Poussières
d'étoiles
Sur la lande, j'errais, claudiquant, à la recherche d'une légende.
Bienveillante, la pleine Lune éclairait la dune ; complice
m'était le murmure du proche Océan. Tout émoustillé par
l'histoire « des fées des sables » à moi confiée
par une conteuse gasconne, j'étais à la recherche d'un signe, d'un
indice dans l'espoir de trouver grâce auprès des demoiselles
ailées. Me feraient-elles participer, l'espace d'une nuit
endiablée, à leur sabbat mystérieux, effaçant ma disgrâce ,
rendant la raison à ma patte folle ?
La
conteuse m'avait affirmé que celui qui satisfaisait les dames
recevait en retour une pièce d'or, quelques soins telluriques et la
promesse d'être à nouveau convié à leur sarabande pour peu,
naturellement, qu'il sût garder sa langue. Je n'avais nullement
l'intention de m'enrichir ; j'étais là pour avoir nouveau
récit à vous offrir tout en m'octroyant un petit plaisir sensuel et
un mieux-être plantaire.
Je
commençais à douter de ma bonne étoile quand, soudain, sur la
dune, un spectacle me fit oublier mes désirs secrets et quelque peu
inavouables. Un chêne, tortueux et fier, se dressait là où nulle
végétation ne pousse, à l'exception de petites herbes obstinées
qui résistent aux assauts du vent. Il se tenait, face à la mer,
comme un défi aux éléments et à la nature.
Je
n'osais m'approcher de cet arbre vénérable. Il se découpait sur
le ciel, inquiétant et envoûtant, comme seuls les arbres peuvent
l'être quand ils se trouvent isolés, à l'écart de leurs
congénères. Il y avait en lui de la magie ou peut-être un message
céleste. Détail troublant : quels que fussent mes mouvements
et ma position, il restait imperturbablement planté devant une
pleine Lune qui tenait bien plus d'Hollywood que de notre satellite
naturel.
Il
y avait certainement envoûtement ou sorcellerie dans ce prodige
sélénaire à moins que ce ne fût une fiction née de mon esprit
embrumé. C'est la Lune qui était son phare, son projecteur :
elle n'avait d'yeux que pour lui. J'avançais doucement, me
dissimulant derrière les quelques arbustes qui poussaient au pied de
la dune, entre sable et forêt, craignant d'effrayer je ne sais
quelle fée ou bien de briser ce mirage.
Il
me fallut bien du temps pour l'apercevoir enfin. Sur la plus haute
branche, une dame, toute de noir vêtue, dansait, au son de la
musique argentine des vagues, ce qui me parut être un tango, en
enlaçant un bel oiseau blanc. Spectacle magnifique de ce couple
irréel qui me fascinait, me clouait sur place, comme pris au piège !
L'oiseau lui tendait ses ailes, la dame se collait à son plumage.
C'était la plus belle parade que jamais œil humain n'eût
contemplée .
Oubliées
les lascives fées des sables ; celle de l'arbre avait conquis
mon cœur d'autant plus que, sur mon pied blessé, je sentais un
frémissement, une curieuse chaleur et quelques picotements. Avais-je
pénétré dans un champ magnétique, moi si aimant ? En pleine
nuit, des papillons phosphorescents voletaient autour de moi ;
ma raison vacillait.
Qu'importe,
j'aurais donné n'importe quoi pour être cet oiseau, pour tenir sous
mon aile la gracieuse danseuse. Combien de temps ai-je passé ainsi,
le souffle coupé et le sang battant mes tempes ? Je n'en ai aucune
idée … Le temps était aboli, le monde se résumait à ce tango
aérien, cette chorégraphie éclairée par la Lune.
Que
se passa-t-il alors? Avais-je marché sur une branche ? Il est vrai
que mon pied, soudainement guéri, me donnait, lui aussi, des ailes.
M'étais-je montré malgré toutes mes précautions, incapable que
j'étais de maîtriser mes émotions ? Je ne puis vous dire ce
qui fit que ma vie bascula en cet instant extraordinaire.
Ma
présence venait d'interrompre le bal. L'oiseau blanc s'envola. Il
s'éleva dans le ciel, telle une flèche qui veut atteindre la voûte
céleste. Puis soudain, il fit volte- face et se dirigea vers ma
position. Il planait à une telle altitude que j'avais peine à le
deviner encore ; je ne distinguais qu'une petite tache blanche,
tout là-haut !
Sur
son chêne, la dame s'était assise, reprenant son souffle. Il n'y
avait dans son regard ni reproche ni remontrance. Je crois même
qu'elle me souriait en me fixant intensément, comme si elle
m'invitait à la rejoindre. Mais malhabile et pataud, incapable de
grimper si haut, comment pouvais-je escalader le vieux chêne ?
Soudain,
dans le ciel, un cri perçant me fit sursauter. L'oiseau se trouvait
juste au-dessus de moi désormais. Il fondit alors vers l'endroit où,
il y a peu encore, je cherchais maladroitement à me cacher. Mais
paralysé, j'étais incapable d'esquisser le moindre geste pour
éviter l'animal en piqué. Fuir eût été, de surcroît, lâcheté
indigne devant si belle et si engageante dame !
J'allais
être embroché par un bec vengeur, celui d'un jaloux qui avait
compris ma soudaine flamme pour sa cavalière. Mon trépas était
certain mais mourir d'amour, quoi de plus beau pour un rêveur ?
J'acceptais ce sort funeste pour le sourire de celle qui était, tout
à la fois, fée et sorcière, enchanteresse et envoûteuse.
C'est
alors que je la vis se lever et, d'un geste que je ne saurais vous
décrire, elle présenta ses mains tendues aux étoiles qui se mirent
à filer dans le ciel. Une fine poussière tomba sur les paumes de
la fée ; toute nimbée elle-même d'un halo lumineux, elle
reçut délicatement ce scintillement luminescent . La Lune se
fit plus grosse, plus brillante encore.
Le
prodige se déroula en quelques secondes. J'entendais l'oiseau qui
fondait sur moi, pourtant, j'étais en extase devant la belle. Sans
crainte ni inquiétude, j'attendais un signe d'elle : il ne
pouvait en être autrement. Elle me mettait à l'épreuve ; je
devais absolument me montrer digne de ce rite initiatique. Le bruit
grandissait, l'oiseau allait me clouer de son bec quand, à l'ultime
instant, la dame de la dune projeta sur moi ses poussières
d'étoiles.
L'oiseau
disparut, votre serviteur, docile spectateur, pareillement. Je
n'étais plus ; je n'étais plus ce pauvre curieux qui se
traînait misérablement sur la terre ferme. Je me retrouvais à mon
tour sur la plus haute branche du chêne, comme sorti, en cet
instant, d'un cocon : celui que j'avais été auparavant.
Ma
cavalière avait repris sa danse et c'était moi, l'oiseau blanc qui
dansait une lancinante valse avec elle. Je n'étais certes pas aussi
habile que son cavalier précédent ; il lui fallut grande
patience et bonne pédagogie pour m'initier à son art viennois. Nous
n'étions guère pressés. Nous avions toutes les nuits devant nous
pour découvrir les subtilités de sa danse préférée.
Nous
avions tous les jours pour nous reposer et nous aimer. Si oiseau
j'étais la nuit, je retrouvais mon apparence aux premières lueurs
du jour. La dame de la dune descendait alors de son arbre et me
conduisait dans son antre. De ce lieu, jamais je ne vous dirai rien ;
je ne voudrais pas qu'un autre curieux vienne me dérober ma belle
cavalière et me prive d'une pièce en or.
Cavalièrement
sien.
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