dimanche 3 septembre 2017

Des mots pour la Loire.



La loi des contraires …


En un lieu que je m'interdis de nommer ici, un homme docte et influent, fit grand écritoire devant la Loire. Fort de son importance, l'insolent dit au touriste comme à l'autochtone, en lettres d'affiche, visibles de fort loin : « Attention, la Loire est Capricieuse ! ». Sachez monsieur l'important que l'édification du peuple ne justifie pas l'offense à notre fleuve sauvage !

L'homme eût pu dire en somme bien des choses différentes pour exprimer la complexité d'une grande dame qui est notre fille Liger. Mais il a choisi à dessein un adjectif que l'on accole aux enfants en bas âge quand ils ne savent pas ce qu'ils veulent. À moins qu'il ne se plaise à jouer les machistes en employant ce qualificatif, exclusivement servie aux femmes quand l'homme n'admet pas qu'elles n'acceptent pas ce qu'il veut.

Mais ne lui faisons pas procès d'intention, le pauvre personnage n'a sans doute pas songé à mal: il a suivi la voie la plus rapide pour exprimer toute la complexité de notre dame. Comme il n'entendait pas grand chose à ses incroyables variations, qu'il ne percevait aucune logique dans ses changements d'états, il se satisfit bien vite de ce terme univoque.

Il c'est là, à n'en point douter sa plus grande faute. Si dame Loire se joue de nous, certes, elle le fait en maniant l'art complexe des contraires. Votre « capricieuse » n'a, il me semble, pas d'antonyme incontestable. C'est là sa faiblesse la plus grande.

L'objet de notre dévotion se complaît dans les comportements duels. Tour à tour « Sauvage » et «Docile», elle passe subitement de la luxuriance anarchique des campagnes à la sagesse tristounette de nos villes. Mais ne vous y trompez pas, même quand vous pensez la dompter, elle peut encore se jouer de vous. Elle passera alors de « Charmante » à « Brutale » le temps de faire les grosses eaux, de rouler sa colère et de tout emporter devant elle.

Vous pensez l'apprivoiser, vous allez goûter à sa bienfaisance fraîcheur estivale. Gare à vous, quand vous la croyez « Accueillante », elle peut se faire « Traitresse ». Il faut apprendre à lire ses chausse-trappes, ses feintes et ses vilains tours qui ont perdu tant de pauvres gens. Alors, pour vous couvrir, vous la décrétez « Dangereuse » alors qu'elle n'est que «  Piègeuse » et qu'il est possible de la déchiffrer en la regardant attentivement.

L'été, il vous arrive de la trouver « Doucereuse». À son étiage, elle se traîne en un mince filet d'eau. Mais que des orages viennent subitement assaillir les Cévennes et soudain elle se fait « Tumultueuse », emportant tout sur son passage. Vous vous offusquez, vous la montrez du doigt, vous voulez endiguer le cours de cette « Brutale ». Le temps de réagir et la dame est retournée dans son lit pour jouer la « Charmante ».

L'hiver, elle se plaît à rouler des muscles, elle charrie, elle fait la forte. Ses eaux sombres grondent. Vous la pensez « Impétueuse » et « Tumultueuse », quand le lendemain elle vous fait les yeux doux, redevenue la drôlesse « Calme » et « Silencieuse ».

Il n'est pas que femme qui varie, la Loire se plaît à changer de visage tous les jours et en tous lieux sans avoir besoin de se grimer. Ici, vous la pensez « tranquille » quand, à la tournée de ce bras, elle vous apparaîtra «  imprévisible ». Dans ce goulet elle se fait « Impétueuse » alors que juste derrière, le long de cette langue de sable elle se sait « Langoureuse ».


Ne sachant plus que dire, ne voulant plus la qualifier, vous n'aurez alors d'autre choix que de la chérir. Elle vous émerveillera, vous étonnera, vous emportera en une folle aventure. N'espérez rien en retour, elle ne se donne pas, elle se prête simplement à votre admiration.

Amoureusement sien.




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