vendredi 16 octobre 2020

Aux repas disparates.

 

La cuisine éclatée.



Dans les associations caritatives, on ne fait désormais ni  plus ni moins qu'une cuisine de guerre contre la pauvreté.

 

L'abondance absurde et incontrôlable des surplus de nos magasins à gaspillage éhonté n'arrange en rien les choses, les plus miséreux sont généreusement submergés de surplus inclassables, indigestes, impossibles à mettre en partition culinaire. C'est le tout-venant de l'emballage et de la préparation délirante ; le plat cuisiné est le paradigme de la surconsommation.


Il n'est rien à espérer de ces arrivages disparates, de ces petites quantités aussi diverses qu'avariées ! Ces produits ne sont bons qu'à être distribués à qui veut bien les préparer, à la condition de disposer d'un micro-onde, ce merveilleux instrument de la facilité et de la médiocrité alimentaire, compagnon incontournable ça de soi des gens à la rue. C'est de lui qu'est née cette gabegie inqualifiable qui impose des portions individuelles, des plats adaptés à l'éclatement des cellules familiales, au désir délirant de ne manger que ce dont on a envie.

 

 

La société individualiste a réussi à créer le repas atomisé. La grande distribution s'est engouffrée dans cette tendance avec délectation et grands bénéfices. Il apparaît clairement comme une source de revenus, bien plus qu'une occasion d'améliorer la qualité et la diététique. Nous nous préparons ainsi à un prochain vaste problème de santé publique ; mais ceci ne préoccupe personne.


Quant aux produits qui sont encore en grandes quantités, en vrac ou emballés sans avoir été préalablement cuisinés, ils sont les seuls à permettre l'expression de l'inventivité culinaire. Mais voilà que surgit alors l'inévitable scission culturelle et l'insidieuse fragmentation cultuelle. La cuisine devient le lieu des intolérances, des incompréhensions, des refus de changer et de l'enfermement sur soi.


Au lieu de réunir autour de la table, au lieu de créer du lien, le repas prend des allures de fragmentation ethnique et religieuse. La curiosité n'est plus de mise ; l'envie d'aller vers l'autre, ses plats et ses goûts ne semble être qu'un apanage intellectuel réservé à ceux qui ne sont pas en souffrance, en rejet ou en transit. Pour les autres, la dureté des conditions proposées les contraint à ce repli radical et hermétique sur ce qu'ils connaissent.

 


Il est loin le temps des ateliers d'échanges autour de plats que l'on préparait ensemble dans des groupes issus de la diversité. Tout concourt à la segmentation, à l'éclatement du manger ensemble. Puisque le vivre ensemble devient de plus en plus problématique, le repas suit les mêmes dérives et la curiosité, tout comme l'ouverture, ne sont plus de saison.


J'en ai fait le constat amer, moi, qui sottement, voulais suggérer de préparer autrement un plat que je finissais pas trouver rengaine et sans fantaisie. Oh, que mal m'en prit ! Il n'est pas concevable de changer les habitudes, de modifier ce qui s'est toujours fait ainsi. La cuisine retrouve ses frontières ; elles deviennent des murs infranchissables et ce n'est pas seulement le porc qui nous joue là un maudit tour de cochon.


La cène n'a plus cours ; la table est devenue la scène des particularismes, des différences, des particularités, des enfermements. Si on y ajoute les allergies de plus en plus nombreuses, grâce à une agriculture intensive délirante et dévastatrice, les clans alimentaires avec des pratiques de plus en plus complexes, les sectarismes multiples , vous avez là, les ferments du mépris et de l'incompréhension.


Il est temps que l'on se remette tous à la table commune, qu'on ne fasse plus la lippe sur tel ou tel produit, que tombent les superstitions et les peurs, les craintes et les fantasmes. Manger ensemble la même chose est plus que jamais nécessaire ; des produits simples, frais, sans les manipulations honteuses de l'industrie agro-alimentaire.


Ainsi, ce que j'observe de ma curieuse cantine n'est, à mon humble avis, que le reflet d'une volonté claire de couper le tissu social en de multiples éléments les plus hétérogènes possibles. Musique, mode, nourriture, jeux, vacances, loisirs : tout est désormais prétexte à se tourner le dos, à s'ignorer voire à se mépriser. L'indifférence ne suffit plus ; il faut s'opposer, s'affronter, se jalouser, se nier. Nous sommes les jouets d'un pouvoir qui assure sa mainmise par la fragmentation générale. « Groupons-nous » proclamait un chant passé de mode : il serait bien temps de retrouver cette valeur essentielle.


Cantinement vôtre.

 

Le couvre-feu et les odieuses mesures visant à nous renvoyer tous chez nous et sans invités n'arrangent rien. 



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