samedi 3 juin 2017

À l'ombre de la Pucelle.



La dame Jeanne.


Il était une fois, il y a fort longtemps de cela, une jolie troupe marinière qui en avait assez soupé de ne pouvoir naviguer tout à loisir sur son fleuve. L'Anglois, le fourbe, le retors, avait établi bien longue villégiature en la bonne ville d'Orléans. Les troupes du roi d'Angleterre avaient choisi le coin pour grand bain de siège si rigoureux que les voiles étaient proscrites aux pieds des tourelles. Du haut de la forteresse, qui barrait le cours d'eau, de perfides archers veillaient à ce que le blocus fût respecté à la lettre.

Tous les efforts français pour dégager l'étreinte avaient tourné vinaigre. L'indiscipline était alors le plus grand mal dont souffraient les troupes du roi. Quand en face, le camp des envahisseurs avait dans ce domaine, force bien supérieure et rigueur extrême. La situation militaire était figée depuis si belle lurette que les anciens ne se rappelaient plus le temps heureux d'une province sans ceux qui ne buvaient pas encore du thé ! Les gens d'Orléans y perdaient patience et leur latin. C'est de ce drame que la langue vulgaire fit son chemin de bouche vernaculaire à oreille échauffée. 

Dans la ville et alentour, les mariniers se désespéraient de ne pouvoir aller leur train à bateaux. Les temps étaient durs, la pitance maigre, le vin aigrelet depuis quelques années, sans doute l'influence négative de ces visiteurs si peu portés sur nos bons petits vins de Loire. Je ne sais ce qui poussa quelques gars d'Orléans à tenter l'aventure vers des terres plus hospitalières et surtout dépourvues de ces indésirables visiteurs, mais la chose est certaine, une joyeuse bande de forts en gueule et de hardis gaillards partit loin de cette province devenue maudite pour trouver fleuve à naviguer, chopines à vider et accessoirement, si la chose venait à se présenter, jupons à trousser.

C'est sur la Meuse qu'ils jetèrent leur dévolu sans omettre l'ancre qu'ils avaient tenu à faire suivre. Le marinier est souvent habile de ses mains, il aime à travailler le bois, ne rechigne pas à l'effort pour scier, tailler, couper, émonder, manier le rabot avec grâce et bien d'autres activités charpentières. Par contre, travailler le fer n'était pas dans sa panoplie ! C'est ainsi qu'il n'était pas question de jeter l'amarre avec l'eau du bain quand un marinier changeait de rivière.

Ayant posé baluchons et varlopes à Domrémy, la bande se mit immédiatement à l'ouvrage. Les uns se chargèrent de trouver grands pins bien droits pour se lancer dans la construction d'un magnifique Chaland quand quelques autres se mirent en quête de trouver dans la région de quoi casser la croûte sans oublier de boire quelques canons. Ils avaient grande et belle dame-jeanne qu'ils souhaitaient remplir à ras de ce bon petit gris de Toul pour réjouir leur gosier et survivre au chagrin d'avoir quitté la Loire.

Pendant que les charpentiers, ne restant jamais bien longtemps les deux pieds dans le même sabot, abattaient la besogne avec entrain et efficacité, les responsables de l'intendance et autres douceurs se lancèrent à la quête des victuailles. Ils firent ainsi visite en une petite ferme du village où une jeune fille gardait les blancs moutons de son père. Le brave homme avaient quelques rangées de vigne, ce qui expliquait la présence de nos boit sans-soif en ce lieu retiré de tout.
« Mon brave homme », lui dit le plus grand des chenapans, « n'aurais-tu pas dans tes fûts, de quoi remplir d'aise notre dame-jeanne ? » Non seulement l'homme ne parlait pas la langue de ce pauvre Charles VII mais il sembla ne pas trouver à son goût les beugleries de ces paillards. D'autant qu'il avait cru entendre dans l'étrange jargon de ces lurons, le doux et merveilleux prénom de sa petite fille, la prunelle de ses yeux.

Voilà les ingrédients en place pour que naissent les grands destins, les belles histoires ou les plus folles menteries. De cette incompréhension, de ce mur que dresse entre les hommes la méconnaissance des langues, la face de notre monde médiéval sera changé. Mais n'allons pas trop vite en besogne, pour l'heure les deux parties se regardaient en chien d'arquebuse.

Jeanne bien apeurée s'était accotée à son géniteur. Elle était plus pâle encore que ses jeunes agneaux et brûlait d'une grande frayeur. Elle s'interrogeait sur les intentions précises de ces chenapans, venant parler étrange langue avec force menace auprès de son brave père Elle sentait que sa vie tranquille allait changer de voie, que ces hommes venaient troubler son destin de petite Lorraine. Elle redoutait par dessus-tout que l'un de ces vauriens ne viennent lui dérober sa précieuse fleur, elle qui se voulait agnelle pure …

Étrange pressentiment, peur infondée, inquiétude face à l'inconnu, crainte de ce qui est nouveau, Jeanne n'échappait pas aux angoisses qui peuplent les cauchemars des jeunes filles en ces temps troublés. Ces démons d'hommes, ces diables lubriques et inquiétants, c'est du moins ainsi qu'elle les voyait, venaient troubler la quiétude de son jeune âge, menaçaient sa douce innocence.

Le premier contact fut donc catastrophique. Il est reconnu que le marinier est un garçon prudent, sentant le vent mauvais dans le regard du vieil homme, la tempête dans les yeux troublants de la jeune bergère, nos fripons en goguette allèrent traîner leurs guêtres dans une autre ferme. Ils trouvèrent meilleur accueil car le maître de céans avait jadis sillonné des contrées où l'on parlait langue voisine de celle des bords de Loire.

La troupe fit affaire avec le paysan avisé. Elle paya bon prix pour un vin bien plus jaune que le blanc de chez eux mais qui avait belle allure en bouche et vous rendait gaitiau tout comme faut ! La dame-jeanne fut remplie et ils purent s'en retourner bien vite sur le chantier aider à l'ouvrage les compagnons charpentiers.

Ils firent ainsi plusieurs fois le voyage pour remplir la grosse cruche qui se retrouvait souvent vide. Le travail donnait soif aux hommes, la grande cruche se vidait aussi vite qu'avançait le Chaland. Les aller et retours de nos gars des bords de Loire finirent par amadouer la donzelle. La fille de ce voisin qui leur avait fait la lippe, ne leur lançait plus ce regard de braise qui ne présageait rien de bon. Elle souriait maintenant à leur passage, voyant que ces braves bougres étaient bien plus dangereux pour un cruchon que pour le trésor d'une bergère.

Elle aimait à se cacher derrière les futaies pour les écouter parler leur bien étrange langue. Ils évoquaient souvent les maudits soldats et la pauvre ville d'Orléans et surtout n'avaient de cesse que de vanter les mérites d'une dame-jeanne. La Bergère ne comprenait pas tout mais il lui semblait bien que ces gentils garçons accordaient grande et forte vénération pour une dame portant son prénom. Elles saisit bien vite qu'il y avait en leur pays de vilaines gens qu'ils appelaient Anglois !

Le soir venu, ces histoires tournaient dans la tête de la demoiselle. Elle se prenait à rêver de voyage, d'un grand destin et de trois capitaines qui ne l'auraient pas appelée vilaine. En Lorraine quand on porte sabots et jupon, le soldat a vite la main leste et le mot déplacé, à moins que ce ne soit le contraire …

Puis un jour, les braves mariniers disparurent de ce petit coin de Lorraine. Ils avaient construit un grand et beau navire de bois, un lourd et solide Chaland pour faire commerce sur les bords de la Meuse. Hélas, s'ils étaient capables de prouesses charpentières et de folies gourmandes, ils n'étaient pas vraiment hommes avisés. La Meuse en cet endroit est une bien étroite rivière et jamais leur bateau ne put les emmener plus loin. Mais de cela, n'en disons rien, la réputation de la Marine de Loire en recevrait un coup fatal !

Jeanne restait sur son petit coin de terre, ces moutons blancs lui devenaient bien pénibles, elle rêvait de veaux couleur, des idées plein la tête. Chaque fois qu'elle voyait ce gros bateau traîner sa misère sur le flanc au bord d'une Meuse qui ne pouvait le porter, elle se souvenait des propos avinés de ces fous d'Orléans. La tête ne cessait de lui tourner …

Elle se fit joli conte à dormir debout. Crut plus qu'il ne fallait à toute ces fadaises qui lui tournaient la raison. Il lui fallut convaincre son père de la laisser partir, d'aller vivre son rêve en cette ville d'Orléans qui lui avait tourné les esprits. Elle inventa un joli conte, une folie faite de bondieuseries et de sornettes pieuses. Elle inventa un messager du ciel quand ceux qui lui avaient soufflé ces diableries n'étaient que de braves et doux mariniers de Loire un peu portés sur le cruchon.

La suite, vous la savez tout aussi bien que moi. Elle avait grande et belle imagination, elle savait vous entortiller une fable et prit dans ses rets plus d'un grand de ce pays. Elle fit son bonhomme de chemin, elle rêvait de brûler les planches, de raconter dans le royaume de France de merveilleuses histoires. Elle partit à la conquête de Chinon pour amuser le roi.

Sur son chemin de gloire, elle retrouva notre troupe marinière qui s'en revenait la queue basse et la mine défaite après leur mésaventure Lorraine. Ils eurent d'ailleurs grand peine à reconnaître la petite bergère sous l'armure. Ils lui emboîtèrent le pas et la suivirent dans sa bataille victorieuse en leur bonne ville.

Ils eurent d'ailleurs un rôle décisif dans la victoire. En une nuit sans lune, c'est notre glorieuse troupe marinière qui fit traverser le fleuve à la jeune guerrière au nez fort vilain et à la barbe hirsute des ces maudits assiégeants. L'Anglois bouté comme un malpropre, nos gars reprirent leur passion Loire et abandonnèrent la bergère à ses autres folies belliceuses.

La fin fut bien moins glorieuse. L'Anglois n'apprécie pas les faiseuses d'histoire. D'autant qu'à force de se faire des chimères, la jeune demoiselle avait mis grande et belle pagaille dans ce pays qu'ils croyaient occuper pour toujours. Ils lui jouèrent un bien vilain tour et vous savez tous que la pauvre fille s'éteint le 30 mai 1431d'avoir mis le feu au poudre !

Quant à Jeanne, pauvre petite cruche qui avait quitté sa Lorraine pensant être la dame Jeanne dont ne cessaient de parler les mariniers croisés, elle fut bien surprise de découvrir ce que ce fut vraiment quand l'aventure fut consommée.

Qu'importe ces détails de langage, il est grand temps de rendre à la Marine de Loire les mérites de ce grand fait d'armes. C'est de joyeux mariniers et non des voix célestes qui guidèrent la petite Jeanne vers sa mission sacrée ! Il faut retenir de cette histoire navrante, qu'il n'est jamais raisonnable d'accorder foi à des propos d'ivrognes fussent-ils de braves garçons.

Johanniquement sien

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