vendredi 16 juin 2017

Maître Cornille !



Et son civet de lièvre.


Maître Cornille était un meunier qui avait tout pour être heureux : un merveilleux moulin sur la rivière Loiret, une maison magnifique, un décor de rêve, des clients nombreux et fidèles, de l’eau pour faire tourner sa roue et une femme, belle comme un soleil. Mais voilà, c’est le dernier point qui le désolait car son Aurélie avait le feu là où une honnête femme ne doit pas l’avoir.

Car tel est l’injustice des rôles. Les hommes peuvent courir le guilledou tout à loisir sans hériter d’adjectifs dégradants tandis que la femme n’a guère le droit d’avoir, elle aussi, des désirs et des envies. Les choses n’ont guère changé aujourd’hui mais, en cette époque lointaine où les minotiers fleurissaient sur notre rivière Loiret, la dame faisait scandale.

Pour accentuer sa mauvaise réputation, la pauvre Aurélie vivait dans le moulin de la Mothe, patronyme qui, associé à son goût prononcé de l’amour physique, faisait grandement jaser du côté d’Olivet. Bonne poire, Cornille fermait les yeux sur les turpitudes de sa belle même s’il ne parvenait pas à se boucher les oreilles pour ne pas entendre les moqueries et les propos graveleux qui ne manquaient pas d’accompagner ses pas.

Cornille savait que la réputation de sa meunière n’était pas usurpée. Il profitait de sa part certes, mais sa femme avait un tel appétit qu’elle ne se satisfaisait pas des seules caresses du meunier. Les jeunes valets qui portaient les sacs de grains au moulin avaient sa faveur ; elle était toujours disposée à initier les débutants, à consoler les maladroits, à perfectionner les plus vaillants.

Les fermiers et les métayers pour peu qu’ils s’ennuient à la maison, trouvaient eux aussi dans les bras d’Aurélie, de quoi oublier les soirées au cul tourné qui les attendaient une fois rentrés. Ils prenaient leur plaisir tandis que le grain devenait farine. Il y avait toujours des sacs qui offraient un doux tapis pour jouir des faveurs de la belle, pourvu que le meunier soit occupé ailleurs.

C’était d’ailleurs là le principal souci de tous ceux qui venaient au moulin de la Mothe. Il fallait trouver prétexte pour envoyer le meunier loin de sa meule et de sa roue à pot. Chacun y allait de son astuce pour éloigner le pauvre homme du théâtre des opérations. L’un, prétextant avoir oublié quelques sacs dans sa ferme, l’autre, lui demandant de ferrer son âne (car le meunier avait aussi ce talent) ; les valets affirmaient que leur patron refusait de leur donner l’argent, le meunier devait aller à la ferme pour se faire payer.

Toutes les astuces étaient bonnes pour faire tourner bourrique ce pauvre homme et se retrouver seul dans le moulin avec la belle meunière à la cuisse légère. Cornille rongeait son frein ; il en avait assez d’être la risée de tous. Pourtant, il préférait faire semblant de mordre à l’hameçon plutôt que de prendre le risque de surprendre sa femme en pleine action.

Ce jour-là, il était allé de lui-même en ville avec son âne pour aller quérir un nouveau blutoir : ce coffre qui sert à séparer la farine des sons et gruaux. C’est pendant cette course qu’il avait à faire sur Orléans que le garde-champêtre, informé par quel mystère de cette opportunité, était venu rendre hommage aux charmes d’Aurélie.

Cornille avait oublié quelque chose au moulin ; il avait rebroussé chemin quand il aperçut sur la pierre, à l’entrée de la porte de la réserve, un bicorne qui ne laissait aucun doute sur le propriétaire de ce couvre-chef. Cette fois, la mesure était dépassée, Cornille pouvait encore accepter d’être cocu mais par un porteur de bicorne, ça jamais !

On peut être mari trompé et conserver sa dignité et son aversion pour l’uniforme. Le pandore allait payer pour tous les autres. Cette fois, Cornille allait donner une leçon à sa femme et punir ce maudit Baugard qui méritait bien de prendre du plomb dans les fesses. Il serait puni là où il fautait ; il y avait une justice, d’autant plus que ce lascar ne cessait de l’importuner à propos du pertuis et autres tracasseries administratives.

Cornille rentra à pas de loup dans la cuisine. Au dessus de la maie, était accrochée une merveilleuse pétoire : un fusil à un coup qu’il avait hérité de son grand père. Cornille était un chasseur qui avait la gâchette sûre. Il aimait ce vieux fusil et s’en satisfaisait. Une seul coup suffirait à plomber le méchant homme qui salissait sa réputation.

Cornille se posta derrière un bosquet ; il avait une vue sur le moulin, sa roue et la rivière. Il était placé de telle manière qu’il aurait en ligne de mire l’arrière-train du gredin quand il retournerait dans ses pénates. Il avait de la patience à revendre ; son heure était venue de laver son honneur et de punir tous les autres par le truchement de celui-là. Compte tenu des circonstances, il était certain de n’encourir aucune foudre de la justice : le garde-champêtre saurait se taire, après les cris qu’il n’allait pas manquer de pousser.

L’homme finit par sortir. Il reprit son bicorne. Mon dieu, il avait l’air bien satisfait des instants qu’il venait de passer en compagnie d’Aurélie. Il était rouge, sa liquette dépassait. Il n’avait même pas pris la peine de se rhabiller correctement. Il avait lui aussi le feu au cul ; Cornille était bien décidé à y ajouter quelques plombs vengeurs !

L’odieux salua une dernière fois celle qui s’était donnée à lui. Cornille tira de ce baiser, envoyé à la volée, le courage de mener à bien sa décision. Il arma le fusil, l’épaula et visa. Il attendait que la distance soit suffisante pour ne faire que truffer ce sinistre postérieur sans risquer une blessure fatale.

Mais soudain, ce fut un terrible cas de conscience qui se présenta au meunier. Juste à quelques mètres de là, sur la rive, un superbe gibier, un animal gras et dodu, un vénérable lièvre vint s’abreuver dans le Loiret. Que faire ? Cornille ne savait plus où donner de la tête. Punir le chaud lapin ou bien s’offrir la promesse d’un formidable civet ?

Chacun peut juger de la gravité de l’heure. Le péché de chair pouvait bien attendre. Ce lièvre lui faisait monter l’eau à la bouche. Il en salivait par l’avance. Il changea de cible, il ne pouvait laisser pareille occasion. Il visa et tira. Le lièvre tomba, tué sur le coup. Le garde -champêtre, persuadé qu’il était la cible du meunier plongea sur le côté. Le pauvre homme se retrouva dans la rivière.

Le premier mouvement du meunier fut d'aller chercher son trophée. Il était lourd : c’était vraiment une superbe pièce. Quel festin serait le sien ! Pendant ce temps, le galant manquait de se noyer. Il était engoncé dans son uniforme et ne savait pas nager. C’est Aurélie qui arriva à son secours. Elle avait tout vu de la scène, avait retenu son souffle quand elle avait repéré son mari dans son buisson.

Elle attrapa une perche pour sortir son amant des flots. Elle se pencha ; l’autre agrippait la perche quand le meunier, son lièvre dans une main, fier comme Artaban, s’approcha de la meunière et lui asséna un fulgurant, un magistral, un formidable coup de pied aux fesses. La belle tomba dans les bras du garde-champêtre tandis que le meunier explosait d’un incroyable rire.

Il venait de faire coup triple. Il n’en rêvait pas tant. Il sortit le couple adultère de l’eau sans un mot et partit à la cuisine préparer son lièvre. Il venait de laver son honneur ; il allait déguster à merveille sa vengeance qui pour lui allait être un plat qui se mangerait chaud. Il prépara un civet comme jamais il n’en avait rêvé.

De ce jour, la meunière cessa de se montrer aimable avec tous les hommes de la contrée. Elle avait soudainement découvert que son homme était, lui aussi, un luron qui pouvait la contenter et que surtout c’était une fine gâchette. Elle avait saisi le sens du message qu’il venait de lui envoyer ; c’était peut-être ce qu’il attendait : un peu de considération et d’intérêt. Ce coup de pied bien placé lui avait remis les idées en place. Désormais Aurélie aimait son Cornille et par-dessus tout sa cuisine. C’est par le ventre qu’il venait de la reconquérir.

Chaud-lapinement leur


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