qu’on sache très bien pourquoi, un grand bateau fantôme, surgi du néant poursuit sa route en laissant tonner ses canons. Un capitaine courbé, manchot au crochet de fer, ayant une jambe de bois et un perroquet gris de Gabon sur l’épaule, commande à un équipage fantôme. Il se prend pour le maître de céans avant que de sombrer dans le ridicule. Il prétend être à la quête d’une vouivre qui se serait jetée dans les bras d’un prosateur corsaire.

Plus loin encore, d’un puits sans fond semble monter le chant des sirènes. En se penchant sur sa margelle, je ne perçois rien. J’envoie un appel désespéré à ces doux murmures quand l’écho qui me répond, d’une tendre voix féminine porte tout le désespoir du monde des ténèbres. C’est le moment que choisit une curieuse sorcière pour enfourcher son balai de bouleau et franchir le mur du son.

Dans une chaumière, ma brave Irène m’invite à partager sa soupe et ses délicieux fromages de chèvre. Ses yeux sont si bleus que je ne sais qui du ciel ou bien d’elle cache les rayons du soleil. Dans sa pauvre cuisine, au pied de la cheminée dans laquelle une marmite noire mijote toute la journée, une jeune fille ne cesse de tisser sur son métier, un ouvrage qui, chaque nuit, revient à son point initial. Elle me regarde d’un air las ; je ne suis pas celui qu’elle attend et qu’elle appelle Le Prince des risettes. Je la laisse à son ouvrage fictif.

Une oie et un goret sont en grande discussion. La volaille se prend de bec avec le porcin qui fait une fois encore sa tête de cochon. Le verrat, qui se prend pour une tête de l’art contemporain, voudrait obtenir sa liberté et quitter cette cour des miracles qui n’ont jamais lieu. La dame blanche se refuse à lui donner un petit coup de main. Il est vrai qu’elle n’est guère compétente pour cela.

Un corbeau fait tout un fromage d’une sombre querelle qui l’oppose à une pie. La pie, contrairement aux apparences, n’est pas toute blanche dans une affaire de vol de bijou : un diamant au pouvoir surnaturel , sorti d’un chapeau en compagnie du lapin blanc d’Alice. La petite fille cherche à tirer l’affaire au clair, ce qui provoque la réaction d’un homme de loi dyslexique.

Mais voici qu'un chevalier surgit au galop ; prétendant chercher une bergère, vierge de préférence avec un fort accent lorrain gardant des veaux couleur. Il avait le feu aux talons, à moins que ce ne fût en autre endroit qui effraierait la donzelle. Le cochon qui pourtant semblait tout à fait étranger à cette histoire en devenir, vint faire une scène, prétendant que tout cela sentait fort le brûlé. La canne de Jeanne vint mettre tout ce monde à la raison disant qu’il fallait bouter les Anglais de l’endroit.

Dans la confusion j’en profitai pour prendre par la main la charmante bergère. Je trouvai là une jeune fille peu farouche qui apprécia les quelques histoires que je lui glissai à l’oreille. Emportée par le souffle de mon imagination, la belle prétendit entendre des voix qui lui conseillaient de perdre sa fleur pour éviter des ennuis plus grands encore. Galant homme, je m’exécutai promptement, lui accordant ce que des siècles d’attente ne lui avait pas octroyé.

Ainsi se termine le tour du propriétaire. La cour des contes se referme sur ce petit rapport sans conséquence qui pourtant changea la face de l’histoire. La bergère se lova dans mes bras et Orléans resta ceint d’une horde d’Anglois belliqueux. Charles VII ne fut pas oint, ainsi le châtelain chafouin ne put citer la Pucelle dans son discours, ce qui, avouons-le, n’est pas plus mal. L’histoire fictive me va comme un gant et pour seul prix de mon labeur, je ne réclame que votre indulgence.

Uchroniquement vôtre.

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