La
loi des contraires …
En un lieu que je
m'interdis de nommer ici, un homme docte et influent, fit grand
écritoire devant la Loire. Fort de son importance, l'insolent dit au
touriste comme à l'autochtone, en lettres d'affiche, visibles de
fort loin : « Attention, la Loire est Capricieuse ! ».
Sachez monsieur l'important que l'édification du peuple ne justifie
pas l'offense à notre fleuve sauvage !
L'homme eût pu dire en
somme bien des choses différentes pour exprimer la complexité d'une
grande dame qui est notre fille Liger. Mais il a choisi à dessein un
adjectif que l'on accole aux enfants en bas âge quand ils ne savent
pas ce qu'ils veulent. À moins qu'il ne se plaise à jouer les
machistes en employant ce qualificatif, exclusivement servie aux
femmes quand l'homme n'admet pas qu'elles n'acceptent pas ce qu'il
veut.
Mais ne lui faisons pas
procès d'intention, le pauvre personnage n'a sans doute pas songé à
mal: il a suivi la voie la plus rapide pour exprimer toute la
complexité de notre dame. Comme il n'entendait pas grand chose à
ses incroyables variations, qu'il ne percevait aucune logique dans
ses changements d'états, il se satisfit bien vite de ce terme
univoque.
Il c'est là, à n'en point
douter sa plus grande faute. Si dame Loire se joue de nous, certes,
elle le fait en maniant l'art complexe des contraires. Votre
« capricieuse » n'a, il me semble, pas d'antonyme
incontestable. C'est là sa faiblesse la plus grande.
L'objet de notre dévotion
se complaît dans les comportements duels. Tour à tour « Sauvage »
et «Docile», elle passe subitement de la luxuriance anarchique des
campagnes à la sagesse tristounette de nos villes. Mais ne vous y
trompez pas, même quand vous pensez la dompter, elle peut encore se
jouer de vous. Elle passera alors de « Charmante » à
« Brutale » le temps de faire les grosses eaux, de rouler
sa colère et de tout emporter devant elle.
Vous pensez l'apprivoiser,
vous allez goûter à sa bienfaisance fraîcheur estivale. Gare à
vous, quand vous la croyez « Accueillante », elle peut se
faire « Traitresse ». Il faut apprendre à lire ses
chausse-trappes, ses feintes et ses vilains tours qui ont perdu tant
de pauvres gens. Alors, pour vous couvrir, vous la décrétez
« Dangereuse » alors qu'elle n'est que «
Piègeuse » et qu'il est possible de la déchiffrer en la
regardant attentivement.
L'été, il vous arrive de
la trouver « Doucereuse». À son étiage, elle se traîne en
un mince filet d'eau. Mais que des orages viennent subitement
assaillir les Cévennes et soudain elle se fait « Tumultueuse »,
emportant tout sur son passage. Vous vous offusquez, vous la montrez
du doigt, vous voulez endiguer le cours de cette « Brutale ».
Le temps de réagir et la dame est retournée dans son lit pour jouer
la « Charmante ».
L'hiver, elle se plaît à
rouler des muscles, elle charrie, elle fait la forte. Ses eaux
sombres grondent. Vous la pensez « Impétueuse » et
« Tumultueuse », quand le lendemain elle vous fait les
yeux doux, redevenue la drôlesse « Calme » et
« Silencieuse ».
Il n'est pas que femme qui
varie, la Loire se plaît à changer de visage tous les jours et en
tous lieux sans avoir besoin de se grimer. Ici, vous la pensez
« tranquille » quand, à la tournée de ce bras, elle
vous apparaîtra « imprévisible ». Dans ce goulet elle
se fait « Impétueuse » alors que juste derrière, le
long de cette langue de sable elle se sait « Langoureuse ».
Ne sachant plus que dire,
ne voulant plus la qualifier, vous n'aurez alors d'autre choix que de
la chérir. Elle vous émerveillera, vous étonnera, vous emportera
en une folle aventure. N'espérez rien en retour, elle ne se donne
pas, elle se prête simplement à votre admiration.
Amoureusement sien.
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