Spécial Festival de Loire
Une
curieuse aventure.
Il
était, il y a bien longtemps, au bord d’une rivière en région
forestière, un homme si grand que tout le monde le connaissait sous
le sobriquet de « Grand Échalas ». Je pense qu’il est
bon de faire ici aparté pour vous expliquer le sens de ce surnom
avant qu’il ne soit rentré dans le langage courant. Il est vrai
que l’aventure de ce curieux personnage fit rapidement le tour de
toutes les rivières qui coulent au pied des collines boisées.
En
ce temps-là, le vignoble occupait une grand part des terres de nos
vallées. La consommation de vin était ce qu’on qualifierait
aujourd’hui d’immodérée. Il n’était pas rare de voir des
travailleurs buvant quatre à six litres par jour et bien peu
pensaient à couper leur boisson d’eau. C’était bien avant
l’arrivée du maudit phylloxéra, les vignerons coulaient des jours
heureux et Monsieur Évin n’était pas encore né. Seules les taxes
des Aides venaient contrarier leur juteux commerce.
La
culture de la vigne exigeait un tuteur de bois, un haut piquet en
châtaignier, acacia ou pin et Sylvain faisait métier de couper,
tailler, mettre en fagots les échalas qui partaient ensuite à bord
de sapines, salambardes ou bien chalands suivant les rivières
empruntées. Sa taille inhabituelle à l’époque lui avait fallu ce
surnom qui depuis affublent les grandasses.
Sylvain
abattait autant d’arbres que de travail. Il était aussi fort qu’il
était grand, ne rechignait jamais à l’ouvrage. Il aimait venir au
port livrer sa production que des mariniers embarquaient pour les
régions vinicoles. À plusieurs reprises, des mariniers avaient
convié notre homme à faire une fois avec eux la descente, histoire
de voir du pays.
Sylvain,
un peu penaud devait décliner l’invite et se refusait même à
embarquer sur le bateau pour y boire un verre en compagnie des
lascars qui vont sur l’eau. Il avait une phobie qu’il n’osait
avouer. Pour lui, rien ne valait tant que le plancher des vaches car
il était dans l’impossibilité psychologique de se trouver en
contre-bas. Ainsi, descendre dans une cave lui était impossible tout
autant que monter à l’échelle ou bien un escalier.
Les
chalands, les sapines, les bateaux de transport de marchandises
avaient de hautes bordées afin de pouvoir les charger. Nos bateaux
traditionnels n’avaient pas de pont. Dès qu’on y montait, il
fallait descendre en-dessous du niveau de l’eau sur un plancher qui
recevait le fret. Ce mètre cinquante de dénivelé était pour le
garçon un obstacle paralysant qui le laissait à quai.
C’est
de ce handicap assez curieux, il faut l’avouer, que naquit une page
des plus belles de l’histoire fluviale. Sylvain étant compagnon
bûcheron reçut un jour une commande. Il devait abattre des
châtaigniers, nombreux dans sa région et les porter en bord de
rivière. L’habitude voulait qu’on y laisse filer au fil des
flots les troncs pour rejoindre le chantier de construction navale ou
bien l’artisan qui en avait fait commande.
Les
troncs étaient marqués d’un signe gravé afin de savoir à qui
ils étaient destinés ; cette opération se nomme le martelage et
était réalisée avec des marteaux à l’effigie du propriétaire
du tronc. Ils allaient à la bonne fortune de la rivière. Mais cette
fois, la commande était d’importance. Le château de
Sully-sur-Loire réclamait des châtaigniers pour bâtir une
charpente qui, plus de cinq cents plus tard, fait encore l’admiration
des visiteurs.
Sylvain
embaucha des bûcherons et des muletiers pour abattre et conduire les
troncs au pied de la colline. Il loua les service de charretiers pour
les porter jusqu’en bord de Loire, à Roanne. C’est là qu’il
fut confronté à un problème insoluble. Payer les services de
mariniers était déraisonnable, le prix du voyage allait grever tout
son bénéfice. Il lui fallait laisser le bois flotter au fil de
l’eau. Mais là encore, le nombre et la distance rendaient
inopérante la solution d’antan.
Le
désir de faire le voyage dont souvent il avait entendu parler, la
nécessité de faire des économies, le curieux handicap qui était
sien se conjuguèrent pour créer une réponse appropriée qui allait
faire flores dans tout le pays et même ailleurs. Il eut l’idée
saugrenue et folle pour ceux qui assistèrent à cette première, de
lier et garrotter les troncs entre eux de manière à les rendre
solidaires. Son chargement ainsi constitué en une sorte de bateau
plat fait de rondins démesurément longs, environ 70 mètres pour 5
de large. Il était parvenu à y mettre 200 stères de bois.
Chaque
tronc était assemblé aux voisins par des rameaux de bois verts qui
furent appelés plus tard les chantiers, puis lié solidement
par des branches souples nommées rouettes. Il avait pensé à
donner une souplesse à son train de bateau en constituant plusieurs
coupons de troncs afin de donner une certaine mobilité à son
embarcation, à la manière des trains de marchandises bien plus
tard.
Une
fois son bel ensemble constitué, il dut se mettre en tête de le
diriger. Lui qui n’avait jamais pu mettre les pieds sur un chaland
avait à relever un défi incroyable. Fort de toutes les observations
qu’il avait faites en regardant manœuvrer les mariniers, il se
munit de bourdes, d’un outil nommé fouine, une fourche à trois
dents et de gouets, petites pioches courtes. Le plus compliqué pour
lui fut de trouver trois compères pour se lancer dans l’aventure.
Le
voyage eut lieu sans encombre. Les troncs arrivèrent à
Sully-sur-Loire et furent confiés aux charpentiers après un long
séchage. La nouvelle de la prouesse de Sylvain, le grand échalas
circula comme une traînée de poudre, d’autres reprirent son idée
et c’est officiellement le 20 avril 1547, avec l'aide de Charles
Lecomte maître d'œuvre de la charpenterie de l'Hôtel de Ville de
Paris et de ses compagnons que le premier train de bois lié et
garrotté arriva à Paris.
Le
Grand échalas était depuis longtemps retourné dans ses collines.
Il n’avait pas le pied marin. Il préférait de très loin rester à
terre, fut-ce sur une pente raide comme il s’en fait dans la région
roannaise. Les trains de bois flottés lancèrent une nouvelle et
belle épopée fluviale. Sur la Seine surtout mais aussi sur bien
d’autres rivières, jusqu’en 1880, des hommes se lancèrent sur
les eaux en équilibre sur des troncs.
Aujourd’hui
encore, au Canada se perpétue cette périlleuse navigation. Gloire
soit ici rendue à tous les flotteurs de bois, draveurs et autres
radeleurs. Le métier est fort rude et nombreux sont ceux qui
achèvent leur périple dans l’eau. Lors du prochain festival de
Loire, un train de bois flotté sera une des vedettes de la flotte.
Je ne peux que vous inciter à venir à cette formidable
manifestation qui se tiendra du 20 au 24 septembre sur le quai du
Châtelet et dans le mitan de notre Loire.
Flottement
sien.
Photographies de Patrick Loiseau
du train de bois qui semonte
Festival de Loire 2017
Merci aux Morvandiaux
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