Il
joue à poisson vole !
Il
était une fois une petite masure à l'abri d'un village en bord de
Loire. L'homme qui vivait là avait bourlingué sur toutes les mers
du monde, il était revenu vivre le reste de son âge sur les bords
de la rivière qui l'avait vu naître. Enfant, il était réputé à
des lieues la ronde pour son savoir-faire en matière de pêche, il
avait un sens inné du poisson, en prenait toujours quand ses amis
s'en retournaient bredouilles.
Nul
alors ne s'étonna à son retour au pays de sentir toujours un fumet
de poisson en passant devant sa demeure. Il vivait seul, savait à
n'en point douter accommoder à sa façon toutes nos espèces de
Loire. Il y ajoutait toutes les ressources que lui proposait la
nature ; champignons ou bien herbes sauvages, baies ou bien fruits
des bois. Les rares personnes qui eurent l'honneur de sa table en
conservaient un souvenir ému …
Puis
on s'interrogea. Jamais il ne venait au village ou bien dans une
ferme voisine pour acheter de la viande. Sa seule nourriture était
halieutique. Que ce soit durant le carême ou bien la période
d'ouverture de la pêche, personne n'y trouvait à redire, mais
comment faisait-il pour poursuivre ce régime alors que nul poisson
ne devait être pris ? Des rumeurs folles circulèrent alors sur le
bonhomme !
Qui
ne vit pas comme les autres, bénéficie bien vite d'une réputation
douteuse. Il n'échappa pas à la règle qui ne date pas
d'aujourd'hui. Il fut accusé de braconnage ou pire encore, de poser
des pièges sournois : des nasses ou bien des filets alors qu'il
n'en avait pas payé le droit. Si dans ce pays, il est bon de frauder
le trésor public, rien n'est plus insupportable que celui qui y
parvient bien mieux que vous ! Notre homme avait en la matière un
art consommé de la dissimulation.
Des
voisins jaloux, des délateurs en puissance, des amateurs de l'ordre
ou tout simplement des pêcheurs professionnels, tout ce joli monde
ne tarda pas à épier les allées et venues de celui par qui le
soupçon était arrivé sur les bords de Loire. Pourtant, malgré les
guets interminables, les surveillances attentives et les filatures
indiscrètes, personne ne le prit jamais la main dans le filet.
L'exaspération
était en son comble en période de fermeture. Qu'il triche avec la
loi passe encore mais qu'il embaume ainsi l'air de parfums interdits,
c'en était trop pour tous ces ligériens qui était des gourmets
pour tout ce qui venait de leur rivière. Plus d'un se fit prendre
alors par le garde pêche à vouloir à son tour faire comme le
mystérieux pêcheur. Leur rancune n'en fut que plus exacerbée ….
La
vie au pays devint très pénible, un climat étouffant s'installa.
Il fallait pour tous ces braves gens connaître le tour de
sorcellerie qui se jouait à deux pas de chez eux. Les plus hardis se
décidèrent enfin à se rendre en délégation auprès du bonhomme à
qui, depuis longtemps déjà, plus personne n'adressait la parole.
Savoir était désormais leur unique préoccupation et tous s'étaient
jurés de rien dire de son secret, de ne pas le dénoncer, s'ils
découvraient enfin les origines de cette diablerie !
Quand
il les vit arriver ainsi sur la pointe des pieds, le nez bas et les
mains tordues, le bonhomme en fut payé de sa longue période de
quarantaine. Il se doutait bien des motifs de cette visite hypocrite.
Il se réjouissait d'avance de la victoire qui serait la sienne sur
tous ces nigauds qui n'avaient quitté le pays, qui ne savaient rien
à rien dès qu'il s'agissait de connaître ce qui se fait ailleurs.
Il
sut les recevoir et pour ajouter à sa victoire et sa future gloire,
leur offrit une friture de Loire à vous damner alors que la pêche
était fermée depuis plus d'une lune. C'est alors qu'ils étaient
attablés qu'un curieux oiseau, un grand corbeau marin comme on le
nommait alors, vint se poser sur le rebord de la fenêtre. Un des ces
oiseaux qu'on apercevait parfois dans la contrée.
L'animal
avait dans son bec un poisson blanc, un gardon de belle taille qu'il
déposa délicatement dans un panier d'osier sur le rebord de la
fenêtre avant de taper du bec sur la vitre et de s'en aller sans
autre forme de procès. Les gourmands en restèrent bouche bée.
Ainsi, leur hôte ne contournait pas la loi, il se faisait livrer
d'une bien curieuse manière.
L'appétit
revint, la friture était si bonne. Ils terminèrent leurs assiettes
et durant ce festin ligérien, le corbeau marin avait accompli, par
trois fois encore, son étrange manège. Le ventre plein et les
papilles satisfaites, le plus hardi de la délégation villageoise
s'enquit alors de cet étrange mystère qui venait de se dérouler
sous leurs yeux.
L'homme
alors raconta ses voyages à travers le monde, le bonheur qu'il eut
de découvrir en Chine la science des dresseurs d'oiseaux. Il
décrivit les prouesses dont ils étaient capables et l'honneur qu'on
lui fit d'être initié au dressage du cormoran. Car tel est le nom
de cet oiseau tout noir, si malhabile sur terre et si adroit dès
qu'il s'agit de pêcher. Il en avait dressé à son tour et en
revenant au pays, il était venu avec un couple de ces étranges
volatiles.
Voilà
le secret du bonhomme. Personne ne le trahit et depuis, beaucoup de
pêcheurs déplorent que les anciens aient tenu parole. Les cormorans
désormais pullulent sur la Loire et pêchent pour leur seule
voracité. Le bonhomme a depuis bien longtemps quitté cette terre
mais la terrible troupe des enfants de ces zélés pêcheurs ailés
ne cesse de vider la rivière à grands coups de bec.
Piscicolement
leur
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