Le
mystère se mord la queue
Il
est un village tranquille en bord de Loire qui sommeille à l'ombre
de la rivière, de ses belles maisons anciennes et d'un trésor qui
ne semble pas avoir attiré beaucoup de curiosité. Ousson sur Loire
n'a pas la chance de défrayer la chronique ; son trésor reste
enfoui dans les mémoires à l'ombre d'un bois du greffier qui
échappe désormais à la toponymie locale et nul ne songe maintenant
à tenter sa bonne fortune.
Pourtant,
il était une fois un homme d'importance, greffier de son état, qui
aurait accumulé énorme fortune si l'on en croit les archives de
l'époque. Comment avait-il fait pour remplir un coffre d'or et de
pierres précieuses ? Nul ne le saura jamais. Il a emporté son
secret dans sa tombe tout comme il aurait confié à la terre le soin
de garder ses richesses, à l'instar du brave Maximilien de Béthune
du côté du Sully sur Loire …
C'est
au pied d'un chêne qu'il aurait enterré ce fameux coffre. Il ne
voulait sans doute pas que les hommes de son entourage bénéficient
de son bien. Il l'avait accumulé pour le seul plaisir de la
jouissance à se savoir riche. Il continua à vivre chichement,
n'attirant de ce fait nulle convoitise ni jalousie. C'est ainsi que
personne à Ousson ne soupçonna que le brave greffier était en
possession d'une immense fortune. C'est sans doute la condition d'une
vie paisible ; nous ne pouvons lui en faire grief.
La
chose serait restée ainsi secrète et forcément inconnue si
quelques langues de vipère n'avaient évoqué quelques bruits glanés
de-ci, de-là, lors des veillées. Certains affirmaient avoir vu un
coffre toujours fermé, jalousement gardé par le vieil homme jusqu'à
sa mort. D'autres évoquaient de mystérieux larcins, exercés dans
la région, quand le greffier avait été plus jeune.
L'homme
n'avait jamais eu bonne réputation. Il restait cloîtré dans sa
demeure, ne participait pas aux fêtes du village, n'allait à la
messe que le jour des Rameaux, en dépit des nombreuses remontrances
de monsieur le curé et jamais, il ne s'était confessé, preuve,
s'il en est, qu'il avait quelque chose à cacher.
Tout
cela fut suffisant pour déclencher une légende, un récit
fantasmagorique. L'existence du trésor était acquise, la nature de
son origine établie, sa disparition certaine. Le greffier avait
quitté cette vallée de larmes en laissant à qui se montrerait le
plus malin, la possibilité d'empocher la mise. Le petit village
était mûr pour la fièvre du trésor ; ce mal qui rend fous
les gens, y compris les plus sages et les moins cupides.
Le
village devint un gruyère, une ruche laborieuse ou chacun
s'évertuait à creuser son trou à l'abri des regards de ses
voisins. La suspicion était la règle, la dissimulation le principe
de base. Le brave curé de cette paroisse abandonnée au diable, dut
prendre le problème à-bras-le corps. Il lui fallait arrêter les
ardeurs de ses ouailles, les ramener à la raison et sans doute faire
usage de dissuasion par la superstition : la seule recette
véritablement efficace dans ce domaine.
L'homme
de Dieu se souvint de la curieuse particularité de son paroissien.
Il profita de celle-ci pour frapper les esprits avec la complicité
d'un comparse, son bedeau, un certain la Malice, le bien nommé. Il
mit en place un nouveau rituel le jour des Rameaux. Le prêtre fit
une grande procession depuis une petite chapelle située en bord de
Loire devant laquelle les rameaux furent bénis.
Puis
le peuple des fidèles et son berger s'en allèrent par les rues du
village. Le curé prit grand soin de passer devant la maison du
défunt greffier avant que de traverser le bois qui était l'objet de
toutes les recherches aurifères. C'est enfin vers son église que le
serviteur du maître des cieux acheva son circuit. La foule le
suivait, interrogative et inquiète. Quel était donc le sens de ce
curieux cortège ?
Quand
la troupe en prière et en dévotion arriva devant la maison de Dieu,
les portes étaient fermées. Nouvelle surprise pour les gens du
village. Les cloches sonnaient à la volée et le grand porche était
rabattu. Plus étrange encore, le curé prit un bâton pour frapper
enfin qu'on veuille bien lui ouvrir. Il ne se passa rien.
L'inquiétude gagnait les rangs des gens d'ici.
Le
curé frappa une seconde fois. Le silence se fit. Rien ne se passa,
une fois encore. Le prête s'agenouilla, passa un long moment en
dévotion avant que de se relever en un geste si las, si solennel, si
emprunt de mystère, qu'il fixa tous les regards de la foule. Alors,
il frappa une troisième fois …
Non
loin de là, un cri effroyable se fit entendre. La stupeur fut
générale. Les villageois se signaient, certains s'agenouillèrent,
d'autres se prosternèrent. Le Diable s'était mêlé à la fête :
il n'y avait aucun doute à ce sujet. C'est alors que le bedeau,
notre bon La Malice, arriva en courant, l'air défait, effrayé,
hagard et, sans sembler voir la foule se précipita sur le porche de
l'église.
Sous
son poids, les portes qui, jusque-là, étaient restées closes
s'ouvrirent lentement. La foule s'exclama, le curé prit la Malice
dans ses bras et lui demanda ce qu'il avait vu. Le bedeau de réciter
la fable préparée la veille par le vicaire et de déclarer ceci :
lorsque le curé avait frappé la porte de l'église pour obtenir son
ouverture, il se trouvait dans le bois du greffier, ayant dû faire
demi tour car il avait oublié une burette à la chapelle. L'homme
était réputé étourdi !
C'est
alors qu'au pied d'un chêne, un coffre sortit de terre ; son
couvercle se souleva et libéra plusieurs serpents : des vipères
énormes comme jamais il n'en avait vu dans la région. C'est à ce
moment qu'il hurla et se précipita vers l'église. Le curé invita
la foule à le suivre et se rendit dans ce fameux bois.
Il
y avait effectivement un coffre, désespérément vide, au pied d'un
arbre, dans lequel on pouvait voir une vipère qui y avait été
perchée. Nouveaux signes de croix, nouveaux murmures parmi ces gens
si crédules. La troupe reprit le chemin de l'église et jamais messe
ne fut aussi fervente que celle-ci.
Depuis
ce jour, nul à Ousson ne songea plus à creuser le sol à la
recherche du trésor du greffier. L'histoire fut oubliée au fil des
ans et elle le serait encore si je n'étais venu la déterrer pour
les besoins de l'édification des foules trop crédules. Si vous
cherchez fortune, ne désespérez pas, allez visiter Ousson et tentez
votre chance.
Aurifèrement
vôtre.
Tableaux de Jacques Ousson
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