samedi 19 mars 2022

L'artisan qui parle à l'oreille d'un baudet.

 

Tu parles d'un travail.




Il était une fois trois braves artisans : un charpentier, un maréchal ferrant et un bourrelier qui à Saint-Sulpice de Cognac furent confrontés à une bien étrange histoire. Je ne sais si vous la livrer ainsi ce n'est pas s'exposer à la médisance et à l’allégation fallacieuse de faire abus de ce merveilleux breuvage qui se fabrique dans la région. J'en assume le risque…


Tout avait commencé dans une ferme au bord de l'Antenne, cette charmante rivière qui s'étend avec délectation dans la région. Un charpentier avait été mandé par un éleveur afin qu'il lui fasse des mangeoires dans son étable. L'artisan alors qu'il était tout à son ouvrage remarqua que les bœufs le regardaient fixement. Leurs yeux bovins semblaient briller d'une étrange clarté. Manifestement, les bêtes avaient quelques idées en tête.


Le charpentier son ouvrage réalisé, s'en retourna à d'autres chantiers, se gardant bien d'évoquer autour de lui ce curieux sentiment qui avait été sien dans cette ferme. Il serait passé pour un baderne, un innocent ou bien un niaiseux. Sa réputation en eut été ternie. Il garda le silence, d'autant que dans cette profession on se gardait bien d'user de la langue de bois, réservant cette forme d'expression à ceux qui n'ont rien à dire.


Peu de temps plus tard, dans la même ferme, le maréchal ferrant vint comme à son habitude ferrer les chevaux de traits de l'exploitation. C'était une époque où la seule force animale venait en aide aux travaux des champs. Les bêtes avaient l'habitude de se voir ainsi dotées de renforcements métalliques sous leurs sabots. Cependant, l'inconfort de la situation déplaisait fortement à une jument qui à grands hennissements tenta d'exprimer son ressentiment à l'artisan.




Le maréchal ne resta pas sourd aux protestations de la biroque. Il comprit qu'elle se plaignait tout en tentant de lui signifier quelque chose. Mais comment entendre la langue des chevaux ? Tout expert qu'il était dans leur sabot, il n'entendait rien à leur parlanjhe. Il se garda bien de demander conseil à celui qui menait les bêtes aux champs de crainte de passer pour un blérot ou un bestioux. Il s'en retourna à sa forge et ne revint qu'à la Toussaint pour réclamer son dû comme ça se faisait à l'époque.


Le troisième artisan à venir travailler dans cette ferme fut le bourrelier que l'on avait mandé pour poser un collier à ce fameux baudet du Poitou qui se plaisait tant en Charente. L'animal devait tirer une chignole : une carriole de fête pour conduire les mariés devant monsieur le doyen. Pour l'artisan du cuir, il convenait de mesurer l'encolure de l'animal afin de lui éviter de peiner sous la charge. C'est alors qu'il avait une oreille tout contre sa gueule qu'il lui sembla entendre murmurer la bourrique : « Tu es le troisième ouvrier à venir ici. Nous autres les bêtes bonnes à ferrer et à travailler, nous aimerions nous aussi aller de temps à autre au village. Unissez vos efforts pour nous offrir une bonne occasion de jouir de cette sortie ! »


Il faut bien reconnaître que le bourrelier en fut tout ébaubi. Il se redressa, regarda l'âne droit dans les yeux tandis que l'animal sembla opiner du chef en dressant fièrement ses oreilles au-dessus de sa tête. Un assentiment qui convainquit notre homme qu'il n'avait pas été l'objet d'une hallucination auditive. Il acheva son ouvrage puis s'empressa de retrouver ses compères au bistrot du bourg.


C'est devant trois chopines, une par personne que la discussion s'anima. Le bourrelier avait prudemment attendu le moment propice pour faire son annonce. Les mines de ses compères avaient la coloration ad-hoc, le moment était venu de leur glisser la demande de l'âne. L'homme fut surpris des acquiescements immédiats de ses deux compagnons. L'un après l'autre, ils lui avouèrent avoir reçu une forme de message beaucoup moins explicite qui des bœufs, qui de la jument.



C'est alors que devant la gravité de la quémande, ils pensèrent qu'une nouvelle tournée ne serait pas superflue pour libérer l'imagination. Le vin des Charentes a ceci de particulier qu'il délie autant les langues que les cerveaux. Ce qui se passa alors relève de la tempête dans les crânes, expression qu'ils préfèrent à un terme anglo-saxon totalement inconnu à l'époque dans nos provinces.

Le charpentier déclara je ne sais que travailler le bois, je peux leur dresser un abri provisoire. Le maréchal ajouta, je vais tous les ferrer, il me serait plus agréable de le faire juste devant mon atelier, au beau milieu du village. Le bourrelier de parachever la réflexion en disant : je peux coudre des sangles, des lanières et une ventrière pour que l'animal à ferrer cesse de gesticuler. Ravis de leur idée, ils se tapèrent dans les mains en s'exclamant : « Voilà du bon travail ! »

Le bourrelier s'empressa d'aller souffler, non pas dans le derrière de la jument, il n'était pas vétérinaire, mais à l'oreille du baudet, le fruit de leur réflexion. L'âne hennit pour dire tout le bien qu'il pensait de leurs cogitations. Il encouragea le gentil artisan à s'empresser de rejoindre ses compagnons pour se mettre en action.

Le dire c'était bien mais le faire c'est bien mieux. Ils se mirent à l'ouvrage conjointement les uns aidant le spécialiste. Sans plan préalable, sans dessin, ils réalisèrent le premier abri à ferrer les animaux. Puis il fallut nommer la chose et l'expression leur revint en mémoire ; ce serait un travail ! Pour satisfaire le bourrelier, il fut décrété que la chose se dirait travails au pluriel, manière de montrer leur indépendance d'esprit.

Ceci se passa à Saint-Sulpice de Cognac, ne pensez pas que je pousse le bouchon trop loin. L'idée fut reprise dans nombre de villages de nos belles provinces. Partout, il y eut un travail au milieu des bourgs en cette époque lointaine où l'animal et les humains œuvraient main dans la patte. Seuls les ânes ne croiront pas en cette histoire, uniquement ceux qui vont debout sur leurs pattes postérieures.


Travailleusement vôtre.


 


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