Histoire
à ne pas mettre entre toutes les oreilles.
Il
était une fois, sur le plus grand fleuve du royaume, la vie bien
ordinaire des mariniers de Loire. En ce temps-là, la plus grande
part des marchandises qui allaient d'un point à l'autre du pays
faisait transit sur notre fleuve majestueux. Il y avait grande presse
pour mener à bien tout ce qui pouvait flotter. Les bateaux allaient
en tous sens sur une onde qui était en ce temps là tout comme
aujourd'hui, bien délicate à la navigation.
Il
en fallait des hommes pour assurer la manœuvre, tirer sur la corde,
monter ou descendre le mât, charger et décharger la marchandise,
assurer le quotidien de ce trafique incessant. Les pauvres bougres
avaient alors des conditions fort dures, des journées longues et
épuisantes. La pitance était maigre, la solde pas plus épaisse et
les conditions de vie à vous faire préférer les travaux de la
terre.
Étaient
compagnons mariniers pour le compte d'un autre ceux qui n'avaient pas
lopin à cultiver ou bien bateau personnel pour réaliser un petit
négoce plus tranquille. Nos forçats du fleuve faisaient le grand
voyage de Roanne à Nantes dans les deux sens, d'autres venaient de
plus bas encore pour un chemin à sens unique de Saint Rambert
jusqu'à l'estuaire avant de s'en retourner à pied, leur sapine
vendue comme bois de chauffe ou bien de charpente.
La
vie sur le trajet n'était pas toujours facile. Le labeur était
rude, les compères avaient la querelle facile et le coup de poing
valait mieux que de trop grands palabres. Mis à part la chopine, la
distraction était rare et bien qu'ils aient la goule bien grande,
qu'ils prétendent tous que les filles leur jetaient, dans toutes les
villes traversées, de jolies œillades à vous renverser les sens,
les mariniers étaient bien seuls sur leurs rafiots de bois.
Quoiqu'ils
puissent en dire, les filles du pays ne regardaient pas de travers
ces lascars avinés qui n'en voulaient qu'à leur fleur pour s'en
sauver ensuite bien loin de monsieur le curé. Le marinier pouvait
avoir, avec beaucoup de chance, une fiancée qui l'attendait au pays.
La demoiselle devait être patiente, elle ne voyait son promis au
mieux que tous les deux mois. Toujours le pied en l'air, il ne
tardait pas à repartir la laissant se désoler et maudire cette
satanée marine.
Il
y avait donc dans le lot bien plus de vieux garçons que de jolis
cœurs. La rude tâche ingrate, la solitude et le poids des fatigues
les rendant souvent acariâtres, ils rebutaient même les moins
délicates. Si vous passez encore de nos jours le long du fleuve,
vous vous apercevrez que ceux d'aujourd'hui ne différent en rien de
ceux d'autrefois. La Loire est maîtresse exigeante, elle se prête
mais ne se donne jamais à tous ses galants délaissés.
Ainsi,
nos trimardiers avaient tous vague à l'âme et regrets éternels.
Ils cherchaient dans les tavernes des consolations qui n'attirent
jamais le moindre jupon. Ils avaient la vergue en berne et le cœur
aussi gros que trop vide. De tous temps quand pareille chose arrive,
qu'une troupe de vieux grivois arpente le pays, un petit négoce peu
avouable pointe le bout d'une frimousse trompeuse et gouailleuse.
Au
fin haut d'Orléans, à la pointe Saint Loup, il y avait là, petite
maison accorte qui brillait tous les jours et une partie de la nuit,
d'une petite lanterne en guise de fanal. Chacun savait ce que
signifiait le message et tous les gars du chemin l'avaient marqué de
quelques rêves fripons ! Celle qui n'a jamais vu le loup ignore tout
du commerce charnel que de pauvres filles perdues devaient exercer
avec ces vilains dépenaillés.
Elles
avaient bien du mérite à tenir la manœuvre. Il y avait souvent
grand tangage et gros coups de beuglerie. Les clients, jamais
reconnaissants, les appelaient du nom peu amène de grues ou bien
encore, dans la langue du pays de gaupes ou gouèpes. Elles aussi
devaient avaler bien des contrariétés et essuyer parfois des
vilains coups de tempête. Si elles ne voyageaient pas, bien lourde
était leur charge pour une carrière qui ne durait jamais très
longtemps.
Elles
aussi étaient le fruit blette de la misère et des temps durs pour
les miséreux. Filles sans biens, un incident, une erreur, une
famille qui leur tourne le dos, la bienpensance qui se plait à juger
comme c'est si facile quand on est à l'abri et voilà ces femmes
sans joie qui rejoignent le grand bataillon des damnées de la terre.
Mais tout cela n'arriverait pas si marinier ou bien soldats, traîneux
et trimards ne réclamer pas chair fraîche en pâture pour
satisfaire désirs bien pires que ceux des gouris !
Hélas,
il en sera partout ainsi, les poques doivent perssurer les
aiguillettes délaissées avec leurs divartissouères. Pire encore,
le marinier n'avait pas d'argent, il était assez radin pour tirer
sur les prix. Comme il faut bien vivre, en ce lieu pitoyable, le
passage du marinier à cale était bradé pour la modique somme de
quatre sous. La venelle en a gardé ce nom, sans qu'il ne fut jamais
mentionné ici, l'origine de ce patronyme peu glorieux. Pire même,
le Roy, jamais satisfait, prenait sur ces amours tarifés, une taxe à
la taille qui se laissait glisser.
Voilà
vous savez tout d'un épisode peu glorieux de notre marine de Loire.
Les hommes sont ainsi faits, il ne faut jamais croire en leurs
vantardises. Ils se prennent pour des fiers à bras quand ils ne sont
que de pauvres bonshommes perdus et ben paillards. C'est hélas de
malheureuses filles qui trinquent et paient fort cher le sacrifice
qu'elles leur font. De cette lamentable histoire, retenez qu'il ne
fait jamais croire les belles paroles enjôleuses des mariniers de
Loire, ils vous mènent en bateau puis vous abandonnent sur un cul de
grève comme une vieille épave.
Arguenassement
leur.
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