vendredi 8 septembre 2017

Le trésor du Bois du Greffier.



Le mystère se mord la queue



Il est un village tranquille en bord de Loire qui sommeille à l'ombre de la rivière, de ses belles maisons anciennes et d'un trésor qui ne semble pas avoir attiré beaucoup de curiosité. Ousson sur Loire n'a pas la chance de défrayer la chronique ; son trésor reste enfoui dans les mémoires à l'ombre d'un bois du greffier qui échappe désormais à la toponymie locale et nul ne songe maintenant à tenter sa bonne fortune.

Pourtant, il était une fois un homme d'importance, greffier de son état, qui aurait accumulé énorme fortune si l'on en croit les archives de l'époque. Comment avait-il fait pour remplir un coffre d'or et de pierres précieuses ? Nul ne le saura jamais. Il a emporté son secret dans sa tombe tout comme il aurait confié à la terre le soin de garder ses richesses, à l'instar du brave Maximilien de Béthune du côté du Sully sur Loire …

C'est au pied d'un chêne qu'il aurait enterré ce fameux coffre. Il ne voulait sans doute pas que les hommes de son entourage bénéficient de son bien. Il l'avait accumulé pour le seul plaisir de la jouissance à se savoir riche. Il continua à vivre chichement, n'attirant de ce fait nulle convoitise ni jalousie. C'est ainsi que personne à Ousson ne soupçonna que le brave greffier était en possession d'une immense fortune. C'est sans doute la condition d'une vie paisible ; nous ne pouvons lui en faire grief.



La chose serait restée ainsi secrète et forcément inconnue si quelques langues de vipère n'avaient évoqué quelques bruits glanés de-ci, de-là, lors des veillées. Certains affirmaient avoir vu un coffre toujours fermé, jalousement gardé par le vieil homme jusqu'à sa mort. D'autres évoquaient de mystérieux larcins, exercés dans la région, quand le greffier avait été plus jeune.

L'homme n'avait jamais eu bonne réputation. Il restait cloîtré dans sa demeure, ne participait pas aux fêtes du village, n'allait à la messe que le jour des Rameaux, en dépit des nombreuses remontrances de monsieur le curé et jamais, il ne s'était confessé, preuve, s'il en est, qu'il avait quelque chose à cacher.

Tout cela fut suffisant pour déclencher une légende, un récit fantasmagorique. L'existence du trésor était acquise, la nature de son origine établie, sa disparition certaine. Le greffier avait quitté cette vallée de larmes en laissant à qui se montrerait le plus malin, la possibilité d'empocher la mise. Le petit village était mûr pour la fièvre du trésor ; ce mal qui rend fous les gens, y compris les plus sages et les moins cupides.



Le village devint un gruyère, une ruche laborieuse ou chacun s'évertuait à creuser son trou à l'abri des regards de ses voisins. La suspicion était la règle, la dissimulation le principe de base. Le brave curé de cette paroisse abandonnée au diable, dut prendre le problème à-bras-le corps. Il lui fallait arrêter les ardeurs de ses ouailles, les ramener à la raison et sans doute faire usage de dissuasion par la superstition : la seule recette véritablement efficace dans ce domaine.

L'homme de Dieu se souvint de la curieuse particularité de son paroissien. Il profita de celle-ci pour frapper les esprits avec la complicité d'un comparse, son bedeau, un certain la Malice, le bien nommé. Il mit en place un nouveau rituel le jour des Rameaux. Le prêtre fit une grande procession depuis une petite chapelle située en bord de Loire devant laquelle les rameaux furent bénis.

Puis le peuple des fidèles et son berger s'en allèrent par les rues du village. Le curé prit grand soin de passer devant la maison du défunt greffier avant que de traverser le bois qui était l'objet de toutes les recherches aurifères. C'est enfin vers son église que le serviteur du maître des cieux acheva son circuit. La foule le suivait, interrogative et inquiète. Quel était donc le sens de ce curieux cortège ?


Quand la troupe en prière et en dévotion arriva devant la maison de Dieu, les portes étaient fermées. Nouvelle surprise pour les gens du village. Les cloches sonnaient à la volée et le grand porche était rabattu. Plus étrange encore, le curé prit un bâton pour frapper enfin qu'on veuille bien lui ouvrir. Il ne se passa rien. L'inquiétude gagnait les rangs des gens d'ici.

Le curé frappa une seconde fois. Le silence se fit. Rien ne se passa, une fois encore. Le prête s'agenouilla, passa un long moment en dévotion avant que de se relever en un geste si las, si solennel, si emprunt de mystère, qu'il fixa tous les regards de la foule. Alors, il frappa une troisième fois …

Non loin de là, un cri effroyable se fit entendre. La stupeur fut générale. Les villageois se signaient, certains s'agenouillèrent, d'autres se prosternèrent. Le Diable s'était mêlé à la fête : il n'y avait aucun doute à ce sujet. C'est alors que le bedeau, notre bon La Malice, arriva en courant, l'air défait, effrayé, hagard et, sans sembler voir la foule se précipita sur le porche de l'église.


Sous son poids, les portes qui, jusque-là, étaient restées closes s'ouvrirent lentement. La foule s'exclama, le curé prit la Malice dans ses bras et lui demanda ce qu'il avait vu. Le bedeau de réciter la fable préparée la veille par le vicaire et de déclarer ceci : lorsque le curé avait frappé la porte de l'église pour obtenir son ouverture, il se trouvait dans le bois du greffier, ayant dû faire demi tour car il avait oublié une burette à la chapelle. L'homme était réputé étourdi !

C'est alors qu'au pied d'un chêne, un coffre sortit de terre ; son couvercle se souleva et libéra plusieurs serpents : des vipères énormes comme jamais il n'en avait vu dans la région. C'est à ce moment qu'il hurla et se précipita vers l'église. Le curé invita la foule à le suivre et se rendit dans ce fameux bois.

Il y avait effectivement un coffre, désespérément vide, au pied d'un arbre, dans lequel on pouvait voir une vipère qui y avait été perchée. Nouveaux signes de croix, nouveaux murmures parmi ces gens si crédules. La troupe reprit le chemin de l'église et jamais messe ne fut aussi fervente que celle-ci.

Depuis ce jour, nul à Ousson ne songea plus à creuser le sol à la recherche du trésor du greffier. L'histoire fut oubliée au fil des ans et elle le serait encore si je n'étais venu la déterrer pour les besoins de l'édification des foules trop crédules. Si vous cherchez fortune, ne désespérez pas, allez visiter Ousson et tentez votre chance.

Aurifèrement vôtre.


Tableaux de Jacques Ousson
 

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