mardi 12 septembre 2023

François redresse la barre.

 

La navigation : une loterie




François premier n’a pas ramené d’Italie que le style renaissance. Il y a découvert les loteries, manière fort commode de renflouer les caisses de l’état qui de tout temps, aiment à sonner le creux. Comme pour la Loire qu’il apprécie tant, il sait que les fonds de son trésor public sont en berne. C’est ainsi qu’il a la curieuse idée de lancer un défi et d’y adjoindre une loterie, une sorte de pari sportif pour mettre du piment à la chose.


C’est dans les années 1540 que François la Salamandre avait trouvé à son goût l’idée de proposer au bon peuple la possibilité de gagner le gros lot tandis que le trésor public empochait bien plus. Les bonnes idées ont la vie dure, celle-ci n’est pas prête de s’éteindre. Pensant mettre en avant son beau château d’Amboise, notre roi eut le désir d’en faire le point final d’une course qui serait le support de la mise de fond. Les paris sportifs avant l’heure en quelque sorte.


Cinq galères, des bateaux légers, identiques, mus par sept rameurs dos au mouvement et pilotés par un homme debout, la piautre à la main doient s’affronter dans une course sans merci. Un bateau par couleur, rouge pour le premier, noir pour le second, bleu pour le troisième, jaune pour le quatrième et blanc pour le dernier.


Le départ a lieu à Nevers, ville que le roi chérit beaucoup. Pas d’escale ni d’arrêt, les rameurs affronte la Loire et la fatigue, se relaye éventuellement pour s’octroyer quelques phases de récupération, une épreuve à la taille du décor et de l’enjeu économique. Dans tout le royaume, les crieurs annoncent à grand renfort de propagande, la grande course.


Chacun mis un piastre sur la couleur de son choix. Les équipages sont naturellement triés sur le volet. Pour la galère noire, la fine fleur des séminaires, des gaillards parmi les futurs prêtres, la sélection n’a pas été facile. Pour la rouge, la grosse cavalerie lourde a donné ce qu’il y avait de plus robuste parmi les siens. La Royale a naturellement hérité de la galère bleue. Il y a pléthore de candidats, tous de solides marins dont nombreux étaient les mariniers de Loire. La couleur jaune échoit aux corporations qui ont souhaité se lancer dans l’aventure avec les plus costauds des compagnons du royaume.


Quant à la galère blanche, elle ne peut que recevoir sur ses bancs de nage que les plus brillants représentants de la noblesse, tous des princes de sang, des jeunes gens au sang bleu et à la prétention immense. On gagedans tout le pays qu’ils bénéficieront de privilèges ou bien d’avantages dans la course. La méfiance est de rigueur tandis que ce bateau orné de fleurs de lys a tout naturellement les préférences des paris.


Le départ alieu à la minuit le jour de la Saint Jean pour une distance de 59 lieues (environ 285 km ). Les organisateurs envisagent une descente à un rythme endiablé d’environ une vingtaine d’heures. Cest un pronostic un peu fou qui ne tient compte ni des difficultés inhérentes à la navigation sur une rivière largement encombrée, ni du manque d’eau en cette fin de mois de juin, ni de la fatigue pour les hommes.


Dés le départ, on devine une vraie rivalité parmi les équipages. Qu’ils soient d'extractions diverses, qu’ils représentent des groupes sociaux particulièrement rivaux, ne fait qu'exacerber les risques d’accrochage et de différents. D’ailleurs bien avant les douze coups de la cathédrale, des propos peu amènes s’échangent d’une galère à l’autre et il convient d’avouer que les membres de l’équipage noir ne sont pas en reste …


C’est un coup de canon qui sonne le branle-bas tout autant que le départ. Les rames se fracassent les unes contre les autres, chacun voulant prendre d’entrée de jeu la première place. Tous ? Non, l’équipage de la Royale se garde bien de vouloir se mêler à la cohue. Il prend ses distances, suivant de l’arrière la bande des quatre. La longueur du parcours tout autant que les pièges de la rivière les incitent à la plus élémentaire prudence.


Le bec d’Allier constitue rapidement le premier écueil. La plupart des embarcations choisissent de rester du côté de la confluence tandis que l’équipage jaune bénéficie de la présence d’un gars du coin qui conseille au barreur de prendre sur l’autre rive. À la sortie de l’Île, les représentants des corporations ont une belle avance.



La première surprise arrive cependant bien vite. Le péage de La Charité montre à tous la fourberie de l’organisateur. Tous les équipages doivent verser un Teston d’argent soit dix sols pour le droit de pontenage : passage sous le pont à l’exception bien sûr de l’équipage à fleurs de Lys qui dispose d’une exonération. L’arrêt et les tracasseries administratives placent le bateau blanc largement en tête.


La course se poursuit sous une bienveillante pleine lune. Les concurrents demeurent au coude à coude, la fatigue ne se fait pas encore sentir, le rythme est bon et la Loire donne assez d’eau pour ne pas mettre pied à terre. Les uns chantent pour se donner du courage, d’autres ahanent à chaque coup de rame, certains prient quand beaucoup conservent leur énergie à leur seul effort.


Le passage à Saint Thibault, commune proche de Sancerre provoque la surprise des équipages. Les représentants des corporations mettent pied à terre pour vider quelques chopines de ce délicieux vin blanc qui se fait dans la région de Sancerre. Les autres, narquois pensent que nos joyeux lascars vont payer chèrement cette fantaisie. Excès de confiance ou bien manque de robustesse, c’est avec surprise et désappointement qu’ils seront tous doublés avant Jargeau.


Nouveau péage à Jargeau et nouvelle dérogation pour la noblesse. Les autres doivent s’acquitter d’un nouvel Teston qui curieusement leur provoque un surcroît de testostérone sans qu’à l’époque on puisse identifier cette hormone qui décuple leurs forces. En doublant les privilégiés, chaque embarcation s’offre une bordée d’injures fort méritée.


Orléans arrive au grand jour. Les rameurs ne sont plus aussi fringants. Une fois encore le péage se présente mais cette fois, l’équipage blanc fait lui aussi une halte pour saluer le duc d’Orléans. Il est des obligations qui relèvent de l’étiquette auxquelles ces nobles personnages ne peuvent déroger. C’est donc un peloton groupé qui entame la grande descente vers l’ouest. Les spectateurs se pressent sur les rives, le jour facilite leur attente.


C’est à Blois que surviennent les premiers incidents. Les représentants de la Royale changent d’attitude et sentant l’arrivée proche veulent passer en tête. Malheureusement pour eux, ils s’engravent lamentablement et tout en mettant les pieds dans l’eau pour sortir de ce mauvais pas, subissent les quolibets de ceux qui les doublent.


Parmi ceux là, les pensionnaires des séminaires se montrent une nouvelle fois très virulents dans le propos scabreux. Bien mal leur en prend car au passage sous le pont Jacques Gabriel, emportés par une vague de travers, ils se retrouvent tous à l’eau. Un nouveau baptême pour eux qui ne fait pas leur affaire. Dieu les auraient-ils abandonné ?


L’arrivée est proche, les traits sont tirés, les forces viennent parfois à manquer. L’indécision demeure quant à l’issue de la course. Personne ne s’est détaché, les bateaux restent tous à portée de vue. La moindre erreur sera fatale. Le soleil couchant aveugle les barreurs, ceux-ci doivent redoubler de vigilance d’autant plus que toute erreur sera fatale.


Les premiers à se tromper de trajectoire sont les cavaliers. Jusqu’alors très discrets, ils se fourvoient dans un bras qui s’achève en un mince filet d’eau. Ils doivent porter leur embarcation pour sortir de l’impasse. C’est trop tard pour eux, ils ne gagneront pas la partie. Les suivants, ce sont nos joyeux lurons des corporations. L’arrêt à Sancerre ne fut pas le seul et l’accumulation des chopines le long de tous ces excellents coteaux provoquent chez eux une navigation étrangement sinueuse. Ils perdent de plus en plus de terrain.


À Chaumont sur Loire, un autre équipage perd tout espoir de l’emporter. Curieusement c’est le bateau bleu, donné favori par de nombreux parieurs qui pour une raison mystérieuse s’arrête devant le château. L’un des rameurs descend, s’en va embrasser une belle qu’il n’avait pas vue depuis très longtemps. Leur étreinte dure, dure si bien que ses camarades prennent le parti de le laisser en plan. Il est trop tard, un rameur de moins est un handicap trop lourd.


La victoire finale semble désormais toute promise à l’équipage blanc qui à chaque pont a hérité d’un précieux avantage. Ils sont largement en tête d’autant que leurs rivaux ont tous rencontré des déboires. Ils passent Mosnes largement en tête, les cavaliers sont les seuls à être sur leurs talons, bien trop loin cependant pour espérer revenir sur eux. La nuit tombe, l’épuisement est général.


En arrivant à Amboise, les rameurs au sang bleu sont perturbés par un nuage qui vient cacher la Lune, ils se fourvoient, passent sur la rive gauche à hauteur de l’Île d’Or. Quand le nuage se déchire, ils perçoivent les tours du Château de l’autre côté. Le règlement est formel, l’arrivée se tient au pied de la magnifique demeure royale. Que faire ? Ils choisissent de traverser l’île à pied. Trop tard, malgré toute l’énergie que les nobliaux déploient encore, ils voient dépités et honteux les cavaliers jugés sur leur bateau rouge franchir la ligne victorieusement.


Ainsi s’achève ce premier pari sportif. La loterie restera en place dans le royaume mais pareille épreuve tombera dans l’oubli. Beaucoup d’eau passa sous les ponts avant que la République accepte de donner une nouvelle chance au monde sportif en ouvrant les paris aux différentes épreuves. On peut voir que comme en 1540, les coups bas et les arrangements douteux, les avantages et les trucages demeurent légion. Personne ne semble avoir retenu la leçon de cette course historique que je viens de sortir des oubliettes du château d’Amboise.


 


 



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