mercredi 1 novembre 2017

L’Ankou en perd son sang froid


Un client insupportable




Il était une fois un homme réputé pour son esprit pratique, son sens de l’observation et son incessante envie de parfaire les choses, d’en améliorer le fonctionnement tout autant que l’usage. Il était apprécié de tous dans la mesure où il avait toujours un conseil utile à donner, une remarque pertinente qui permettait ensuite de gagner du temps et d'économiser force dans bien des situations. Il s’appelait Gwendal et c’est lui que cette nuit là, l’Ankou venait quérir.

C’est un homme très grand et très maigre qui s’approche de Gwendal, d’un pas pesant qui fait trembler le sol. Il a les cheveux très longs, d’un blanc flamboyant. Sa figure est dissimulée par un large chapeau de feutre noir. Notre ami ne s’y est pas trompé, il a reconnu celui dont le nom est le savant mélange entre L’Anken, le chagrin et L’Ankoum, l’oubli. Il n’est autre que le valet de la mort, celui qui vient chercher les défunts sur son Karrig an Ankou, le char de la mort.

Gwendal, jeune encore, ne recule pas devant cette funeste perspective. Il aborde avec dignité le moment que tout le monde redoute. Il ne se départit pas de sa nature joviale et pratique, salue son visiteur, lui offre une pomme qui reste en travers de la gorge de son vis à vis tout en lui faisant bonne figure. Plus même, il monte sur son char grinçant en lui proposant de graisser l’essieu, ce qu’il fait dans l’instant car il a toujours sa mallette à outils sur lui.

L’Ankou semble fort surpris de ce curieux personnage qui n’est pas paralysé à sa vue. Il le laisse faire, attrapé qu’il est par ce comportement qui sort de l’ordinaire. Plus encore, son client entame la conversation comme si de rien n’était. Il fait remarquer à l’Ankou que sa faux dont le tranchant est tourné vers l’extérieur mériterait un petit coup de pierre et s’emploie dans l’instant à affûter l’outil. L’autre n’en revient pas ! 
 

Gwendal poursuit l’inspection du char. Il trouve que les harnais sont secs et mériteraient un peu de graisse. Il s’exécute dans l’instant au grand dépit du passeur qui trouve décidément que ce défunt-là en fait un peu trop. Bientôt le Karrig an Ankou devient un char rutilant et silencieux. Le temps du voyage jusqu’à la rivière, le client a tout revisité pour en améliorer le fonctionnement.

Il prend des envies de meurtre à l’Ankou quoiqu’il ait face à lui, un lascar déjà passé de vie à trépas. Il manque de considération pour sa personne et plus encore pour la fonction qui est la sienne. Il devrait normalement provoquer effroi et stupeur et voilà un drôle de paroissien qui non seulement ne tremble pas mais s’active à lui rendre service, lui qui n’a strictement rien demandé.

Le char s’arrête alors devant la berge, là où les attend le Bag Noz, le bateau de la nuit, celui qui mène sur l’autre rive. À la manœuvre : le plus jeune trépassé de l’ année, c’est un gamin que Gwendal a reconnu immédiatement. Il va lui donner une poignée de main vigoureuse et lui conseille immédiatement de resserrer les drisses et d’étarquer la voile, car une petite bise glaciale vient du nord.

L’Ankou et son capitaine n’en reviennent pas. La traversée s’annonce délicate avec un tel passager. Non seulement il n’arrête pas de parler mais qui plus est, ne cesse de donner des conseils sur la manœuvre, sur le chemin à prendre ou bien encore sur la manière de prendre au mieux le vent. Le capitaine en perd son flegme, l’Ankou son sang-froid. Décidément ce mort-là leur chauffe les oreilles.

Au milieu de la rivière, Gwendal sort un rabot. Une bordée mérite selon lui un petit coup de ponçage. Puis ce sont quelques clous qui sont soigneusement renfoncés avant qu’il ne se lance dans la réfection d’une épissure. C’en est vraiment trop. Ce mort est infréquentable et vous damnerait si ce n’était déjà fait ! L’Ankou est au bord de la crise de nerfs quand son capitaine, quelque peu désorienté par la tournure de la traversée, vire de cap et retourne sur la berge d’où ils étaient partis.

Gwendal n’en a cure. Il n’entend même pas le son du glas qui sonne pour lui à l’église de son village. Il a bien trop à faire pour remettre en état le Bag Noz. Il trouve même judicieux d’allumer un falot qui traînait là, sans bougie, bougie justement qu’il avait dans sa trousse à outils. Un peu de lumière quand on navigue de nuit semble pour lui la plus élémentaire des prudences.

Cette fois, la mesure est dépassée. Voilà que ce défunt qui ne respecte rien vient troubler les ténèbres. L’Ankou est pris de rage et d’un virulent coup de pied au derrière renvoie le maudit bricoleur sur la terre ferme, se jurant de le laisser à jamais dans le territoire des vivants. C’est ainsi que Gwendal est revenu d’entre les morts. Mais ne comptez pas sur lui pour vous narrer son aventure, il avait tant à faire pour remettre tout au niveau sur le Karrig an Ankou puis sur le Bag Noz qu’il n’avait pas remarqué que sa dernière heure était avenue.

De cette histoire il n’est qu’une chose à retenir ; au moment de passer de vie à trépas, si vous avez quelque chose de mieux à faire, de plus utile, de plus agréable pour vous ou pour vos proches, surtout il ne faut pas vous en priver. C’est ainsi que Gwendal continue de courir la Lande bretonne, toujours avec sa trousse à outils et sa bonne humeur. Si vous tombez en rade, il n’hésitera pas à vous donner un coup de mains pour vous sortir le pied de la tombe.

Avallonement sien.

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