La
maison hantée
Il
est quelque part une île de Loire habitée par une poignée de
familles. Pour rien au monde, celles-ci ne céderaient leur place aux
gens d’en face, de l’autre côté d’un petit bras de rivière
et qu’ils nomment « Ceux du continent ! » La vie en ce
lieu tranquille est ponctuée des incidents qu’occasionnent parfois
une traversée aventureuse mais ceci est le prix à payer pour un
bonheur à nul autre pareil !
En
cet endroit paradisiaque se dressait jadis un manoir abandonné. La
vieille bâtisse avait subi les assauts du temps : elle était
si délabrée qu’elle constituait un danger pour les enfants qui
sont toujours à l’affût dune bêtise à commettre. Sachant qu’il
n’est rien de moins efficace que d’interdire, les adultes
imaginèrent une légende afin d’éloigner les garnements des murs
en équilibre précaire.
Quand
il s’agit d’effrayer un enfant, loups et fantômes sont souvent
convoqués par des adultes en mal d’imagination. Ceux-là
choisirent la sorcière : cette vieille recette qui a le mérite
d’être universelle, quelles que soient les régions. Pour
renforcer la crainte, ils n’hésitaient pas à se substituer à la
pauvre femme, jouant les spectres en hurlant la nuit, quand les
enfants passaient à proximité du manoir.
Pour
justifier la présence de la pauvre femme, ils avaient créé de
toute pièce une fable à dormir debout. Leur univers intime tournait
autour du passage du bras et c’est naturellement là que se trama
le drame qui installa la sorcière parmi les résidents de l'île.
Nous allons de ce pas entrer dans la légende, pardonnez-moi si elle
vous semble banale ; c’est ainsi pourtant qu’elle me fut
rapportée.
Il
y a bien longtemps, la fille des propriétaires d'un manoir
magnifique sur le continent, s’était éprise d’un garçon vivant
sur l’île. La belle et son amoureux n’avaient qu’une idée en
tête : consommer leur union au plus vite, célébrer
charnellement leur amour avant que de sceller ce pacte devant
monsieur le curé. C’était une époque où les mœurs n’étaient
pas aussi libres qu’aujourd’hui et où la communauté veillait au
grain afin d’éviter la faute.
Pourtant,
un jour, les deux tourtereaux parvinrent à échapper à la
surveillance de tous. Ils avaient profité d’une fête votive sur
le continent pour prendre la poudre d’escampette, emprunter une
barque et aller découvrir les joies de la fusion de deux corps qui
s’aiment et qui vibrent dans le manoir vide de l'île. Ce qui se
passa dans les murs de la belle demeure, nul n’en saura rien. Il se
murmure que de longues plaintes montèrent dans la vallée sans que
personne ne comprît de quoi il en retournait.
Ayant
à plusieurs reprises découvert les mystères des frissons et de la
pâmoison, le jeune couple, uni devant Cupidon en personne, voulut
regagner le monde de gens ordinaires. Hélas, durant les ébats
tumultueux des toutereaux, la Loire avait forci, le courant et le
vent s’opposaient, rendant délicate la traversée du retour . Le
jeune homme, tout étourdi encore par les assauts frénétiques qu’il
avait fait subir à sa belle, avait les jambes flageolantes et le
souffle court.
Il
commit une maladresse qui lui fut fatale. Une glissade le fit
basculer dans les flots et, sous le regard horrifié de la belle, le
tendre cavalier disparut dans la Loire en colère. La pauvrette avait
connu des noces bien trop courtes ; le temps du deuil était
désormais son unique perspective. Elle hurla de douleur et en perdit
la tête dans l’instant. Nul jamais ne la revit …
Depuis
ce jour sinistre, la maison fut hantée. Des cris déchirants
accompagnaient ceux qui voulaient s’en approcher. C’est du moins
ce que racontaient les adultes aux enfants de l’île, jusqu’au
jour où les gamins, qui depuis longtemps, n’étaient plus dupes de
la supercherie, prirent l’initiative de servir aux plus grands la
comédie qu’on leur offrait depuis si longtemps.
Les
chenapans sont dans la farce bien supérieurs à leurs géniteurs.
Ils usèrent de bien plus de stratagèmes que les pauvres cris que
leur dispensaient sans conviction des adultes en mal d’imagination.
Ils prirent flambeaux et vieux draps, oripeaux et cornes de brume.
Ils firent tant et si bien que ceux qui avaient maintes fois répété
la légende se mirent à trembler d’effroi et prirent pour argent
comptant ce que, jusqu’alors, ils répétaient sans conviction.
C’est
ainsi que les adultes furent convaincus de la véracité de leur
fable et que les enfants les laissèrent croire à cette sornette.
Depuis, les enfants de l’île disposèrent d’un formidable
terrain de jeu sans que jamais un adulte ne se risquât à venir les
déranger. Voilà ce qu'il advient quand on instrumentalise les peurs
et les angoisses. Que cela serve de leçon à tous ceux qui seraient
tentés d’user de la chose pour nous faire avaler des couleuvres !
…
Arrosement
leur.
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