jeudi 21 septembre 2017

Le saule et l’enfant.



Bon sang ne saurait mentir …



Il était une fois au bord de l’Indre un magnifique saule qui faisait l’admiration de tous. L’arbre vénérable en imposait, tant par sa hauteur que par sa majesté. Ses branches venaient caresser la rivière qui coulait à ses pieds. Il était, pour tous les gens du pays, symbole de bonheur. Les amoureux venaient s’embrasser à son pied, trouvant ainsi refuge et douce protection. Les plus vieux pensaient qu’en caressant son tronc, ils récupéreraient un peu de son énergie pour conserver encore vitalité et santé.

Le saule était connu de tous. C’est sans doute ce qui expliqua son histoire, justifia les péripéties que je vais vous narrer. Il convient de croire aux forces de la nature et aux êtres surnaturels pour venir prolonger votre lecture. Que les esprits cartésiens, les parlementaires véreux et les économistes cupides passent leur chemin ! Ici, seuls les rêveurs et les honnêtes gens prendront plaisir, je l’espère, à la lecture de cette histoire.

Une vieille femme, plus courbée que les autres, plus âgée que tous passait, chaque jour que Dieu fit, pour venir poser sa main calleuse sur le tronc de l’arbre. Elle lui tenait conversation, lui racontait sa vie d’ancêtre, un peu guérisseuse, un peu sorcière. Elle puisait dans la force du saule l’énergie qu’elle transmettait aux autres en arrêtant le feu, en usant de son magnétisme pour brûler les verrues et soulager les maux.

Quand elle était en discussion avec le saule, les gens du pays se retiraient, par pudeur ou par crainte. Ils pensaient qu’il y avait là magie ou bien diablerie. Ils ne voulaient surtout pas interrompre le charme dont tous, un jour ou l’autre, avaient bénéficié. Les plus curieux observaient à distance la scène, se signaient parfois en voyant- ils l’ont tous certifié- les branches de l’arbre trembler durant ce dialogue mystérieux.

Quand l’histoire changea soudain de nature, la vieille femme venait d’héberger une jeune fille, une orpheline sans ressource ni famille. La demoiselle était aussi démunie qu’elle était douce et tendre. Elle eut bien quelques soupirants mais puisqu’elle vivait chez la sorcière, ceux-ci s’étaient vite retirés. Les hommes manquent parfois de courage.

La vieille confia à l’arbre combien elle s’inquiétait de ne pas trouver de soupirant à sa belle Ondine. Le Saule tremblait de toutes ses branches à chaque fois que sa confidente évoquait la jeune fille. On devinait qu’il désirait ardemment connaître cette beauté. La vieille sentait, elle aussi, des vibrations étranges : elle devinait que le génie de l’arbre avait grand désir de mêler sa destinée à celle de l’orpheline.

Ce fut par une nuit de Sabbat que l’ancêtre se décida à user de ses pouvoirs, à rendre peu ou prou tout ce magnétisme que l’arbre lui avait donné. Elle vint caresser son tronc en psalmodiant de curieuses mélopées, en proférant de diaboliques prières. Le saule vibrait, le saule chantait, le saule entra en transe. C’est alors qu’un beau, qu’un merveilleux jeune homme sortit d’un trou qui s’était creusé au fil du temps dans le tronc.

Le jeune homme- était-ce le génie du saule ?-la vieille l’appela Saul et le convia à la suivre. Elle présenta Saul à Ondine ; est-il nécessaire d’user de mots pour traduire ce qui se passa immédiatement entre ces deux êtres ? Le visage de la jeune fille irradiait de bonheur, celui du garçon n’était que béatitude et sourire. Ils s’aimèrent dans l’instant où ils se virent et unirent leurs corps cette nuit même.

Bientôt le bruit circula dans la région que la vieille hébergeait désormais un jeune couple qui attendait un enfant. L’enfant en question naquit et fut le plus aimé, le plus choyé de tous. Il grandit, entouré de l’affection de ses parents, de la protection de celle qui était pour lui sa vieille, très vieille grand-mère et d’un arbre, un curieux arbre à qui il rendait visite chaque jour.

La vie eût pu ainsi se poursuivre, heureuse et tranquille si le premier seigneur du pays, en 1004, un chef Viking, connu sous le redoutable sobriquet de « Diable de Saumur » n'était venu dans la contrée pour construire une forteresse en bois, là où les Celtes, jadis, avaient élevé un tumulus sur la colline devant la rivière. Guelduin Ier de Saumur, seigneur d’Ussé et de Pontlevoy, portait fièrement les couleurs du comte de Blois et s’installa à deux pas de l’arbre vénérable.

Guelduin, non seulement, se construisit une belle et grande forteresse en bois,mais son sang de Viking exigeait qu'on lui fabrique, sur le champ, un drakkar. Son choix se porta, en dépit de ses rites et de sa puissance, sur le fameux saule que tous respectaient bien plus que lui. L'idée peut paraître saugrenue: le saule n'est pas réputé pour servir de charpente marine, mais ce que seigneur veut, il peut l'obtenir en élevant la voix.

Des bûcherons arrivèrent donc devant l'arbre vénérable. La rumeur se répandit dans la contrée que le terrible seigneur voulait abattre le protecteur des humbles gens. La vieille fut la première à venir mettre son corps en travers des haches ; elle fut brutalement repoussée et ce, en dépit des malédictions qu'elle envoya sur la tête des ces pauvres ouvriers qui ne faisaient qu'obéir aux ordres de Guelduin. Elle comprit qu'il fallait appeler Saul, qu'il était le seul à pouvoir entraver le noir dessein du diable de Saumur.

Saul se précipita, il redevint le génie de l'arbre, abandonnant son allure d'humain pour se glisser à nouveau dans son arbre au travers de sa putrissure. Il lutta de toutes ses forces contre les bûcherons. Les premiers coups de cognées provoquaient des blessures que l'arbre, immédiatement, refermait par la magie de son génie. Mais le nombre des assaillants était trop grand, l'arbre finit par céder sous les haches, les scies et les outils de ces pauvres gueux qui comprenaient tout le mal qu'ils faisaient là.

Le magnifique arbre s'effondra tandis que les vilains d'alentour se lamentaient en de longues plaintes. Au loin, dans la cabane de la vieille, Ondine était en larmes et usait de toutes ses forces pour retenir l'enfant qui voulait se précipiter à la défense de son père. Il finit par échapper à la vigilance de sa mère et arriva quand l'arbre, abattu, gisait sur le sol.

L'enfant de l'orpheline et du bon génie vit alors quelque chose de surprenant. L'arbre vaincu, l'arbre couché sur le flanc résistait encore. Les hommes avaient beau bander toutes les forces, il était impossible à soulever. On alla quérir des chevaux de trait mais, une fois encore, il résistait, se faisait lourd et imbougeable.

Soudain l'enfant se précipita vers son géniteur. Sa mère le suivit dans sa démarche et tous deux enfourchèrent le tronc qui se fit alors léger, léger au point de s'envoler pour se retrouver sur l'Indre et filer vers la Loire toute proche. Leur voyage s'arrêta vite : ils furent pris en charge du côté de ce qui allait devenir Montsoreau quelques années plus tard en 1089, à l'embouchure de Loire et Vienne.

Là étaient des charpentiers fluviaux qui entreprirent de construire un bateau de ce tronc superbe qui était venu jusqu'à eux et qu'enfourchaient Ondine et son enfant. Pour quelle raison agirent-ils ainsi ? Nul ne le saura jamais ! Avaient-ils eu vent de leur histoire ou furent-ils frappés par cet énigmatique équipage ? C'est possible. Toujours est-il, qu'en quelques jours, ils leur offrirent un bateau avec lequel l'enfant et sa mère partirent bien vite sur la rivière après les avoir remerciés chaleureusement.

Il se murmure que les soirs de brume, les jours de brouillard, vogue sur la Loire un bateau en bois de saule. Quand personne n'est là pour voir l'équipage, le génie de l'arbre ressurgit de quelques nœuds, d'une membrure et serre la belle Ondine dans ses bras. C'est alors leur enfant qui prend la barre et sourit aux amours éternelles de ses parents. Des cygnes ou bien des oies sauvages survolent alors la mystérieuse embarcation tandis que toutes les vouivres de la rivière murmurent un merveilleux chant d'amour.

Éternellement leur.


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