dimanche 27 mars 2022

Le gentil barde cognaçais

 

La Ganipote.







Il était une fois Gérard un musicien qui allait par les chemins. L’homme vivait à la limite de deux grandes provinces, deux traditions si bien qu’on le disait troubadour plus au sud et trouvère plus au nord, c’était selon où ses pas le menaient. Lui, qui vivait au cœur de sa chère Saintonge se sentait davantage barde, allant dans toutes les assemblées avec son psaltérion.


Il aimait tout particulièrement célébrer les huit grandes fêtes traditionnelles celtes pour lesquelles il ne manquait jamais d’honorer les cieux et les forces obscures. Tout d’abord les quatre grands rendez-vous célestes avec les deux équinoxes : Ostara et Mabon puis les deux solstices : Yule et Litha. Mais plus que tout ce sont les quatre fêtes : Samain au 31 octobre, Imbolc au 2 février, Beltaine le 30 avril et Lugnasadh au 1er août qui mobilisaient toute son énergie et son désir de faire le monde danser.


Si Samain est la fête des morts que tous connaissent désormais au travers d’Halloween, Imbolc célèbre la fécondité, Beltaine les lumières et Lugnasadh (celle de la fructification). Notre ami était demandé dans les villages de la région de Cognac pour animer ces belles soirées où chacun aimait à se retrouver pour raconter des histoires, chanter, danser et partager un plat de circonstance. Il aurait vécu ainsi heureux si sa réputation n’était pas arrivée jusqu’à Mélusine, qui voulut le recevoir dans son château de Lusignan.


Nous étions fin avril à quelques jours de la nuit de Walpurgis, celle où tous les chats se réunissent autour du château de la terrible fée afin de retrouver toutes les sorcières de la région et mener grand Sabbat. Gérard ignorait cette légende, il ne voyait dans cette invite que l’opportunité de rencontrer une dame fort belle d’après la rumeur et surtout côtoyer le gratin de la noblesse locale. Il avait accepté la proposition avec enthousiasme en dépit de quelques mises en garde amicales.


C’est le cœur en joie que notre musicien poète se présenta devant le château. Il faisait grand jour ce 30 avril, un soleil printanier ne présageait en rien la suite de l’aventure. Gérard fut introduit dans la grande salle de réception, des serviteurs zélés lui annonçant qu’il n’était pas possible de voir la châtelaine, dame Mélusine, avant la survenue de la nuit. Ils parlaient d’elle d’ailleurs avec un ton mystérieux qui pourtant n'incita pas notre homme à la méfiance.


C’est entre chien et loup que la grande et belle demeure se remplit progressivement d’hôtes étranges tout autant que silencieux. Ils avaient des tenues d’apparat, de belles toilettes pour les dames, des queues de pie pour les hommes. Ces personnages se taisaient. Pas un bruit dans la grande salle, le musicien commençait à se poser des questions. Où avait-il mis les pieds ?


C’était une nuit sans Lune, le parc du château était plongé dans l’obscurité quand d’un signal venu d’un domestique en livrée, tous les invités, sans bruit se dirigèrent vers la terrasses. Ils descendirent et se regroupèrent sur la pelouse à la lisière d' arbres vénérables. Il y eut un cri strident, Mélusine apparut sur le chemin de ronde et d’un bond magistral fondit sur ses hôtes.


À cet instant, celui qui était sans doute le majordome ordonna à Gérard de jouer. Le pauvre musicien demeura éberlué. Le spectacle qui se déroulait sous ses yeux l’avait littéralement pétrifié. Les convives se métamorphosèrent tous en chats, belettes, fouines, renards et autres mammifères fort peu appréciés des humains. Les animaux firent alors grande ronde autour d’une Mélusine, prise de transe, qui ne cessait d’ordonner au musicien de divertir le Sabbat.


Le malheureux Gérard en était incapable. Pire, même il voulut prendre la poudre d’escampette ce qui ne fut, vous devez vous en douter fort mal perçu par la maîtresse du bal. Elle pointa vers lui un doigt vengeur et tandis qu’il pensait avoir échappé à ce rendez-vous de tous les diables, il se trouva transformé en Ganipote.


Je pense que je vous dois une explication. Vous connaissez tous le loup-garou de sinistre mémoire. Créature malfaisante associée à l’univers des ténèbres et de la sorcellerie. La Ganipote quant à elle est une bête monstrueuse qui hante les bois sombres, parcourt la campagne les nuits sans lune. Volontiers facétieuse, elle aime à changer d’apparence pour tromper son monde. Parfois loup, mais aussi chien, mouton, chèvre, chat ou lièvre cornu, elle s'amuse à terroriser les passants en leur sautant violemment sur le dos, toutes griffes dehors. Elle s'y agrippe et pèse de tout son poids jusqu'à ce qu'ils périssent étouffés. Parfois, à l’inverse, elle se donne un air parfaitement inoffensif, invitant alors les enfants à la suivre afin de mieux les perdre.


Si jamais il vous arrivait de croiser la terrible Ganipote, n’oubliez jamais que c’est notre pauvre Gérard envoûté par la maléfique Mélusine. Avant que de succomber sous ses coups mortels, ayez la présence d’esprit de la rappeler à sa passion première. Chantez lui une aimable complainte ou mieux encore, jouez d’un instrument de musique.


La Ganipote retrouvera alors dans l’instant la forme du gentil troubadour avec lequel vous passerez alors une fort agréable soirée pour peu que vous l’invitiez autour d’une bonne table. Il a plus d’un tour dans sa musette et sera capable de vous enchanter en jouant d’une bonne douzaine d’instruments différents. Mais gare à ne pas le respecter, il pourrait reprendre du poil de la bête et vous sauter à nouveau sur le dos.


Musicalement sien.


 

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