Bon
sang ne saurait mentir …
Il était
une fois au bord de l’Indre un magnifique saule qui faisait
l’admiration de tous. L’arbre vénérable en imposait, tant par
sa hauteur que par sa majesté. Ses branches venaient caresser la
rivière qui coulait à ses pieds. Il était, pour tous les gens du
pays, symbole de bonheur. Les amoureux venaient s’embrasser à son
pied, trouvant ainsi refuge et douce protection. Les plus vieux
pensaient qu’en caressant son tronc, ils récupéreraient un peu de
son énergie pour conserver encore vitalité et santé.
Le saule
était connu de tous. C’est sans doute ce qui expliqua son
histoire, justifia les péripéties que je vais vous narrer. Il
convient de croire aux forces de la nature et aux êtres surnaturels
pour venir prolonger votre lecture. Que les esprits cartésiens, les
parlementaires véreux et les économistes cupides passent leur
chemin ! Ici, seuls les rêveurs et les honnêtes gens prendront
plaisir, je l’espère, à la lecture de cette histoire.
Une
vieille femme, plus courbée que les autres, plus âgée que tous
passait, chaque jour que Dieu fit, pour venir poser sa main calleuse
sur le tronc de l’arbre. Elle lui tenait conversation, lui
racontait sa vie d’ancêtre, un peu guérisseuse, un peu sorcière.
Elle puisait dans la force du saule l’énergie qu’elle
transmettait aux autres en arrêtant le feu, en usant de son
magnétisme pour brûler les verrues et soulager les maux.
Quand
elle était en discussion avec le saule, les gens du pays se
retiraient, par pudeur ou par crainte. Ils pensaient qu’il y avait
là magie ou bien diablerie. Ils ne voulaient surtout pas interrompre
le charme dont tous, un jour ou l’autre, avaient bénéficié. Les
plus curieux observaient à distance la scène, se signaient parfois
en voyant- ils l’ont tous certifié- les branches de l’arbre
trembler durant ce dialogue mystérieux.
Quand
l’histoire changea soudain de nature, la vieille femme venait
d’héberger une jeune fille, une orpheline sans ressource ni
famille. La demoiselle était aussi démunie qu’elle était douce
et tendre. Elle eut bien quelques soupirants mais puisqu’elle
vivait chez la sorcière, ceux-ci s’étaient vite retirés. Les
hommes manquent parfois de courage.
La
vieille confia à l’arbre combien elle s’inquiétait de ne pas
trouver de soupirant à sa belle Ondine. Le Saule tremblait de toutes
ses branches à chaque fois que sa confidente évoquait la jeune
fille. On devinait qu’il désirait ardemment connaître cette
beauté. La vieille sentait, elle aussi, des vibrations étranges :
elle devinait que le génie de l’arbre avait grand désir de mêler
sa destinée à celle de l’orpheline.
Ce fut
par une nuit de Sabbat que l’ancêtre se décida à user de ses
pouvoirs, à rendre peu ou prou tout ce magnétisme que l’arbre
lui avait donné. Elle vint caresser son tronc en psalmodiant de
curieuses mélopées, en proférant de diaboliques prières. Le saule
vibrait, le saule chantait, le saule entra en transe. C’est alors
qu’un beau, qu’un merveilleux jeune homme sortit d’un trou qui
s’était creusé au fil du temps dans le tronc.
Le jeune
homme- était-ce le génie du saule ?-la vieille l’appela Saul
et le convia à la suivre. Elle présenta Saul à Ondine ;
est-il nécessaire d’user de mots pour traduire ce qui se passa
immédiatement entre ces deux êtres ? Le visage de la jeune
fille irradiait de bonheur, celui du garçon n’était que béatitude
et sourire. Ils s’aimèrent dans l’instant où ils se virent et
unirent leurs corps cette nuit même.
Bientôt
le bruit circula dans la région que la vieille hébergeait désormais
un jeune couple qui attendait un enfant. L’enfant en question
naquit et fut le plus aimé, le plus choyé de tous. Il grandit,
entouré de l’affection de ses parents, de la protection de celle
qui était pour lui sa vieille, très vieille grand-mère et d’un
arbre, un curieux arbre à qui il rendait visite chaque jour.
La vie
eût pu ainsi se poursuivre, heureuse et tranquille si le premier
seigneur du pays, en 1004, un chef Viking, connu sous le redoutable
sobriquet de « Diable de Saumur » n'était venu dans la
contrée pour construire une forteresse en bois, là où les Celtes,
jadis, avaient élevé un tumulus sur la colline devant la rivière.
Guelduin Ier de Saumur, seigneur d’Ussé et de Pontlevoy, portait
fièrement les couleurs du comte de Blois et s’installa à deux pas
de l’arbre vénérable.
Guelduin,
non seulement, se construisit une belle et grande forteresse en
bois,mais son sang de Viking exigeait qu'on lui fabrique, sur le
champ, un drakkar. Son choix se porta, en dépit de ses rites et de
sa puissance, sur le fameux saule que tous respectaient bien plus que
lui. L'idée peut paraître saugrenue: le saule n'est pas réputé
pour servir de charpente marine, mais ce que seigneur veut, il peut
l'obtenir en élevant la voix.
Des
bûcherons arrivèrent donc devant l'arbre vénérable. La rumeur se
répandit
dans
la contrée que le terrible seigneur voulait abattre le protecteur
des humbles gens. La vieille fut la première à venir mettre son
corps en travers des haches ; elle fut brutalement repoussée et
ce, en dépit des malédictions qu'elle envoya sur la tête des ces
pauvres ouvriers qui ne faisaient qu'obéir aux ordres de Guelduin.
Elle comprit qu'il fallait appeler Saul, qu'il était le seul à
pouvoir entraver le noir dessein du diable de Saumur.
Saul
se précipita, il redevint le génie de l'arbre, abandonnant son
allure d'humain pour se glisser à nouveau dans son arbre au travers
de sa putrissure. Il lutta de toutes ses forces contre les bûcherons.
Les premiers coups de cognées provoquaient des blessures que
l'arbre, immédiatement, refermait par la magie de son génie. Mais
le nombre des assaillants était trop grand, l'arbre finit par céder
sous les haches, les scies et les outils de ces pauvres gueux qui
comprenaient tout le mal qu'ils faisaient là.
Le
magnifique arbre s'effondra tandis que les vilains d'alentour se
lamentaient en de longues plaintes. Au loin, dans la cabane de la
vieille, Ondine était en larmes et usait de toutes ses forces pour
retenir l'enfant qui voulait se précipiter à la défense de son
père. Il finit par échapper à la vigilance de sa mère et arriva
quand l'arbre, abattu, gisait sur le sol.
L'enfant
de l'orpheline et du bon génie vit alors quelque chose de
surprenant. L'arbre vaincu, l'arbre couché sur le flanc résistait
encore. Les hommes avaient beau bander toutes les forces, il était
impossible à soulever. On alla quérir des chevaux de trait mais,
une fois encore, il résistait, se faisait lourd et imbougeable.
Soudain
l'enfant se précipita vers son géniteur. Sa mère le suivit dans sa
démarche et tous deux enfourchèrent le tronc qui se fit alors
léger, léger au point de s'envoler pour se retrouver sur l'Indre et
filer vers la Loire toute proche. Leur voyage s'arrêta vite :
ils furent pris en charge du côté de ce qui allait devenir
Montsoreau quelques années plus tard en 1089, à l'embouchure de
Loire et Vienne.
Là
étaient des charpentiers fluviaux qui entreprirent de construire un
bateau de ce tronc superbe qui était venu jusqu'à eux et
qu'enfourchaient Ondine et son enfant. Pour quelle raison agirent-ils
ainsi ? Nul ne le saura jamais ! Avaient-ils eu vent de leur histoire
ou furent-ils frappés par cet énigmatique équipage ? C'est
possible. Toujours est-il, qu'en quelques jours, ils leur offrirent
un bateau avec lequel l'enfant et sa mère partirent bien vite sur la
rivière après les avoir remerciés chaleureusement.
Il
se murmure que les soirs de brume, les jours de brouillard, vogue sur
la Loire un bateau en bois de saule. Quand personne n'est là pour
voir l'équipage, le génie de l'arbre ressurgit de quelques nœuds,
d'une membrure et serre la belle Ondine dans ses bras. C'est alors
leur enfant qui prend la barre et sourit aux amours éternelles de
ses parents. Des cygnes ou bien des oies sauvages survolent alors la
mystérieuse embarcation tandis que toutes les vouivres de la rivière
murmurent un merveilleux chant d'amour.
Éternellement
leur.
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