mercredi 7 octobre 2020

Faire la roue …

Histoire de notre suffisance.




Notre espèce brille par sa formidable capacité à tirer le meilleur de ses innovations. La roue est, à ce titre, le plus bel exemple des progrès qu'a pu accomplir l'humanité. Combien fallut-il d'efforts et de souffrance pour arriver à la perfection magnifique de la roue ? Nul ne le saura jamais. On peut simplement s'émerveiller devant cette synthèse de simplicité et d'efficacité, cette perfection absolue à l'esthétisme incontestable.

La roue a longuement cheminé, parée de toutes les matières possibles pour aller sur les chemins de la vie et des vicissitudes qui l'accompagnent. Le bois, les chiffons, le fer, le caoutchouc puis les matériaux composites, l'habillèrent pour des aventures nouvelles, des expéditions pacifiques. Elle se fit même chenille pour sortir de son cocon. Hélas, la chrysalide donna alors naissance à un redoutable engin belliqueux !

 



La roue allait toujours de l'avant. Elle devint cadran pour permettre de mesurer le temps qui passe. La roue tourne et le temps file, le temps passe, le tant pis. Les aiguilles se piquaient de vous imposer à nouveau la cadence, de fixer les échéances et les rendez-vous. La roue était le vrai maître du temps, l'enfermant dans un perpétuel recommencement. Elle fermait le cercle, emprisonnant l'individu dans ce piège temporel.

Comme la roue avait une faim de loup, et qu'elle voulait dévorer le monde et sa population, elle se donna des dents, des crans, des rouages pour enfermer les masses laborieuses dans un cercle diabolique. Ce furent alors les cadences infernales, le cercle vicieux du rendement, du travail à la chaîne, des rythmes démoniaques. La roue enferma le prolétariat dans une réitération sans fin, une ronde endiablée.



Pour se faire pardonner, il faut dire qu'en la matière, elle en connaissait un rayon, elle se fit gracile et légère, se refusant alors aux dérapages précédents. Il n'était plus question pour elle de dérailler, elle voulait avoir pignon sur rue. Elle prit le chemin de la balade, se fit double pour mettre en selle ceux qu'elle avait si méchamment rudoyés. La bicyclette était née, petite reine à la rouerie certaine, elle allait faire de ses amoureux, les forçats de la route. La roue a plus d'un tour dans sa musette !

 

 

Malheureusement la roue attira les petits coqs, les orgueilleux de service, les jaloux et les mesquins. Plus d'un triste personnage se mit à faire la roue, à parader devant les autres, à tourner en rond en se pavanant sur sa vanité et sa suffisance. La roue devint alors le symbole de la vacuité, de ce qui ne mène nulle part. Pour éviter aux enfants de percevoir la fatuité des adultes, on leur inventa le manège, moyen pratique de les garder sous les yeux tout en les occupant à attraper la queue du Mickey.

 


 

Mais les grands n'aiment pas se faire voler la vedette. Il exigèrent eux aussi leur manège. Faire la roue était passé de saison. L'homme moderne avait besoin de quelque chose de plus considérable, de plus fort, de plus brillant. Sa folie des grandeurs le conduisit tout naturellement vers la Grande Roue, ce marqueur magnifique de la plus parfaite vacuité.


Après de longues années de relative discrétion, la Grande Roue avait besoin de se roder et c'est ainsi que, devenue désormais le symbole de l'allégresse obligatoire, de la fête grandiose, elle s'enhardit et envahit nos centres-villes. Pour satisfaire aux envies démesurées des paons urbains, la Grande Roue en effet, s'est même installée en plein cœur de la cité, roulant sa bosse, de commémoration en festival, de marché de Noël en inauguration pompeuse.


La Grande roue est le nouveau paradigme de notre futilité. On photographie sous tous les angles cet arc lumineux bandé dans le ciel nocturne. On s'extasie de la vue magnifique qu'elle offre à ceux qui ont cédé à ses onéreuses avances. La roue du paon est revenue en pleine gloire, elle se pare de milliers d'yeux ébahis qui prennent enfin de la hauteur pour voir les misérables fourmis restées à terre. La roue a bouclé la boucle, fermé le ban de notre évolution, elle nous permet désormais de tourner en rond sur notre si parfaite fatuité !


Misanthropement vôtre.


 

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