Et
son civet de lièvre.
Maître
Cornille était un meunier qui avait tout pour être heureux :
un merveilleux moulin sur la rivière Loiret, une maison magnifique,
un décor de rêve, des clients nombreux et fidèles, de l’eau pour
faire tourner sa roue et une femme, belle comme un soleil. Mais
voilà, c’est le dernier point qui le désolait car son Aurélie
avait le feu là où une honnête femme ne doit pas l’avoir.
Car
tel est l’injustice des rôles. Les hommes peuvent courir le
guilledou tout à loisir sans hériter d’adjectifs dégradants
tandis que la femme n’a guère le droit d’avoir, elle aussi, des
désirs et des envies. Les choses n’ont guère changé aujourd’hui
mais, en cette époque lointaine où les minotiers fleurissaient sur
notre rivière Loiret, la dame faisait scandale.
Pour
accentuer sa mauvaise réputation, la pauvre Aurélie vivait dans le
moulin de la Mothe, patronyme qui, associé à son goût prononcé de
l’amour physique, faisait grandement jaser du côté d’Olivet.
Bonne poire, Cornille fermait les yeux sur les turpitudes de sa belle
même s’il ne parvenait pas à se boucher les oreilles pour ne pas
entendre les moqueries et les propos graveleux qui ne manquaient pas
d’accompagner ses pas.
Cornille
savait que la réputation de sa meunière n’était pas usurpée. Il
profitait de sa part certes, mais sa femme avait un tel appétit
qu’elle ne se satisfaisait pas des seules caresses du meunier. Les
jeunes valets qui portaient les sacs de grains au moulin avaient sa
faveur ; elle était toujours disposée à initier les
débutants, à consoler les maladroits, à perfectionner les plus
vaillants.
Les
fermiers et les métayers pour peu qu’ils s’ennuient à la
maison, trouvaient eux aussi dans les bras d’Aurélie, de quoi
oublier les soirées au cul tourné qui les attendaient une fois
rentrés. Ils prenaient leur plaisir tandis que le grain devenait
farine. Il y avait toujours des sacs qui offraient un doux tapis
pour jouir des faveurs de la belle, pourvu que le meunier soit occupé
ailleurs.
C’était
d’ailleurs là le principal souci de tous ceux qui venaient au
moulin de la Mothe. Il fallait trouver prétexte pour envoyer le
meunier loin de sa meule et de sa roue à pot. Chacun y allait de son
astuce pour éloigner le pauvre homme du théâtre des opérations.
L’un, prétextant avoir oublié quelques sacs dans sa ferme,
l’autre, lui demandant de ferrer son âne (car le meunier avait
aussi ce talent) ; les valets affirmaient que leur patron
refusait de leur donner l’argent, le meunier devait aller à la
ferme pour se faire payer.
Toutes
les astuces étaient bonnes pour faire tourner bourrique ce pauvre
homme et se retrouver seul dans le moulin avec la belle meunière à
la cuisse légère. Cornille rongeait son frein ; il en avait
assez d’être la risée de tous. Pourtant, il préférait faire
semblant de mordre à l’hameçon plutôt que de prendre le risque
de surprendre sa femme en pleine action.
Ce
jour-là, il était allé de lui-même en ville avec son âne pour
aller quérir un nouveau blutoir : ce coffre qui sert à séparer
la farine des sons et gruaux. C’est pendant cette course qu’il
avait à faire sur Orléans que le garde-champêtre, informé par
quel mystère de cette opportunité, était venu rendre hommage aux
charmes d’Aurélie.
Cornille
avait oublié quelque chose au moulin ; il avait rebroussé
chemin quand il aperçut sur la pierre, à l’entrée de la porte
de la réserve, un bicorne qui ne laissait aucun doute sur le
propriétaire de ce couvre-chef. Cette fois, la mesure était
dépassée, Cornille pouvait encore accepter d’être cocu mais par
un porteur de bicorne, ça jamais !
On
peut être mari trompé et conserver sa dignité et son aversion pour
l’uniforme. Le pandore allait payer pour tous les autres. Cette
fois, Cornille allait donner une leçon à sa femme et punir ce
maudit Baugard qui méritait bien de prendre du plomb dans les
fesses. Il serait puni là où il fautait ; il y avait une
justice, d’autant plus que ce lascar ne cessait de l’importuner à
propos du pertuis et autres tracasseries administratives.
Cornille
rentra à pas de loup dans la cuisine. Au dessus de la maie, était
accrochée une merveilleuse pétoire : un fusil à un coup qu’il
avait hérité de son grand père. Cornille était un chasseur qui
avait la gâchette sûre. Il aimait ce vieux fusil et s’en
satisfaisait. Une seul coup suffirait à plomber le méchant homme
qui salissait sa réputation.
Cornille
se posta derrière un bosquet ; il avait une vue sur le moulin,
sa roue et la rivière. Il était placé de telle manière qu’il
aurait en ligne de mire l’arrière-train du gredin quand il
retournerait dans ses pénates. Il avait de la patience à revendre ;
son heure était venue de laver son honneur et de punir tous les
autres par le truchement de celui-là. Compte tenu des circonstances,
il était certain de n’encourir aucune foudre de la justice :
le garde-champêtre saurait se taire, après les cris qu’il
n’allait pas manquer de pousser.
L’homme
finit par sortir. Il reprit son bicorne. Mon dieu, il avait l’air
bien satisfait des instants qu’il venait de passer en compagnie
d’Aurélie. Il était rouge, sa liquette dépassait. Il n’avait
même pas pris la peine de se rhabiller correctement. Il avait lui
aussi le feu au cul ; Cornille était bien décidé à y ajouter
quelques plombs vengeurs !
L’odieux
salua une dernière fois celle qui s’était donnée à lui.
Cornille tira de ce baiser, envoyé à la volée, le courage de mener
à bien sa décision. Il arma le fusil, l’épaula et visa. Il
attendait que la distance soit suffisante pour ne faire que truffer
ce sinistre postérieur sans risquer une blessure fatale.
Mais
soudain, ce fut un terrible cas de conscience qui se présenta au
meunier. Juste à quelques mètres de là, sur la rive, un superbe
gibier, un animal gras et dodu, un vénérable lièvre vint
s’abreuver dans le Loiret. Que faire ? Cornille ne savait plus où
donner de la tête. Punir le chaud lapin ou bien s’offrir la
promesse d’un formidable civet ?
Chacun
peut juger de la gravité de l’heure. Le péché de chair pouvait
bien attendre. Ce lièvre lui faisait monter l’eau à la bouche. Il
en salivait par l’avance. Il changea de cible, il ne pouvait
laisser pareille occasion. Il visa et tira. Le lièvre tomba, tué
sur le coup. Le garde -champêtre, persuadé qu’il était la cible
du meunier plongea sur le côté. Le pauvre homme se retrouva dans
la rivière.
Le
premier mouvement du meunier fut d'aller chercher son trophée. Il
était lourd : c’était vraiment une superbe pièce. Quel
festin serait le sien ! Pendant ce temps, le galant manquait de
se noyer. Il était engoncé dans son uniforme et ne savait pas
nager. C’est Aurélie qui arriva à son secours. Elle avait tout vu
de la scène, avait retenu son souffle quand elle avait repéré son
mari dans son buisson.
Elle
attrapa une perche pour sortir son amant des flots. Elle se pencha ;
l’autre agrippait la perche quand le meunier, son lièvre dans une
main, fier comme Artaban, s’approcha de la meunière et lui asséna
un fulgurant, un magistral, un formidable coup de pied aux fesses. La
belle tomba dans les bras du garde-champêtre tandis que le meunier
explosait d’un incroyable rire.
Il
venait de faire coup triple. Il n’en rêvait pas tant. Il sortit le
couple adultère de l’eau sans un mot et partit à la cuisine
préparer son lièvre. Il venait de laver son honneur ; il
allait déguster à merveille sa vengeance qui pour lui allait être
un plat qui se mangerait chaud. Il prépara un civet comme jamais il
n’en avait rêvé.
De
ce jour, la meunière cessa de se montrer aimable avec tous les
hommes de la contrée. Elle avait soudainement découvert que son
homme était, lui aussi, un luron qui pouvait la contenter et que
surtout c’était une fine gâchette. Elle avait saisi le sens du
message qu’il venait de lui envoyer ; c’était peut-être ce
qu’il attendait : un peu de considération et d’intérêt.
Ce coup de pied bien placé lui avait remis les idées en place.
Désormais Aurélie aimait son Cornille et par-dessus tout sa
cuisine. C’est par le ventre qu’il venait de la reconquérir.
Chaud-lapinement
leur
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