L’eau
d’ici.
Il
était une petite goutte d’eau qui aimait voyager. Elle en avait
vécu des aventures, expérimentant des circuits de plus en plus
complexes, au fur et à mesure que les humains étendirent leur
empreinte sur la planète. Avant eux, tout était si simple, le cycle
de l’eau coulait de source, il prenait certes des chemins
détournés, acceptait parfois de longues stations dans une nappe
phréatique comme celle de Beauce, s’accordait des détours
surprenants par le truchement des végétaux, prenait racine dans
quelques lacs souterrains avant de ressurgir en plein soleil et de
disparaître en fumée.
Nul
nuage noir dans cette formidable loterie qui ouvrait le bal, ici dans
une source, là dans un puits, ailleurs dans une résurgence, plus
loin encore dans un océan ou bien une rivière. L’eau coulait,
coulait, coulait sans se charger de poisons ni même d’immondices.
La boue, la poussière, le sable, le pollen et bien d’autres choses
encore, toutes plus naturelles les unes que les autres, se
chargeaient de lui compliquer un tant soi peu l’existence et le
mouvement. Mais rien de bien grave en somme, pas de quoi déposer la
moindre plainte ni la plus petite récrimination.
L’eau
allait son chemin, toujours accessible, toujours comestible. Les
animaux et les plantes pouvaient s’en nourrir sans crainte,
profitant pleinement de ses bienfaits. Où qu’elle fut, elle était
source de vie et de santé, élément indispensable à toute vie sur
cette planète. C’était un temps merveilleux où nulle force ne
s’arrogeait le droit de propriété sur ce bienfait de la nature.
C’était
un temps avant la venue des drôles d’animaux qui allaient debout
sur leurs jambes. Ceux-là ont changé la donne, modifié
l'équilibre, bouleversé les règles du jeu naturel. Il y eut des
barrages et des retenues, des dérivations et des fossés, des puits
plus profonds qui asséchaient les petites réserves voisines. L’eau
devint un enjeu de pouvoir ou bien l’expression de la puissance.
Elle découvrait alors que les hommes étaient capables de calculs,
de viles stratégies pour priver d’autres humains de ce bien si
précieux.
Mais
là encore, tout ceci n’était rien en comparaison de ce qui allait
suivre. L’expansion humaine fut accompagnée d’un bouleversement
du sol. Des forêts arrachées, de drôles de matériaux couvrant les
terres, des canalisations, des fossés, des dérivations, des
circuits souterrains. L’imagination des nouveaux maîtres de la
planète était sans limite. L’eau filait un mauvais coton.
Elle
conserva sa pureté de nombreuses années encore, se moquant des
fantaisies de ces drôles de personnages jusqu’à ce qu’ils se
mettent à user sans mesure de cette merveilleuse ressource
naturelle. Les tanneurs, les teinturiers, les équarrisseurs, les
métallurgistes, les potiers, les lavandières, les maîtres
verriers, les ferronniers, …, la liste serait interminable de ceux
qui se mirent à souiller sans retenue nos rivières et nos sources.
Pourtant,
les paysans étaient encore des êtres raisonnables. Ils respectaient
la nature, le cycle des saisons, les animaux et l’eau dont ils
usaient avec parcimonie, ne comptant le plus souvent que sur les
pluies pour irriguer leurs récoltes. Ils semaient, engraissaient
leurs terres des fumiers de leurs étables et tout allait pour le
mieux dans un monde encore fréquentable.
Puis
soudain tout bascula. Des ingénieurs, des chimistes, des plus
savants et sans doute plus cupides que les autres se soucièrent
d’améliorer les rendements, de nourrir les sols avec des produits
douteux sortis d’industries honteuses. Les agriculteurs se firent
empoisonneurs de l’eau sans même le savoir, sans s’en douter,
croyant naïvement les arguments oiseux des marchands de mort.
Bientôt, il ne fut plus possible de boire l’eau des fossés, puis
ce fut celle du puits, puis bientôt, il devint indispensable de
traiter l’eau avec d’autres produits tout aussi inquiétants.
Le
cycle de l’eau continuait son immuable mouvement. Cependant il y
avait quelque chose de changé, la petite goutte d’eau portait de
lourdes menaces pour la santé des humains mais aussi pour celle des
animaux et des plantes. Des métaux lourds, des phosphates, des
poisons affreux, de la radioactivité se dissolvaient dans l’onde
pure d’antan pour en faire un liquide mortel.
L’eau
devint un produit marchand. Des humains, au nom de je ne sais quelle
morale propre à cette étrange espèce, prétendirent possible de
vendre l’eau, de l’accaparer, de la commercialiser. Un don du
ciel ou de la terre qui devenait par une étrange baguette de
sourciers financiers, une affaire rentable et l’occasion de priver
de moins chanceux de ce qui n’avait jamais été mesuré par la
mère nature.
La
petite goutte d’eau ne pouvait plus voyager selon sa fantaisie.
Elle devait passer par les fourches Caudines des scélérats, des
empoisonneurs, des accapareurs, des apprentis sorciers, des
compagnies industrielles. L’eau aussi devait disposer d’un
passeport pour franchir une frontière, pour irriguer ou bien
hydrater. Elle était taxée, vendue, détournée, mesurée,
galvaudée.
L’eau
se dit que les hommes ne la méritait pas. Elle cessa de couler, elle
se cacha dans les entrailles de la Terre, elle s’enfuit des
rivières et des océans pour mettre à mort cette espèce imbécile
et cupide. Elle cessa de tomber comme pluie d’argent, les hommes
étaient trop avides pour apprécier sa valeur. Ils moururent de soif
d’avoir eu trop faim de richesse. Alors, alors seulement, quand il
n’y eut plus un seul animal debout sur ses jambes, elle revint
irriguer une Planète à nouveau fréquentable.
Précipitamment
sien.
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