mercredi 28 juin 2017

Raymond la cloche



Société de la communication ! 

 

Jamais nous n'avons disposé d'autant de moyens de communication et pourtant, bien des choses nous échappent, passent à côté de nous sans arriver à nos tympans. L'abondance semble un excellent moyen de noyer le poisson du libre arbitre. Seul le matraquage à des fins mercantiles parvient à franchir le pavillon de nos oreilles et de notre confort domestique.

Les messages qui circulent en si grand nombre et qui vont si vite, sont des ersatz de pensée. Moins ils ont d'importance, plus ils se fraient aisément leur chemin , abandonnant nos doutes et nos inquiétudes existentiels. La vacuité a investi le sans-fil, les ondes transportent du vent, ce qui, avouons-le est assez normal.

Je me souviens pourtant d'une époque où le bouche à oreille avait encore son mot à dire pour faire savoir dans une petite communauté. Le téléphone, qu'on disait alors arabe, sans craindre de vexer une partie de la population, remplissait son rôle et bientôt, chacun savait ce qu'il était bon qu'il sache dans son intérêt ou pour son plaisir.

Mystère des technologies qui sous prétexte de faciliter la tâche viennent au contraire nous bâillonner et nous couper du savoir essentiel ! Le temps des magiciens est venu ; ils nous sortent de leur chapeau de belles histoires sordides, des faits divers crapuleux ou bien des livres nauséeux. Nous sommes devenus des enfants en bas-âge, bercés par le doux ronron d'une information d'anesthésistes.

En ce temps-là, il y avait dans nos rues des gens qui s'égosillaient pour nous faire savoir. Crieurs de rue sonnant le tambour et le rappel, ils sillonnaient nos villes et nos villages pour porter à la connaissance de tous, le spectacle du soir, l'arrêté municipal ou bien l'avis important. Ils sonnaient le rappel en battant le tambour afin que chacun tende l'oreille. Curieusement alors, rien ne tombait jamais dans celle d'un sourd.

Dans mon petit coin de Loire, le crieur se nommait Raymond. La première guerre, la grande, la seule qui vaille qu'on lui prête un peu d'égards, l'avait vilainement estropié. Le pauvre était revenu de l'enfer incapable de tenir une paire de baguettes mais tout à fait en mesure de vider le canon. Ce sont là, bien souvent les contradictions guerrières … Raymond se tapait la cloche bien plus souvent qu'à son tout et, quand il était encore en état, la sonnait dans les rues pour annoncer les nouvelles.

Pour nous autres, il était Raymond la Cloche. Personnage écouté quand il agitait son tocsin portatif pour clamer son inénarrable « Avis à la population ! », il était pareillement moqué quand il finissait, chaloupant et tanguant, sa tournée des grands ducs assoiffés. Mais les mystères de la communication fonctionnaient à merveille avec ce personnage haut en couleur. Plus il bredouillait son texte, plus il bafouillait et se perdait en erreurs de lecture, mieux le message passait. Il faut admettre que Raymond n'avait pas à sa disposition un conseiller en communication ; celui-ci se serait arraché les cheveux.

Les Raymond ont déserté nos rues. Il n'était plus besoin de trouver un travail, pour modeste qu'il fût, aux gueules cassées de ce maudit carnage. Le monde entrait dans la modernité, les journaux d'alors étaient encore lus, on pouvait compter sur eux pour donner des nouvelles. Puis, certains petits malins se dirent qu'il y avait beaucoup à gagner en vendant des journaux électroniques pour porter les nouvelles locales aux citoyens attentifs.

Lire en levant la tête, tout en circulant dans la cité, devint une pratique nécessaire pour savoir ce qui allait se passer. Bien vite, les panneaux se diluèrent dans un environnement où la publicité et les enseignes sont si nombreuses, que plus rien ne laisse trace dans nos consciences. Quand Raymond avait le nez en l'air, ce n'était certes pas pour bayer aux corneilles. Aujourd'hui, on nous saoule de messages qui glissent sans nous toucher.

Je voulais, depuis bien longtemps, faire hommage à ce brave Raymond la Cloche. Il était mon voisin, dans sa mansarde de la rue du Grenier à Sel. Sa vie n'en avait pas manqué et c'est sans doute ce qui lui avait donné une si grande soif. Je le revois encore agiter sa cloche en grands mouvements maladroits et se lancer dans sa lecture incertaine. C'est à lui que j'aurais aimé confier l'annonce, en ma petite ville, de la sortie de mes Bonimenteries au lieu de quoi, il me fallut compter sur la bonne volonté d'un journal local, si prompt à déformer les propos, à manquer à ses engagements ou à bouder les humbles. Nous en reparlerons un jour prochain : « Avis à la population ! »

Clochement vôtre.

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