mercredi 13 septembre 2023

La Loire en fil conducteur.

 Blois, mieux que si vous y étiez ...

 


 

Auguste et Pauline.


C'est à l'heure du laitier et du petit déjeuner qu'Auguste naquit dans une métairie. On ne peut faire mieux pour celui qui allait avoir un merveilleux destin précisément autour de cet instant si particulier. Nous sommes le 11 février 1825, le petit garçon voit le jour à six heures du matin. Il est le dixième enfant d'une modeste famille d'agriculteurs. Il n'a pas très bonne mine le gamin ; il ne sera jamais paysan, trop frêle, trop malingre. Ce sera sa chance, il aura ainsi le rare privilège d'aller à l'école.


Nonobstant, Auguste ne va pas user très longtemps ses culottes courtes sur les bancs de ce qui n'est pas encore la communale. Il faut dire que ça coûte un franc cinquante par mois à ses parents. Il n'y reste que trois années. Chaque matin d'hiver, le gamin quitte sa ferme de La Borde : une métairie, pour se rendre, une bûche sous le bras, à l'école de Pontlevoy, trois kilomètres plus loin. Mais comme il n'a pas le bonheur d'être d'une famille riche, il lui faut bien vite trouver occupation moins coûteuse. A l'âge de neuf ans le voici donc sur les chemins avec dix sous en poche et son baluchon sur l'épaule. Il se retrouve commis chez un épicier de Bléré en bordure du Cher.


Durant deux ans, il y fait office de grouillot puis s'en va à Blois, déjà, ou pendant quelque temps, il trouve à s'occuper chez un autre épicier. Mais c'est qu'il a de l'ambition ce petit Auguste : voulant voler de ses propres ailes, il décide de monter à la capitale. C'est fort de la recommandation de la duchesse de La Borde : la patronne de son père, qu'il trouve à s'employer chez un épicier parisien Monsieur Leguerrier.


C'est à bord de la « Patache », un coche d'eau, qu'il remonte la Loire jusqu'à Orléans puis empruntant le canal pour se rendre à sa destination qu'il fait ce grand voyage de 24 heures au tarif exorbitant pour lui : 20 francs 25, l'équivalent de deux mois de salaire. Le voici employé dans la magnifique épicerie du "Mortier d'argent" sise rue des Fossés-Monsieur-Le-Prince. Il travaille entouré de thé, café, chocolat et autres épices. Dans cette boutique, un certain Honoré de Balzac s'approvisionne en café et en chandelles qu'il semble brûler par les deux bouts.


Pris alors d'une passion dévorante pour le chocolat, Auguste se mit à le travailler au pilon puis le fabriqua à la main. Il le retire de l'enveloppe du cacao torréfié. Puis après l'avoir étendu sur des claies pour le faire refroidir, il trie les grains, les concasse et en expulse le germe. Le cacao et le sucre étaient ensuite broyés dans un mortier légèrement chaud. Auguste découpait la pâte obtenue en boudins qui, après avoir refroidi à la cave, étaient enveloppés dans du papier d'étain et conservés au sec.


Fermement décidé à devenir chocolatier, Auguste travaille huit années durant chez cet épicier parisien pour économiser l'argent nécessaire à son établissement ultérieur puisqu'il ne peut compter sur l'aide financière de ses parents . En 1847, il quitte la capitale pour retourner en bord de Loire à Blois et ouvrir sa propre boutique ; il a vingt-deux ans, 1 800 francs d'économies et le bonheur d'avoir échappé à la conscription.


Auguste loue un commerce au 68, Grande-Rue, près de l'ancien Carroir du Mal-Assis , pour lequel il signe un bail de neuf ans ! Cette maison qui avait vu naître Robert-Houdin, était placée sous une bonne étoile, entre magie et chocolat, au royaume des éternels enfants ! La ville de Blois hérite ainsi d'un nouveau confiseur ! Auguste embaume la rue. Il travaille de nuit et vend de jour. Les effluves du chocolat chaud arrivent jusqu'à la jeune Pauline, installée quatre maisons plus haut. Cette orpheline âgée de 17 ans, succombe au charme de ce garçon de 23 ans qu'elle épouse quatre mois après son installation.


Pauline, dont les cousins étaient merciers, a la bosse du commerce. Elle encourage son mari à produire du chocolat à son nom et c'est ainsi que le Chocolat Poulain va faire ses premiers pas. Pauline, excellente vendeuse, laisse à Auguste le loisir de produire son chocolat dans son laboratoire. Les fèves de cacao arrivant par la Loire, le sucre également, Blois est idéalement placée pour favoriser l'essor d'une industrie chocolatière.


Pourtant, rien n'est acquis car dans la ville sont déjà établis cinq autres confiseurs et quelques gros épiciers fabriquant, eux aussi, du chocolat, sans compter les nombreux concurrents d'Orléans. Il faut faire sa place et surtout imposer le chocolat comme un produit de plaisir gourmand et non comme une indication médicinale. C'est là l'intuition géniale d'Auguste qui veut imposer le chocolat comme une confiserie ….


Le 25 juin 1850, dans un Journal du Loir-et-Cher, notre ami Auguste annonce la provenance de ses fèves et vante, au moyen de la publicité, la qualité de son produit. Le chocolatier blésois (il se revendique tel et non simple confiseur) utilise le mélange de fèves qui sera considéré comme le meilleur tout au long de ce siècle : un tiers de caraque pour deux tiers de Maragnan. Le succès va tenir à cette formule et à son sens des affaires..


Pauline qui a hérité d'une maison, la vend pour permettre à son amoureux d'acheter une machine à broyer les fèves. Auguste dépose un brevet. Pourtant, le préfet tarde à donner son autorisation : on ne voit pas d'un très bon œil l'exploitation d'une machine à vapeur dans l'alimentation. Cependant Auguste est opiniâtre et, au bout de deux années de combat, il installe son nouvel atelier au 3 rue du Lion-Ferré. La machine est en vitrine, les badauds se pressent pour voir cette bruyante attraction.


La famille tout comme le petit commerce s'agrandit. Augustine naît le 16 décembre 1849, Albert, le 6 février 1851 et Eugénie, le 29 septembre 1855. L'entreprise est constituée de quatre ouvriers. Le chocolat Poulain se fait un nom grâce à Pauline qui décore de belle façon sa boutique et Auguste dont l'imagination est débordante. Les clefs du succès sont en place.


Pauline, bientôt secondée, elle aussi, par une vendeuse Estelle, vend du thé, du café et du chocolat. Auguste est très sensible à la qualité des produits qui lui arrivent par la Loire. La compagnie coloniale lui assure un approvisionnement régulier. Le magasin propose en outre de nombreuses confiseries et sa décoration intérieure invite aux voyages exotiques.


Mais c'est bien sûr le chocolat qui fait le succès de la maison Poulain. Les présentations sont multiples et variées. À celles de ses confrères, auguste ajoute les fameuses "bouchées impériales ». Le succès fait des envieux, Auguste qui est copié par un concurrent peu scrupuleux qui se permet même de vendre moins cher les fameuses bouchées. Poulain monte sur ses grands chevaux et fait passer une annonce par voie de presse dénonçant la contrefaçon. Il met en place une nouvelle stratégie qui atteste de son sens aigu des affaires. En voici le texte :


«  La MAISON POULAIN, dont les Chocolats ont acquis une si juste réputation, a récemment créé, sous le nom de Bouchées Impériales, un délicieux Bonbon qui n'a pas tardé à exciter la concurrence d'un confiseur de Blois, qui, ne pouvant en égaler la qualité, s'est borné à en imiter la forme, aussi n'est-il pas surprenant qu'il puisse le livrer en raison de sa qualité inférieure, au-dessous du prix de 5 fr le 1/2 kilo établi par la Maison Poulain, qui défie toute concurrence loyale de le livrer à meilleur marché, et qui engage instamment sa nombreuse clientèle à faire la comparaison des deux produits … »


La maison «Poulain» va s'agrandir ; fondant une entreprise qui fera la gloire de la ville de Blois. Auguste sait la valeur de la publicité et de l'image : il fait venir ses fèves par un bateau à vapeur que tous les riverains de Loire identifient. Longtemps après l'arrivée du train à Blois, le vapeur continuera à signaler à tous l'attachement de la maison Poulain à la tradition.


La Loire servira encore de décor à un épisode glorieux. Quand les Prussiens sont à Blois, en 1870, c'est Auguste en personne qui traverse la rivière sur une barque pour aller négocier avec l'occupant. Il se place ainsi comme un notable incontournable dans sa bonne ville dont il va faire la prospérité des années durant. Il sera décoré de la légion d'honneur.


La vie va continuer, de succès en heures de gloire. Auguste quittera cette terre en 1918 quelques heures après l'incendie de son usine qu'il a vendue en 1895. Une fin digne d'un conte de fées comme le fut cette histoire qui n'a besoin de rien de plus pour devenir une fable. Elle s'est déroulée au fil de la Loire et célèbre le génie commercial d'un enfant né dans une famille modeste. 

 

Le poulailler flottant






Qui se souvient dans son enfance d'une vieille traction ou bien d'une ancêtre automobile, abandonnée là sur un carré d'herbes folles, envahie par les ronces et servant de poulailler à quelques volailles heureuses de trouver un abri plus confortable qu'à l'ordinaire ? Nous ignorions alors que le véhicule aurait plus sûrement contenté des amateurs éclairés et qu'il eût rapporté bien plus que cet usage si modeste. Ainsi va la vie des objets oubliés : parfois ils connaissent des heures sombres avant que d'embellir un rond-point ou, mieux encore, d'enrichir des collections précieuses.


Pourtant l'histoire que je vais vous conter est à l'origine d'une belle plus-value qui enrichit celui qui en avait été à l'origine, bien malgré lui. Les hasards de la Loire et de la destinée ne se jouent pas toujours de courants contraires. Le vent peut aussi souffler en faveur de celui qui n'a rien demandé. Laissez-vous porter par ce récit édifiant ; il est de saison, cela va de soi !


Il était une fois un chaland qui avait fait son temps. C'était à l'époque de la marine de Loire quand de grands et fiers bateaux de bois sillonnaient la rivière pour transporter les marchandises qui venaient de régions lointaines et de contrées plus éloignées encore. Le commerce découvrait les joies de la mondialisation naissante : trois continents avaient uni leur destin économique même si le sort de l'un des trois était enchaîné aux deux autres …


Les mariniers ignoraient ou feignaient d'ignorer le prix que payaient les Africains pour que viennent d'Amérique sur nos rives des marchandises nouvelles qui faisaient la prospérité de grandes manufactures et de quelques nouveaux négociants. La Loire charriait ainsi des produits exotiques qui faisaient le délice des gourmets.


Éloignons-nous un peu de la trépidante activité commerciale pour nous retrouver sur une berge tranquille, éloignée des ports. Vivait ici, un brave marinier qui avait posé son baluchon et son coffre de bois. Il en avait soupé des voyages incessants, de la vie trépidante de celui qui n'est jamais à la maison. Il avait décidé de vivre le reste de son âge à élever des poules, des canards, des oies et des dindons sur quelques arpents de terre, en bord de rivière, qu'il avait hérités de sa vieille et défunte mère.


Il avait bâti, de quelques planches issues du déchirage de sapines, un poulailler pour y loger sa volaille. L'homme avait sans doute passé trop de temps sur l'eau pour se rappeler que, sur terre, il y avait, tapis dans le plus grand secret, des prédateurs prompts à vous saccager un élevage. En l'espace de deux ou trois visites de renards, de fouines ou bien de martes, son cheptel avait fondu comme neige au soleil.


Notre brave éleveur, que nous nommerons Pascal, pour nous simplifier le récit, usa alors de sa capacité de réflexion pour trouver moyen de contrecarrer l'appétit des carnassiers. Épris de grands espaces, il n'était pas homme à enfermer sa troupe caquetante derrière un haut grillage, planté, qui plus est, profondément en terre. Il savait un vieux bateau qui pourrissait là après une vie bien remplie. C'était ce qu'il lui fallait pour éloigner les maudits gourmands.


On se moqua naturellement de sa curieuse idée. Un bateau, fût-il une épave prochaine, n'est pas un poulailler. Pascal n'en avait cure ; il vivait en bord de rivière, il était bien décidé à mettre en service son élevage flottant. Une passerelle, retirée la nuit, éloignerait à jamais les prédateurs de leur plat préféré.


Il lui fallut beaucoup de patience pour apprendre à sa troupe ailée à franchir sans encombre la distance qui la séparait de la terre ferme sur une planche étroite au-dessus de l'eau. La poule surtout n'a pas le pied marin et, c'est bien connu, n'aime guère être mouillée. À force de persévérance tout autant que de pédagogie, il initia les poules, les canards, les oies à cet exercice d'équilibriste qui, finalement, devint un spectacle prisé par tous ceux qui s'étaient moqués de lui auparavant. Les gens sont ainsi faits et il ne sert à rien de s'en offusquer …


Pascal faisait commerce des œufs, d'autant plus frais qu'ils passaient la nuit sur la rivière. Il fallait voir au petit matin, le spectacle de ce chaland envahi de gallinacés qui s'éveillaient. Un coq, plus intrépide que tous les autres, avait pris l'habitude de sonner le réveil sur le faîte du mat. Il trônait là et indiquait à tous le sens du vent par la même occasion. Pour ceux qui sont attentifs aux moindres détails, le bel animal tournait toujours le dos à Éole : sage précaution pour ne pas être enroué.


Le poulailler de Pascal faisait désormais parti du décor ligérien quand un incident, une bévue bouleversa le cours de son petit commerce. Je ne doute pas un seul instant que vont se trouver là quelques esprits chagrin pour douter de la chose. Mais laissons là les sceptiques et les cartésiens : il ne sert à rien de vouloir convaincre ces gens trop sérieux.


Tout arriva un jour de grand brouillard comme il en survient parfois sur notre rivière. Il était impossible de voir plus loin que le bout de son nez et c'est un capitaine, réputé pour sa balourdise, qui commit la maladresse qui allait changer la vie de tant de braves gens. L'histoire aime à prendre des virages imprévisibles : certains y voient la main de Dieu, d'autres pensent que ce n'est qu'un simple concours de circonstances. La vérité est plus prosaïque, il faut bien le reconnaître.


Le brouillard et une soirée bien arrosée la veille sont les véritables explications à ce qu'il allait advenir. Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures surtout avant le chant du coq dans la mature. C'est ainsi qu'en ce petit matin de carême, un navire lourdement chargé de cacao, destiné à la chocolaterie Poulain, vint aborder à proximité du poulailler.


L'esprit encore embrumé par les vapeurs d'alcool, le capitaine, qu'on surnommait fort à propos « Vent de travers », donna l'ordre de décharger la marchandise sur ce qu'il prit pour un ponton. L'homme était réputé pour être un colérique atrabilaire ; les matelots s'exécutèrent plutôt que de le contredire. Ils avaient plus à craindre de ses colères que d'un déchargement absurde.


Vous l'avez deviné : les fèves de cacao furent déversées sur le poulailler flottant et les poules, les canes, les oies, les dindes se délectèrent de cette graine qui était toute nouvelle pour eux. Pascal eut beau mettre la passerelle ce matin là, personne ne voulut regagner la terre ferme. La basse-cour était en haute cour de gourmandise et faisait le plus grand festin qu'on connût de mémoire de volatile.


C'est précisément le jour de Pâques que survint le miracle qui resterait à jamais gravé dans les mémoires ligériennes. Pascal fit ce jour-là une récolte exceptionnelle d'œufs qui lui semblaient tous plus lourds qu'à l'ordinaire. Il lui semblait qu'en ce jour si particulier, il y avait quelque chose qui clochait. Il voulut gober un œuf pour se rendre compte de quoi il retournait exactement. Il faillit, sur le coup de la surprise, y perdre la raison.


Du trou dans la coquille qu'il venait de percer, nul blanc ne sortit. Il eut beau aspirer ; rien ne venait. Il décida de briser celle-ci pour comprendre ce mystère. Il découvrit alors un œuf parfaitement brillant, de couleur noire qu'il se décida à croquer. Il n'en croyait ni ses papilles ni ses yeux :l'œuf était en chocolat.


Ce jour-là il fit une recette fabuleuse. Ses œufs s'arrachèrent littéralement car la nouvelle circula comme une traînée de poudre d'amande. L'œuf de Pâques était né. L'idée fit le tour de la région et personne ne songea à renouveler le chargement des fèves, fort onéreux, il est vrai. Il y avait moyen plus économique d'obtenir pareil résultat ; les chocolatiers des bords de Loire s'ingénièrent à trouver chacun un secret de fabrication. Ils furent bientôt copiés par tout le pays, qui comme chacun le sait ici, ne songe qu'à nous singer.


Depuis ce curieux jour, à Pâques, on cherche des œufs en chocolat dans le jardin pour le plus grand bonheur des enfants. Mais si d'aventure, il y a quelques poules, des canes, des oies ou des dindes sur un bateau, allez donc voir si elles n'ont pas pondu un œuf comme ceux que trouva Pascal ce matin-là. Et, si par bonheur, vous rencontriez une poule de légende, il se pourrait même que le vôtre fût en or.


La fortune sourit toujours à ceux qui croient encore aux histoires, quoiqu'il soit plus simple de gober un œuf que ma fable. Prenez la peine, si vous avez conservé votre âme d'enfant, de bien chercher en bord de Loire, il y a sûrement un bateau de bois qui vous fera ce bonheur. Joyeuses Pâques à tous et surtout, prenez garde de ne pas tomber dans la Loire, vous seriez chocolat, dans le meilleur des cas …



 

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